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Par Jean Vigreux

 

Se rapprochant davantage de la tradition républicaine et radicale que du modèle collectiviste soviétique, le projet communiste défendait la « petite propriété » ou « l’exploitation familiale » et l’élargissement des droits sociaux au monde paysan. Retour en images sur l’histoire de ce communisme rural.

Le projet politique communiste a durablement marqué certaines campagnes françaises, que l’on pense à la diffusion de La Terre, hebdomadaire du PCF fondé en 1937 par Waldeck Rochet, qui a remplacé La Voix Paysanne, ou encore aux « campagnes rouges », les bastions du Centre (Allier, Cher, Nièvre) et du sud-ouest du Massif Central (Corrèze et Lot-et-Garonne), sans oublier une sociabilité au sein des villages avec les fêtes de La Terre.

La défense de la «petite propriété» ou de «l’exploitation familiale»

En premier lieu, il faut souligner que ce communisme rural se rapproche plus d’une tradition républicaine et radicale que du modèle collectiviste soviétique. Effectivement, le projet politique élaboré dès 1921 (date du programme agraire de Marseille rédigé par le premier député communiste Renaud Jean), révisé en 1964 par Waldeck Rochet, a perduré jusqu’à nos jours : il s’agit de défendre la « petite propriété » ou « l’exploitation familiale ».

En ce sens, les luttes contre les saisies des familles exploitantes, qui ne pouvaient plus payer les charges ou les loyers au cours de la crise des années 1930, est un bel exemple de cette activité communiste aux champs que l’on peut voir dans le film de Jean Renoir La vie est à nous (1936).

Renaud Jean, Capture du film La vie est à nous (1936) de Renoir (Cinéarchives).

Affiche du PCF pour la campagne électorale de 1936.

Affiche 1938.

Le recrutement au sein du monde paysan

Après la Seconde Guerre mondiale, le PCF devenant le premier parti de France recrute au sein du monde paysan, grâce à une propagande active et le développement des écoles paysannes du parti. Pour amplifier son influence dans le monde rural où l’écrit et la lecture tiennent encore une place importante, le PCF édite plusieurs brochures, supports à des réunions et débats, pour défendre aussi bien sa politique agraire de sauvegarde de la petite propriété paysanne et de redistribution aux fermiers et métayers, que l’agriculture nationale dans une période rapidement marquée par les enjeux de la Guerre froide ; il défend, par exemple, le vin français face au Coca-Cola…

Meeting de Waldeck Rochet dans la Bresse louhannaise, années 1950 | © DR. Coll. privée

Réunion publique de Waldeck Rochet, responsable de la section agraire du PCF dans un café à La-Motte-Saint-Jean (71), années 1950 | © DR. Coll. privée

Waldeck Rochet sur un marché paysan (1955-56)

À partir de 1946-1948, de petites bandes dessinées sont distribuées aux enfants, comme de belles images sous forme de tracts. Plusieurs thématiques sont alors mises en scène comme « l’Histoire de Jean ouvrier de notre beau pays de France » et pour le monde rural, c’est « l’Histoire de Pierre, paysan de la terre de France » ; elles sont toutes les deux signées par Jose Cabrero Arnal futur dessinateur de Pif dans l’Humanité et Vaillant. Arnal est né en 1909 à Barcelone et a quitté l’Espagne en 1938. Pendant la guerre, il est déporté à Mauthausen. En janvier 1946, il propose une planche verticale de 4 images titrée « le Petit Chien », ancêtre ou matrice du futur Pif, et travaille pour la presse communiste. Ces petites histoires sont souvent rééditées. La « belle histoire de France » est réalisée par Pierre Daniel Billon. Ces tracts racontent l’histoire de jeunes du peuple auxquels les lecteurs peuvent s’identifier. Pierre ou Jean ont souffert de l’occupation allemande et ont participé ou aidé la Résistance. Depuis la Libération, ils bénéficient des progrès sociaux nés du Conseil national de la résistance (CNR) et de la participation communiste au gouvernement : « le parti de la renaissance française ».

La promotion des droits sociaux des paysans

Avec le lancement de la politique de modernisation agricole, on assiste à des changements rapides avec un nouvel exode rural et l’agrandissement des exploitations dans une logique productiviste et capitaliste. Toutefois, ces sociétés rurales ne sont pas toutes à l’heure d’une agriculture modernisée et motorisée. Dans de nombreux villages, de petites montagnes entre autres, du Cantal au Morvan, en passant par le Limousin, des paysans liés à une polyculture transmettent encore une « image passéiste ». Avec leur matériel ancien, souvent acheté d’occasion, ils sont en marge de cette politique productiviste. La transhumance rythme encore le mois de juin dans la plupart des régions montagneuses. Mais, surtout, ce sont les marchés et foires qui résistent le mieux ; certes l’horizon est plus restreint face aux grands marchés nationaux, mais localement les ventes de volailles dans des cages en osier ou de production fromagère sont encore la marque de cette « civilisation paysanne ». Pour autant, faut-il évoquer l’« archaïsme » ou une « paysannerie fossile » ? Ne faudrait-il pas évoquer des rythmes différenciés, mais aussi des logiques sociales qui ne peuvent pas se fondre dans le mouvement productiviste, faute de capital et de moyens financiers ? D’autant que ces régions de polyculture et d’élevage ne peuvent pas se spécialiser et entrer dans les circuits de l’industrie agro-alimentaire. Enfin, en marge du progrès, le revenu moyen des ménages d’exploitants agricoles reste inférieur à celui des autres entrepreneurs individuels comme les artisans, et les salariés agricoles demeurent les plus défavorisés.

C’est entre autres ce qui permet de comprendre la naissance, sous l’égide des militants communistes dans le monde rural, du Mouvement de défense de coordination d’exploitations agricoles familiales le 7 avril 1959 qui, plus tard, prend le nom de Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) qui traduit bien le souci, déjà évoqué, de sauvegarder l’outil familial de production. Pour cela, on dénonce les actions de la SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) qui accapare les fermes pour créer de grands domaines.

Ainsi, le communisme rural en France défend avant tout une agriculture familiale, de petite propriété loin des sovkhozes et des kolkhozes. Une seule fois dans son histoire le PCF a dû faire face à de telles velléités ; c’était lors de la Libération de la Corse en 1943. La réponse fut rapide et sans ambiguïté : « Selon l’information que nous avons reçue, un membre de l’assemblée consultative de Corse à Alger, Giovoni organise des kolkhozes expérimentaux en Corse. Vu cette situation, je voudrais vous prier de transmettre le conseil à Billoux, Marty ou Grenier au nom de Thorez, de mettre fin à ces déviations gauchistes qui versent de l’eau au moulin de la réaction et des hitlériens » (télégramme envoyé de Moscou).

Au-delà de ces logiques, liées à l’exploitation, le communisme rural s’est aussi caractérisé sur le temps long, à promouvoir les droits sociaux pour les ouvriers agricoles, les fermiers et les métayers avec notamment l’élaboration et la promulgation de leur statut en 1946.

Cette volonté sans cesse réaffirmée, fondée sur l’égalité des droits et l’élargissement des droits sociaux, est aussi une des clefs de compréhension de l’implantation. Il ne faut pas négliger non plus que le PCF se veut un agent du progrès à la campagne et du bonheur pour tous dans la suite logique de la Convention. En témoignent ces nombreuses prises de position sur l’électrification, les adductions d’eau, etc.

Affiche-Paysans-1-

Ruraux ensemble exigeons des conditions de vie adaptées à notre époque, 1963-1969 © Archives départementales de Seine-Saint-Denis

Une implantation durable

Pour autant comprendre cette originalité du communisme rural repose sur des femmes et des hommes, les militants, mais aussi les élus ruraux qui ont eu un rôle très important, Renaud Jean (1887-1961), Marius Vazeilles (1881-1973), Waldeck Rochet  (1905-1983) ou André Lajoinie (1929-).

