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© Ted Eytan

A l’approche des élections de mi-mandat qui se tiennent le 8 novembre aux Etats-Unis, nous vous proposons une sélection d’articles pour en éclairer les enjeux. Les républicains pourraient à l’issue de celles-ci prendre le contrôle de la Chambre des représentants ou du Sénat, voire des deux, compliquant ainsi l’action du président Biden. Selon Jim Cohen, plus de 200 candidats du Grand Old Party clairement d’extrême droite pourraient contester le résultat de l’élection s’ils ne sont pas élus. Face à ces manœuvres, les progressistes, à l’image de Max Elbaum du magazine Convergence, appellent les forces de gauche à se rassembler, les électeurs à se rendre aux urnes et à sécuriser les victoires démocrates. Il en va de l’avenir de la démocratie américaine, car comme le redoute Mark Kesselman, si les républicains l’emportent, ils s’emploieront à mettre en œuvre leur projet de « coup d’Etat légal » visant à assurer durablement leur domination. Dans ce contexte politique à haut risque, que feront les catégories populaires et notamment les travailleurs précaires dont une part significative, comme nous l’explique Donna Kesselman, se mobilise depuis 2021 pour exiger de meilleures conditions de vie et une hausse des salaires à travers la syndicalisation et des grèves inédites depuis les années 1970 ? Rien n’est encore joué.

A quelques jours des élections de mi-mandat aux Etats-Unis : la démocratie électorale en jeu

Par Jim Cohen
Le 4 novembre 2022

A quelques jours des élections de mi-mandat aux Etats-Unis, voici quelques observations sur les enjeux de ces élections. Mon point de vue est situé, autant le dire d’emblée : c’est le point de vue d’un citoyen et électeur étatsunien qui vit en France et milite à gauche, ce qui n’exclut pas d’occuper des espaces politiques ouverts dans la mouvance des démocrates.

Partout les médias présentent les démocrates comme ayant déjà perdu au moins la Chambre des représentants, peut-être le Sénat aussi.  La discussion publique reste trop centrée sur les raisons d’un échec annoncé et les conséquences possibles d’une défaite. Ce qui limite la possibilité d’examiner ce qui est véritablement en jeu dans l’immédiat. Il faut constamment le rappeler : la démocratie est en danger (j’écris simplement « la démocratie » pour aller vite car on pourrait commenter longuement les limites de la démocratie étatsunienne, mais je me réfère évidemment à la démocratie électorale, c’est-à-dire la possibilité d’avoir des élections propres et transparentes).

Chacun sent que ces élections ne sont pas ordinaires, que l’enjeu est historique. Ne peut-on pas l’attribuer au degré exceptionnel de polarisation politique ? Ce n’est pas faux, mais le terme peut donner l’impression d’une dynamique symétrique, où les forces en présence « se polarisent ». Ce serait une vue abstraite des choses car c’est clairement le Parti républicain qui pousse à la polarisation, dénonce l’adversaire comme un ennemi et attribue aux démocrates des positions fantasmées pour mieux les dénoncer. Biden en tête, les démocrates seraient tous partisans d’une « frontière ouverte » avec le Mexique et d’une réduction radicale du financement de la police, de cours d’éducation sexuelle au jardin d’enfants, etc. La théorie du complot « QAnon » n’est jamais très loin et des dizaines de candidats y font référence sans gêne. Pour les républicains, Biden porte la responsabilité de l’inflation (phénomène international) et d’une vague de criminalité dénoncée avec vigueur, mais dont l’existence statistique n’est pas prouvée. La polarisation n’est pas symétrique, ce sont les républicains qui instaurent une ambiance de soupçon et de violence.

La tension régnait déjà lors des midterms de 2018 sous Trump qui ont fait perdre la Chambre aux républicains, mais en 2022 l’ambiance est encore plus lourde. En 2018, une poignée d’élu.e.s de gauche, se réclamant pour certains du socialisme démocratique, sont entrées à la Chambre des représentants ; quelques républicains d’une droite extrême aussi. Mais en 2022 nous sommes en présence de toute une nouvelle génération de candidats trumpistes ou trumpoïdes – des centaines. Plus de 200 candidats républicains à l’échelle nationale ont publiquement nié le résultat de l’élection présidentielle de 2020 et seraient sans doute capables de mettre en doute de futurs résultats officiels dans leurs Etats respectifs, ou nationalement, si ces résultats ne leur plaisent pas. Parmi ces candidats, au moins quatre seront directement chargés, s’ils sont élus, de gérer les élections de leur Etat : les candidats républicains au poste de Secretary of State en Arizona, au Nevada, au Michigan ainsi que le candidat au poste de gouverneur de la Pennsylvanie.

Vue de gauche cette campagne est extrêmement frustrante et inquiétante. Pour empêcher les républicains « MAGA » (Make America Great Again), le front uni s’impose, il importe de défendre les candidats démocrates où qu’ils soient et quels qu’ils soient. Même quand ils ne sont pas très à gauche ou pas du tout, ils sont plus respectueux de l’Etat de droit et de la vérité que les républicains qu’ils ont en face.

Le bilan que les démocrates ont à défendre est hautement contradictoire : d’une part, depuis début 2021, des sommes d’argent record sont versées, pour aider les personnes affectées par la pandémie, pour modérer les prix de certains médicaments scandaleusement chers, pour améliorer et moderniser une infrastructure vieillie, pour promouvoir une reconversion énergétique ; des crédits d’impôts qui ont permis d’extraire des millions d’enfants de la pauvreté, etc. Une partie de la dette des étudiants endettés a été annulée par ordre exécutif. L’influence de la gauche sur l’administration Biden est visible. Des mesures fortes, voire transformatrices, étaient nécessaires pour répondre à une crise de grande envergure, à la fois la récession provoquée par la pandémie et la crise de l’ordre politique. L’intention des démocrates était d’aller beaucoup plus loin, mais comme on le sait une partie importante de l’agenda législatif démocrate a été tronquée à cause du refus de deux sénateurs n’ayant de démocrates que le nom, dont les intérêts matériels étaient en contradiction avec l’idée d’une vraie « transition verte ».

Ce bilan réel, quoique tronqué, des démocrates n’a pas été très efficacement défendu en campagne à l’échelle nationale. Le parti au pouvoir s’est mieux battu pour la liberté des femmes de disposer de leur corps – liberté conquise dans les années 1970, dont des millions de femmes sont désormais privées par l’arrêt de la Cour suprême dans l’arrêt Dobbs de juin 2022. La colère provoquée par cette régression monumentale, et par le profil de plus en plus extrémiste des républicains, ne manquera pas de mobiliser beaucoup d’électrices et d’électeurs. Mais l’effort risque d’être insuffisant pour permettre aux démocrates de garder leur maigre majorité de la Chambre des représentants. Quelques jours avant le 8 novembre il n’est pas certain non plus que les démocrates puissent garder le contrôle du Sénat. De nombreux commentateurs de gauche (voir ici l’exemple de Jeet Heer dans The Nation), lors des dernières semaines de la campagne, incitent les démocrates à s’intéresser beaucoup plus à la condition des Américains ordinaires, de manière à élargir leur base électorale en direction des couches populaires.

Trop peu, trop tard ? Nous verrons le 9 novembre. Le résultat le plus probable : un basculement dans l’autoritarisme dans plusieurs Etats où les républicains élus trumpistes décident ne plus respecter la volonté des électeurs (l’Arizona et le Nevada étant des cas particulièrement préoccupants). L’élection présidentielle de novembre 2024 n’est plus très loin et face aux républicains transformés en parti d’extrême droite, les démocrates sont sur la défensive. La gauche pourrait accueillir à la Chambre quelques nouveaux élu.e.s – voir le cas de Summer Lee de la 12e circonscription de la Pennsylvanie – mais le rapport de forces à l’échelle nationale reste défavorable.

Jim Cohen

Jim Cohen est professeur à la Sorbonne Nouvelle, membre des Democratic Socialists of America (DSA) et des Democrats Abroad France.

L’Amérique vers une cohabitation explosive

Par Mark Kesselman
Le 25 octobre 2022
Telos

Quel usage le parti républicain fera-t-il de son pouvoir si, comme c’est presque certain, il prend le contrôle de l’une ou des deux chambres du Congrès lors des élections de mi-mandat en novembre – un succès facilité par ce que j’ai décrit ailleurs comme un coup d’État légal[1] ? En temps normal, le système américain de séparation des pouvoirs fait qu’une situation de cohabitation produise une impasse, un statu quo. Mais on peut craindre cette fois-ci que le résultat soit substantiel : les républicains utiliseront leur pouvoir au Congrès non seulement pour bloquer les initiatives présidentielles, mais aussi pour remodeler la politique américaine dans des directions réactionnaires, ultra-droitières et antidémocratiques.

La situation politique actuelle de l’Amérique est souvent décrite à travers l’image d’une polarisation partisane, résultat de la dérive des deux partis vers les extrêmes politiques. Toutefois, cela reflète une mauvaise compréhension de ce qui s’est passé. Si le parti démocrate s’est un peu déplacé vers la gauche, le Grand Old Party (GOP) est devenu un parti de droite radicale qui a violé les normes et procédures démocratiques en rejetant les résultats des élections et en participant à des insurrections. La journaliste Jennifer Rubin commente : « Ce n’est pas de la polarisation lorsqu’un parti reconnaît les résultats d’une élection démocratique et que l’autre ne le fait pas. C’est une radicalisation du GOP[2]. » Dans le même temps, le GOP a adopté des politiques sociales et économiques racistes, xénophobes, homophobes et réactionnaires. Bien que le virage du parti vers l’extrême droite ait largement précédé l’ascension politique de Donald Trump, il s’est accéléré depuis son élection en 2016 et a atteint de nouveaux sommets (ou, plutôt, de nouvelles profondeurs) depuis sa défaite en 2020[3]. D’autres réactions et régressions sont probables après les élections de mi-mandat, lorsque le Parti républicain gagnera un substantiel pouvoir supplémentaire, et lorsqu’il deviendra encore plus extrême et réactionnaire parce que des candidats ultra-droitiers au Congrès, qui ont récemment remporté les primaires du GOP contre des titulaires moins extrêmes, seront élus.

Si le GOP prend le contrôle de l’une ou l’autre ou des deux chambres du Congrès en novembre, on peut s’attendre à différents développements. Tout d’abord, en bloquant les initiatives du président Joseph Biden pour faire face au changement climatique et répondre aux défis touchant à l’économie, à la santé publique et à la gouvernance démocratique, le GOP exacerbera ces graves crises pour le reste du mandat de Biden. Ensuite, l’influence du parti républicain ira bien au-delà du blocage des propositions démocrates. Les républicains du Congrès obtiendront un levier pour remodeler les politiques publiques lors des négociations budgétaires annuelles. Si le président Biden rejette les demandes d’extrême droite du GOP et qu’au moins une chambre refuse d’approuver le budget, une grande partie de l’activité gouvernementale sera interrompue. En outre, si le GOP choisit de s’opposer au relèvement du plafond de la dette du gouvernement fédéral, comme les dirigeants en font planer la menace, la faillite du gouvernement américain qui en résulterait créerait une crise financière sans précédent aux États-Unis et dans le monde.

Quels types de changements politiques le GOP exigera-t-il ?

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Deux semaines avant des élections de mi-mandat à fort enjeu, deux ans avant 2024

Par Max Elbaum
Le 25 octobre 2022
Convergencemag

Nous ne savons pas comment l’élection va se dérouler, mais nous savons ce que nous devons faire : voter, protéger nos victoires, évaluer notre situation et nous rassembler pour 2024. Les élections de mi-mandat sont dans deux semaines et personne n’a plus qu’une vague idée de ce que seront les résultats. Mais si l’on sort des sentiers battus, des résultats contradictoires des sondages et des récits des médias, on constate qu’il existe de nombreuses certitudes sur ce à quoi nous aurons affaire le mercredi 9 novembre.

Tout d’abord, la volonté de MAGA (Make America Great Again) de s’emparer de la Maison-Blanche en 2024 via la suppression des électeurs, la désinformation et la démagogie – et, si nécessaire, un « coup d’État légal » qui passe outre la volonté des électeurs – va s’intensifier. Une proportion non négligeable de détracteurs MAGA de l’élection qui ont moins de voix que leurs adversaires vont prétendre qu’ils ont gagné.

Deuxièmement, la majorité de la Cour suprême continuera à fonctionner comme le bras judiciaire du mouvement MAGA lorsqu’elle traitera les affaires clés de son agenda de 2023 sur les thèmes suivants : les droits de vote, le gerrymandering partisan et la « doctrine de la législature indépendante de l’État ». Et ce n’est pas le moins important, il faudra tout ce que l’aile progressiste du front anti-MAGA a pour l’empêcher d’atteindre ses objectifs. Il sera essentiel de passer rapidement d’une étape à l’autre de la lutte. Au cours des deux prochaines semaines, il faudra tout mettre en œuvre pour accroître la participation et la persuasion des électeurs. Le jour du scrutin et pendant les semaines qui suivront, le défi de protéger chaque victoire électorale sera au premier plan. Nous devrons alors passer à une évaluation sérieuse et sans complaisance de l’équilibre des forces à tous les niveaux de gouvernement, dans l’opinion publique et dans les institutions, et du degré d’unité de chaque tendance politique en présence.

Ensuite, nous nous lancerons dans les deux années qui nous séparent de 2024. Nous aurons besoin d’une combinaison habile de campagnes, de construction de base, de messages et d’engagement cohérent des électeurs pour nous positionner de manière à (1) galvaniser la plus grande répudiation possible de MAGA ; et (2) sortir du scrutin de 2024 plus unis et dans une position plus forte par rapport aux autres courants politiques du bloc anti-MAGA.

Transformer un match nul en une vague bleue

Quoi que disent les experts et les sondages sur l’avantage supposé du GOP dans la dernière ligne droite des élections de mi-mandat, tout est à prendre. Chaque vote va faire la différence. La grande majorité qui s’est opposée à MAGA en 2018 et en 2020 est toujours là et peut être galvanisée par un effort de dernière ligne droite axé en particulier sur les États et les districts du champ de bataille (voir Time for a Big October Push to Beat the Right, par Eddie Wong et cette vue d’ensemble stratégique du Sénat et de la Chambre pour 2022 du Movement Voter Project).

Bernie Sanders donne le rythme avec un dans huit états une campagne éclair de 19 événements.  L’ensemble du mouvement progressiste a beaucoup à apprendre de sa stratégie constante consistant à s’en prendre à la classe des milliardaires et à défendre un programme pour la classe ouvrière tout en participant de tout cœur au vaste front anti-MAGA.

Le jour du scrutin, nous devons nous opposer fermement aux tentatives de harcèlement et d’intimidation des électeurs électeurs de couleur. Et dans la foulée, nous devons frapper fort contre toute contestation de la légitimité du décompte des voix dans les élections perdues par les candidats MAGA. Les projets de protection des électeurs sont à pied d’œuvre, formant des observateurs de bureaux de vote pour défendre les droits des électeurs et préparant des actions post-comptage des voix pour défendre les résultats. Pour plus d’informations ou pour vous inscrire, consultez le projet de protection des électeurs ou le programme Frontline Election Defenders.

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Vers 2024

Les plans d’action spécifiques pour les deux prochaines années de travail devront attendre que la poussière retombe et que nous ayons une idée du terrain après le mi-mandat. Mais les contours de la menace MAGA se dessinent déjà en relief, de sorte que bon nombre des principaux éléments de tout plan 2022-2024 peuvent être identifiés dès maintenant.

  • Lier la lutte pour la démocratie politique à des améliorations matérielles dans la vie quotidienne de la majorité populaire doit faire partie intégrante de l’organisation progressiste, du développement d’un récit convaincant et – selon les détenteurs du pouvoir législatif – de l’élaboration d’un plan d’action défense de ou de défense contre des pièces spécifiques de la législation fédérale.
  • Seule une approche qui relie les luttes pour la justice raciale et de genre à la défense – et à l’expansion – de la démocratie peut exploiter l’énergie et le leadership des circonscriptions essentielles pour vaincre la menace MAGA. Et aucun mouvement durable ne peut être construit si les progressistes ne sont pas en première ligne des luttes contre le changement climatique et la guerre, le militarisme et l’empire.
  • Même si les progressistes se concentrent sur l’engagement électoral comme étant essentiel pour empêcher un régime autoritaire, nous devons investir dans un travail qui est crucial pour l’avenir à long terme de la politique progressiste. MAGA a travaillé pendant des décennies pour transformer les églises évangéliques blanches en organisations de droite dynamiques et de masse. Nous devons faire de même avec des formes de gauche à cette échelle – ce qui signifie avant tout reconstruire le mouvement ouvrier – ou nous ne dépasserons jamais le stade des combats défensifs les uns après les autres.

À des degrés divers, tous ces défis sont relevés par des segments clés du mouvement progressiste actuel. Mais la coordination entre les différents groupes – messages unifiés, allocation efficace des ressources, division du travail, diffusion plus rapide des meilleures pratiques d’organisation – n’est pas développée. MAGA fonctionne comme une force unifiée, tandis que les progressistes restent fragmentés. Cela doit changer si nous voulons devenir un concurrent pour le pouvoir politique. Le plus récent appel à notre mouvement pour qu’il agisse de manière décisive sur ce front – Time to Re-Align : We Can’t Win from Our Safety Zone – mérite une attention sérieuse.

Pour souligner les enjeux, voici la prière d’ouverture lors du dernier rassemblement mené par un fils du chef du parti républicain, ainsi que l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, Michael Flynn. Peu avant une apparition du candidat du GOP au poste de gouverneur de Pennsylvanie, ils ont entonné :

« Dieu, ouvre les yeux de l’entendement du président Trump, afin qu’il sache comment mettre en œuvre une intervention divine. Et tu ne l’entoureras pas d’ordures de RINO (Republican In Name Only, en français « républicain de nom uniquement »), au nom de Jésus. »

Max Elbaum est membre du comité de rédaction du magazine Convergenceet l’auteur de La révolution dans l’air : Les années 60 radicaux des  se tournent vers Lénine, Mao et le Che (Verso Books, troisième édition, 2018), une histoire du « Nouveau mouvement communiste » des années 1970-80, auquel il a participé activement. Il est également co-éditeur, avec Linda Burnham et María Poblet, de Power Concedes Nothing : How Grassroots Organizing Wins Elections (OR Books, 2022).

Les travailleurs américains à l’heure des élections à mi-mandat de 2022

Par Donna Kesselman
Le 6 septembre 2022
AOC Média

La remise au centre de la scène politique américaine de l’emploi ouvrier est une perspective qui semblait révolue depuis l’avènement de la mondialisation ; elle a été paradoxalement portée par l’héritier milliardaire Donald Trump.  Ce sont les voix des ouvriers blancs des États clés du Midwest – Pennsylvanie, Wisconsin, Michigan –, qui ont permis à Donald Trump de devenir le 45e président des États-Unis en 2016.  Le besoin de récupérer sa base ouvrière a poussé à gauche en 2020 le démocrate centriste Joe Biden, de même que la mobilisation des travailleurs pendant la pandémie.  Leurs voix restent un enjeu pour les élections de 2022.

A la veille des midterms du 8 novembre, les travailleurs américains sont à l’offensive pour la première fois de mémoire. Une véritable vague de syndicalisation s’est répandue aux États-Unis parmi les travailleurs à bas salaire du secteur des services, en première ligne pendant la pandémie de Covid-19. Les secteurs industriels traditionnellement syndicalisés connaissent une montée des grèves. Le pic d’octobre 2021, le « Striketober » (contraction de strike, grève, et October), représente avec plus de 100 000 Américains ayant fait grève, la plus forte mobilisation sociale dans le pays depuis les années 1970. Ce mouvement de protestation est d’abord et avant tout l’expression d’un éveil des consciences. A titre individuel des travailleurs négocient leur salaire ou changent d’emploi, engagés dans le phénomène de la « Grande démission ». 26% de la population active non agricole ont démissionné en 2021, des niveaux sans précédent. Les employés les plus concernés par le phénomène sont ceux du secteur des services à bas salaire, non syndicalisés, qui ont subi de plein fouet les conséquences de la pandémie.

En effet, si les revendications des travailleurs sont, pour beaucoup d’entre elles, anciennes, celles qui ont été portées lors de ces événements ont pour origine la dégradation des conditions de travail et de rémunération pendant la pandémie. Or, l’élan et l’enthousiasme ne doivent pas dissimuler les obstacles importants ni la conjoncture économique favorable, mais qui semble être en passe de changer.

Pour une analyse de cette situation voir : Donna Kesselman, « