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Par Morgan Poggioli

Née d’une scission de la CGT, qui fait suite à celle opérée un an plus tôt sur le plan politique entre SFIO et SFIC, la CGTU constitue la première expérience, courte et mouvementée, d’un syndicalisme communisant dont la CGT d’après-guerre est l’héritière.

Naissance

Les origines de la CGTU remontent à la Première Guerre mondiale qui voit le ralliement de la CGT à l’Union Sacrée et l’affirmation d’un tournant réformiste. La politique de présence symbolisée par son secrétaire général Léon Jouhaux au poste de Commissaire de la Nation marque l’abandon des principes du syndicalisme d’avant-guerre. Face à cette « faillite », quelques noyaux dissidents tentent de maintenir un idéal internationaliste, révolutionnaire et pacifiste. Cette minorité composite regroupant anarchistes, libertaires, syndicalistes révolutionnaires et socialistes dissidents s’organise à partir de 1916 au sein du Comité de Défense syndicaliste (CDS), appuyée par les conférences de Zimmerwald et de Kienthal, puis par la poussée revendicative de 1917.

Au sortir de la guerre, la CGT se retrouve ainsi divisée entre une majorité défendant la stratégie adoptée durant quatre ans et une minorité structurée plus récemment, mais renforcée par les effets induits des révolutions russes de 1917 qui soulèvent de grands espoirs. De plus, la création de la Troisième Internationale en 1919 puis de l’Internationale Syndicale Rouge (ISR) en 1921 agit comme un phare et ressuscite, aux yeux des minoritaires, les idéaux du socialisme et du syndicalisme d’avant-guerre que la 2e Internationale avait abandonnés.

Suite au CDS, sont créés les Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), appelés à organiser la minorité et renverser l’équipe dirigeante de la CGT. Renforcés par les grandes grèves de 1919 et de 1920, c’est un véritable rapport de force qui s’engage entre une majorité dépassée par la radicalisation des masses et une minorité qui voit se rallier à elle de nombreux syndicats et une nouvelle génération militante. Le congrès confédéral qui se tint en juillet 1921 confirme les progrès des opposants : seules 250 voix sur 3000 séparent les deux tendances. Mais en septembre, la majorité obtint de justesse l’interdiction des CSR, sous peine de sanctions.

Les premières victimes en furent les cheminots « minoritaires » exclus de leur fédération en novembre 1921. En réaction, onze fédérations et quatorze unions départementales convoquent un congrès pour les 22-24 décembre 1921. Déclaré irrégulier par la CGT, le congrès minoritaire se réunit néanmoins. La séparation est entérinée de fait, une seconde CGT voit le jour : la CGTU.  Son congrès fondateur se tient six mois plus tard à Saint-Étienne.

Censée ressusciter le syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914, la CGTU n’en sera pas moins, à son tour, déchirée entre les défenseurs de l’héritage français et les partisans du renouveau bolchévique.

Vers un alignement sur Moscou

Si la CGTU adhère à l’Internationale Syndicale Rouge lors de son congrès constitutif, elle le fait « avec réserve » demandant à Moscou de supprimer le lien permanent prévue entre l’ISR et l’Internationale communiste, afin de satisfaire les syndicalistes révolutionnaires attachés à l’indépendance syndicale.  Lénine accepte fin 1922 : la liaison devient facultative et circonstancielle. Dès 1923 et l’occupation de la Ruhr par l’armée française, l’occasion est donnée de mettre en pratique les directives de l’ISR et d’entamer une collaboration entre le parti communiste et le syndicat à l’échelle nationale. La CGTU signe alors avec la SFIC le premier accord circonstanciel sur une base antimilitariste et internationaliste. L’action est désormais commune avec le parti dans le cadre d’un « Comité central d’action contre l’impérialisme et la guerre ». En janvier, la CGTU est la seule centrale syndicale à participer à la conférence d’Essen et à signer avec sept autres partis communistes, le manifeste « contre la paix de rapine de Versailles et pour la lutte contre l’occupation de la Ruhr ».