Renaud Jean (Wikipedia)

Marius Vazeilles (Maitron)

Waldeck Rochet (Wikipedia)

André Lajoinie (Wikipedia)

Mais surtout, il ne s’agit pas seulement de paysans ; nombreux sont les instituteurs, les artisans ou les ouvriers vivant à la campagne, comme les cheminots, qui ont participé à cette activité politique. Ainsi, cela permet de dépasser la vision de sociétés rurales seulement tournées vers l’agriculture.

Autre clef de compréhension de cette implantation durable, c’est le poids de la Seconde Guerre mondiale ; les campagnes ont accueilli de nombreux maquis, FTPF ou FFI, qui ont marqué durablement cette soif de liberté, d’égalité, mais aussi d’antifascisme. Cela a souvent été négligé, certains auteurs affirment qu’en « fait, le rôle du PC à la campagne s’est borné presque uniquement à faire du poujadisme avant et après Poujade, « afin » de rassembler les marginaux, les déshérités pour récupérer le mécontentement » (Marcel Faure, Les paysans dans la société française, Paris, A. Colin, 1966, p. 203). Qu’en est-il vraiment ? S’agit-il uniquement d’une captation par le PCF de « colères de pauvres » et de « dominés » ? Si l’on ne considère le mouvement Poujade que sous l’angle de la protestation des « petits contre les gros », c’est certain qu’il y a des points semblables. Mais le problème majeur reste l’aspect réducteur de la comparaison qui ne prend pas en compte d’autres héritages. D’autant plus, que les communistes dans les campagnes ont combattu sur le temps long l’extrême-droite : dans les années 1930, Dorgères et ses chemises vertes (le fascisme rural français) ; au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’occupant nazi et les collaborateurs de Vichy ; puis, les poujadistes au cours des années 1950, sans oublier plus récemment le Front national et les groupes identitaires…

Ainsi, le communisme rural s’est fondu dans une culture républicaine émancipatrice digne héritière de la Révolution française proposant une synthèse originale entre égalité et liberté, entre modernisation et respect des cultures locales en prônant le « bonheur pour tous » …

Affiche de 1937 du PCF.

Bibliographie

BELLOIN Gérard, Renaud Jean le tribun des paysans, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1993.

Boswell Laird, Le communisme rural en France. Le Limousin et la Dordogne de 1920 à 1939, Limoges, PULIM, 2006.

BULAITIS John, Communism in rural France : French agricultural workers and the Popular Front, London IB Tauris, 2008.

CADE Michel, Le Parti des campagnes rouges. Histoire du PCF dans les Pyrénées Orientales, 1920-1949, Marcevol-Vinça, Editions du Chiendent, 1988.

CHAFFEL Alain, Les communistes de la Drôme de la Libération au printemps 1981 : de l’euphorie à la désillusion, Paris, Éditions l’Harmattan, 1999.

GIRAULT Jacques, Le Var Rouge. Le Varois et le socialisme de la fin de la Première Guerre mondiale au milieu des années 1930, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995.

GRATTON Philippe, Les luttes de classes dans les campagnes, Paris, Éditions Anthropos, 1971.

GRATTON Philippe, Les paysans français contre l’agrarisme, Paris, F. Maspéro, 1972.

LAGRAVE Rose-Marie, « Le marteau contre la faucille », introduction Les « Petites Russies » des campagnes françaises, Études Rurales, n° 171-172, 2004, p. 9-26.

LE COADIC Ronan, « Les campagnes rouges de Bretagne », Skol Vreizh, n° 12, 1991.

MISCHI Julian, « Les campagnes rouges du Bourbonnais dans l’entre-deux-guerres », Cahiers d’Histoire, tome 46, n° 1, 1er trimestre 2001, p. 143-165.

MISCHI Julian, Servir la classe ouvrière : sociabilités militantes au PCF, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.

MOLINARI Jean Paul, « Les paysans et le PCF », Politix, n° 14, 1991, p. 87-94.

ROBIN Pierre et Vigreux Jean (dir.), Renaud Jean, la voix rouge des paysans, Nérac, Éditions d’Albret et Association des amis de Renaud Jean, 2012.

SAGNES Jean, Le Midi rouge, mythe et réalité, Paris, Édition d’histoire occitane, 1982.

Vigreux Jean, Waldeck Rochet. Une biographie politique, Paris, La Dispute, 2000

Vigreux Jean, La faucille après le marteau. Le communisme aux champs dans l’entre-deux-guerres, Besançon, PUFC, 2012.

Quelques brochures

Quelques brochures en ligne sur le site de la MSH Dijon (d’autres seront mises en ligne cette année dans le cadre du programme ABRICO Collex-Persée)

Jean Desnots, À ton tour, paysan !, CEDR, 1936.

CGPT, Ce que chaque paysan doit savoir, Supplément à la Voix Paysanne, 1938.

Waldeck-Rochet, Jean Flavien, Jean Laurenti, Gilbert Vital, « Les droits du paysan », La Brochure populaire, n° 3, janv. 1939.

CGPT, Servir les paysans. Rapport présenté par F. Mioch au Congrès national paysan de Brive les 5 et 6 mars 1939, Supplément de la « Voix paysanne », 1939.

Jean Desnots, Le Pain cher, édition de la région parisienne du Parti communiste.

Nikolaï Boukharine, Les chemins du socialisme et le bloc ouvrier-paysan, Librairie de l’Humanité, 1925.

Quelques films

Disponibles sur le site de Ciné-archives.

La vie est à nous de Jean Renoir, 1936 (62 min).

La crise (réalisateur anonyme), 1931 (16 min).

Breiz Nevez (Bretagne nouvelle), (réalisateur anonyme), 1938 (11 min).

Manifestation paysanne, (réalisateur anonyme), 1948 (8 min).

La révolte des gueux de Raymond Lamy, 1949 (21 min).

Ceux des champs de Bertrand Dunoyer, 1952 (20 min).

La terre fleurira d’Henri Aisner, 1954 (63 min).

Stand Limousin, Fête de l’Humanité, 1970 (15 min).

Quelques affiches

Disponibles sur le site des Archives départementales de Seine-Saint-Denis.

Archives

Comité central, 10 février 1933 : Rapport de Renaud Jean sur la question paysanne et discussion ….

Procès verbal du Bureau Politique, 13 aout 1930 : Discussion sur la crise agraire.

Procès verbal du Bureau Politique, 18 janvier 1933 : La section agraire du PC et la question paysanne.

4e congrès de l’Internationale Communiste, Rapport de Varga et discussions sur la question agraire, 24 novembre 1922 (21e séance).

Secrétariat de Dimitri Manouilski, Rapport du délégué du Comité exécutif de l’Internationale Communiste (CEIC) en France sur le travail du PCF à la campagne, 4 mars 1936.

Commission agraire du Comité exécutif de l’Internationale Communiste (CEIC), Rapport du Comité central du PCF, 1921-1922.

Articles dans des revues du PCF

Fernand Clavaud, « Quelques aspects du mouvement paysan », n°4, Avril 1960.

Waldeck Rochet, « Le mouvement paysan en Franc et le travail du Parti à la campagne », Les Cahiers du communisme, n°1, Janvier 1961.

Michèle Saurel (Aveyron), « Le monde paysan en mouvement », Les Cahiers du communisme, n°2-3, février-mars 1982.

Pierre Pranchère, « S’opposer à la baisse du revenu paysan et assurer le développement de l’agriculture française », Les Cahiers du communisme, mai 1984, n°5.

Michel Boulet, « Agriculture et milieu rural. Évolutions et transformations. 1945-1980 », Société Française, Cahiers de l’institut de recherches marxistes, n°6, février, mars, avril 1983.

Waldeck Rochet, « L’agriculture française et la CED », Économie Politique, n°3, Juin 1954.

Louis Perceval « La question agraire dans la France contemporaine », Économie Politique, n°192-193, juillet-août 1970.

Daniel Bresson, « Journées d’études du PCF : crise agraire et luttes paysannes », Économie Politique, n°256, novembre 1975.

Yves Varga, « Rapport sur la question agraire » (4e  Congrès mondial, 21e séance, Moscou, 24 novembre 1922), La Correspondance internationale, n° spécial, 31 janvier 1923.

Yves Varga, « L’économie mondiale – aggravation de la crise agraire », La Correspondance internationale, n° 11, 8 Mars 1938.