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Par Michel Maso

Directeur de la Fondation Gabriel Péri.

 

Présenté comme le Congrès de la mutation, le 30e Congrès qui s’est tenu en mars 2000 à Martigues a cherché à œuvrer au renouvèlement du PCF, à son rassemblement et à la modernisation de son image. Mais il ne parviendra pas à infléchir le cours de la politique du gouvernement de la gauche plurielle auquel les communistes participent, télescopant ainsi son message.

 

C’est à la fin du mois de janvier 1994, lors du 28e congrès, que Robert Hue succède à Georges Marchais et devient secrétaire national du PCF.

Un an plus tard, il publie Communisme, la mutation, un ouvrage qui tente d’explorer les pistes d’un redressement possible de l’influence communiste en France, en déclin régulier depuis le début des années 1980.Cette même année 1995, candidat à l’élection présidentielle, il recueille 8,64% des suffrages exprimés, contre 6,76% obtenus 7 ans plus tôt par André Lajoinie. Pour beaucoup de communistes, ce résultat atteste de la validité du choix de la mutation (en trompe-l’œil cependant, car au score d’André Lajoinie, il faudrait rajouter une grosse partie des 2,4% de Pierre Juquin en 1988).

Des tensions sur l’appréciation de l’action de la majorité et du gouvernement

Début 1997, Chirac prononce la dissolution de l’Assemblée nationale et échoue dans sa tentative de redonner par ce moyen une nouvelle légitimité à sa majorité de droite. La gauche l’emporte et avec l’élection de 36 députés, le PCF occupe une position « charnière » au sein de la majorité de « gauche plurielle » : sans le groupe communiste, il n’y a pas de majorité de gauche. Avec la nomination de Lionel Jospin à Matignon les communistes ont à se prononcer : faut-il participer au gouvernement ? Au terme d’une consultation interne, cette participation est actée. Il convient, sur ce point, de rappeler que la direction communiste s’était engagée dans un dialogue avec celle du parti socialiste dans la perspective des législatives prévues en mars 1998. La dissolution ne va pas permettre de déployer cette démarche et c’est finalement une plateforme de 4 feuillets qui va être signée à la hâte par les deux formations.

Dans les 18 à 24 mois suivants, le gouvernement et la majorité vont décider des 35 heures de travail hebdomadaire, de la création de 700 000 emplois-jeunes, de la couverture médicale universelle (CMU), de l’aide médicale d’État (AME), de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) imposant un quota de 20% de logements sociaux par commune. Mais, dans le même temps, ils vont opérer plusieurs privatisations (ou ouvertures de capital) de grandes entreprises françaises : France-télécom, GAN, Thomson- multimédia, crédit industriel et commercial (CIC), CNP Assurances, crédit lyonnais, Air-France…

C’est ainsi que vont naître et se développer de premières tensions au sein du parti communiste sur l’appréciation de l’action de la majorité et du gouvernement.

Et en juin 1999, la liste « Bouge l’Europe » à double parité (autant de femmes que d’hommes ; autant de communistes que de non-communistes) ne recueille que 6,74% aux élections européennes après un vif débat des communistes sur l’opportunité d’une telle démarche. Pour beaucoup d’entre eux, elle est synonyme d’abandon de « l’identité communiste », tout comme la participation au gouvernement qui en laisse beaucoup perplexes, et certains même en colère.

Le congrès de la mutation

C’est dans ce contexte, rapidement évoqué ici, que débute en septembre 1999 la préparation du 30e congrès, présenté comme celui de la mutation, qui doit se réunir à Martigues en mars 2000.

Pour nourrir le débat général, 7 textes sont soumis aux militants et militantes :

1- L’enjeu de la mutation.

2- Est-ce le communisme qui a échoué ?

3- Une société en mutation.

4- Le projet communiste.

5- Les choix stratégiques du PCF.

6- Un parti immergé dans la société.

7- La presse et la communication.

Jean Paul Magnon, membre du secrétariat du Conseil national, y présente le rapport introductif et Robert Hue intervient dans le débat général des 900 délégués. Tous deux s’emploient à montrer l’apport du parti communiste à la majorité gouvernementale et, surtout, son rôle indispensable pour une inflexion à gauche de son action. Ils plaident en faveur du dépassement du capitalisme et d’une réorientation de la construction européenne. Le secrétaire national évoque également « l’héritage » du parti communiste et dit son souhait de vouloir en faire « l’aile marchante » d’une révolution des temps modernes. Il en appelle à rejeter le dogme de la diminution de la dépense publique et du gel des emplois publics. Enfin, il dit sa détermination à faire grandir le mouvement populaire, condition indispensable selon lui pour ancrer véritablement à gauche la politique du gouvernement et de sa majorité.

Mais surtout, Robert Hue est préoccupé de pousser les feux de la mutation en termes d’organisation interne et de fonctionnement du parti. Il le dit devant le congrès : « en inventant des pratiques et des formes nouvelles, au fur et à mesure de la préparation du congrès, avec l’objectif d’assurer à chaque homme et à chaque femme communiste le pouvoir réel d’élaborer et de décider de toutes choses, c’est bien ici et maintenant que nous commençons à fonder le nouveau parti communiste que les adhérents du PCF ont décidé de mettre à l’ordre du jour de leur 30e congrès ».

De fait, la commission des candidatures, dont la tâche est de formuler des propositions pour la composition de la direction nationale, va débattre de cette question pendant presque deux nuits. Sa tâche n’est pas facile puisqu’il s’agit pour elle d’atteindre quatre objectifs. D’abord, ceux d’un renouvellement visible du Conseil national, en y accueillant, tout à la fois, des communistes de sensibilités diverses et qui, pour cette raison, en étaient tenus jusqu’alors à l’écart et de « nouveaux communistes », certains de ces derniers ayant adhéré (ou réadhérais) au parti dans les semaines précédant le congrès. C’est ainsi que sont élu-e-s Michel Deschamps, ancien secrétaire de la FSU, l’architecte Roland Castro, la militante du mouvement gays et lesbiennes Michela Frigiolini, le responsable de SOS racisme Nasser Ramdam, les militants associatifs Stéphane Colonneau et Eugène-Henri Moré, l’économiste membre d’ATTAC Jacques Nikonnof et aussi l’universitaire Alain Bertho, le maire de Saint Denis Patrick Braouzec, l’urbaniste Catherine Tricot qui appartiennent aux refondateurs….

Il y a également la volonté d’atteindre la parité hommes-femmes dans la direction. Le congrès de Martigues n’y parviendra pas pour le Conseil national même si la proportion de femmes y augmente très sensiblement.

En revanche, c’est le quatrième objectif, le comité exécutif va réaliser la parité et grandir en nombre avec 44 membres (quand pendant très longtemps le bureau politique n’en comptait qu’entre 15 et 20, essentiellement des hommes).

«Les terrifiants pépins de la réalité»

Le congrès va s’achever sur l’élection des directions et dans une ambiance festive. Il est probable qu’une majorité des délégué-e-s le quitte avec le sentiment d’avoir œuvré, en matière de direction tout particulièrement, au renouvellement de leur parti, à son rassemblement, à en proposer une image plus moderne aux Françaises et aux Français. D’autant plus que quelques moments forts allant dans ce sens ont scandé son déroulement, à l’exemple de celui où Lise London, la veuve d’Arthur London, s’adresse à eux avec flamme et leur annonce sa réadhésion au parti.

Seulement, il y a toujours « les terrifiants pépins de la réalité » (Jacques Prévert, dans le poème « promenade de Picasso »). La gauche plurielle va poursuivre sa marche et Martigues ne pèsera guère pour en infléchir le cours. De sorte que la mutation va apparaître, de plus en plus, comme se résumant à la participation à la majorité et au gouvernement (au demeurant le message du congrès est télescopé dès la semaine suivante par un remaniement ministériel et la nomination d’un quatrième ministre communiste). Et en septembre suivant, à la fête de l’humanité, Robert Hue s’exclame que si elle continue comme ça « la gauche va dans le mur ».

Ce qu’elle ne manquera pas de faire deux ans plus tard, mais ceci est une autre histoire.