Mais ce rapprochement dans l’action, associée à la mise en place par le parti communiste des premières commissions syndicales, entraîne l’opposition des anarchistes et des syndicalistes révolutionnaires. Le Congrès extraordinaire de Bourges de 1923 signe alors la victoire de la majorité communiste, avec trois quarts des voix, sur la minorité anarcho-syndicaliste définitivement battue. La voie est désormais ouverte pour le parti communiste qui va de plus en plus marquer son emprise sur la centrale Unitaire, d’autant qu’à partir de 1924 la bolchévisation de la galaxie communiste est en route.

Cette emprise se mesure à la fois au niveau des pratiques et des structures. L’Internationale Communiste estime nécessaire de réévaluer le potentiel révolutionnaire des peuples colonisés et appelle les PC et organisations satellites à réorienter leur politique en ce sens. C’est ainsi qu’en 1925, suite à l’intervention militaire française contre la rébellion marocaine d’Abdelkrim, PCF et CGTU sont incités à mener campagne contre l’impérialisme français et pour l’indépendance du Maroc. Le mouvement de protestation lancé en commun par le PCF, la CGTU et l’ARAC – via le Comité Central d’Action – trouve son point culminant avec le déclenchement de la grève générale du 12 octobre 1925 qui s’avère un demi-échec. Première grève politique de l’entre-deux-guerres, elle marque surtout la prédominance du parti sur le syndicat dans l’organisation même du mouvement gréviste.

De surcroît, la bolchevisation vise également à renforcer la centralisation organisations. La restructuration de la CGTU est ainsi orchestrée par l’Internationale syndicale rouge. Le nombre de fédérations professionnelles passe de 37 à 23 et les 80 unions départementales disparaissent au profit de 28 régionales, dans un souci de centralisme et d’alignement sur les structures du Parti communiste qui, de son côté, regroupe ses fédérations départementales en « régions ». Il faut effacer l’héritage de la SFIO.

Le meilleur exemple de cette imbrication/parallélisme entre les deux organisations est donné par Pierre Semard. Membre de la Commission exécutive de la CGTU, il passe au Comité central du PCF en janvier 1924. Au mois de juin, il en devient le secrétaire général, nommé par l’Internationale communiste lors de son cinquième congrès. À partir de ce moment, Semard s’emploie à tisser des liens entre le parti et la CGTU qui, de circonstanciels, vont s’affirmer permanents, faute d’être encore organiques.

Volet revendicatif

Malgré le rapprochement de la CGTU avec le PCF qui entraine tensions et départs, à l’instar des anarchistes qui quittent la CGTU pour fonder la CGT-SR, la centrale Unitaire progresse et affiche des effectifs tout à fait méritoires (entre 350 000 et 400 000 adhérents), concurrençant la CGT confédérée (environ 500 000).

Cette réussite s’explique entre autres par une attention particulière portée au volet revendicatif. La CGTU revendique en effet l’instauration de congés payés ainsi que celle de délégués ouvriers à l’hygiène et la sécurité pour répondre à la taylorisation du travail.

En 1927, le 4e congrès de la CGTU discute de la question d’un syndicalisme à bases multiples susceptible de retenir les ouvriers dans les syndicats, en constituant des caisses de grève, de chômage, des caisses de secours mutuels ou des coopératives ; en somme un réseau d’organisations et de moyens susceptibles de répondre aux intérêts immédiats des ouvriers dans et hors le lieu de travail.

La période classe contre classe

Après cette période de croissance, la nouvelle ligne « classe contre classe » de l’Internationale communiste adoptée en 1928 met un terme au développement de la CGTU. À son cinquième congrès qui a lieu en septembre 1929, l’ISR et l’IC exigent d’elle une affirmation définitive de la subordination du syndicat au parti communiste. Les affrontements sont violents, mais la CGTU reconnaît finalement le rôle prédominant du PCF considéré comme « seul parti du prolétariat de la lutte de classes révolutionnaires […] seule avant garde prolétarienne dirigeante du mouvement ouvrier ». Désormais inféodée au parti communiste, la politisation de la CGTU s’illustre en particulier par la tentative de mobilisation ouvrière contre les éventuelles menaces d’invasion de l’URSS par les puissances impérialistes. Le 1er août 1929, la CGTU participe donc aux côtés du PCF à la 1re journée internationale « contre les menées impérialistes et la préparation à la guerre contre l’URSS ».

Malgré l’échec, la journée est reconduite sans plus de succès, mais isole un peu plus la CGTU qui voit ses effectifs s’effondrer à 200 000 membres. Même si elle demeure le relais privilégié des thèses communistes en direction des masses (le PCF tombant quant lui à moins de 30 000 adhérents durant cette période), la relégation de la dimension revendicative éloigne les ouvriers de la centrale Unitaire, marquée de plus par son sectarisme. En effet, la radicalité de la ligne « classe contre classe », qui range la social-démocratie parmi les adversaires au même titre que les fascistes, conduit la CGTU à considérer la CGT comme un syndicat « jaune », traître à la classe ouvrière.

Au moment de l’adoption de la loi sur les Assurances sociales en 1930, la CGTU mène campagne contre cette réforme défendue par la CGT. La CGTU compare cette loi à une « escroquerie » et propose comme contre-exemple le système d’assurances russes, marquant une nouvelle fois son alignement sur le modèle soviétique. On remarquera au passage la personnification des attaques contre la CGT par la récurrence des caricatures de son secrétaire général, Léon Jouhaux, tantôt poignardant dans le dos la figure de l’ouvrier aidé par les factieux (affiche précédente), tantôt siégeant aux cotés des piliers de l’État bourgeois, ennemis de la classe ouvrière que sont la police, l’armée, la religion et le grand capital (tract ci-dessous).

Vers l’unité

Alors que la crise économique s’aggrave, que le chômage augmente à partir de 1931-1932, que les pressions patronales s’accroissent et que l’extrême-droite progresse, le mouvement communiste international voit dans cette crise la phase ultime du capitalisme prélude à son renversement par la révolution prolétarienne.  La CGTU qui persiste à considérer la CGT comme un adversaire est ainsi prise à contre-pied de la situation réelle. En effet à l’échelle locale, ou professionnelle, des initiatives sont prises, à partir de 1932, en contradiction avec les directives nationales. Chez les mineurs de la Loire ou du Nord, chez les cheminots, en Saône-et-Loire ou en Drome-Ardèche, des actions communes sont menées entre Unitaires, confédérés et même autonomes, pour la défense des chômeurs, contre la menace fasciste ou l’organisation des 1er mai.

Parallèlement, en 1933, sous l’impulsion de Benoit Frachon, la CGTU commence à dépolitiser son action et à revenir sur le terrain des revendications immédiates avec un certain succès comme dans les mines, le textile ou la métallurgie.

À la suite du coup de force du 6 février 1934, après quelques jours d’hésitation, la CGTU et le PCF organisent la riposte le 9 février, puis elle se joint à l’appel pour la grève générale du 12 février, lancé par la CGT. La fusion des 2 cortèges socialiste-confédéré et communiste-Unitaire à Paris aux cris de « Unité ! » annonce l’amorce d’un rapprochement entre les deux centrales syndicales, rapprochement qui avait déjà été largement opéré en province.

Aussi à partir du printemps 1934, la CGTU se veut le moteur de l’unité syndicale avec la CGT, à l’instar du rapprochement qui s’opère entre le PCF et la SFIO sur le plan politique. Constitution de syndicats uniques, propositions d’actions communes puis de réunification, la CGTU se fait le relais de l’élan unitaire antifasciste qui se manifeste un peu partout en France dans les syndicats.

Il faudra pourtant près de deux ans pour que l’unité syndicale aboutisse. Elle est réalisée en mars 1936, deux mois avant la victoire du Front populaire, au congrès de Toulouse. Les ex-Unitaires, minoritaires au moment de la réunification, vont cependant bénéficier (plus que les ex-confédérés) de la ruée syndicale qui accompagne le mouvement de grèves de mai-juin 1936, grâce à une meilleure implantation dans le secteur industriel. Avec plus de 4 millions d’adhérents en 1937, les équilibres internes la CGT seront bouleversés au profit des ex-Unitaires qui deviendront même majoritaires, en termes d’adhérents, à partir de 1938.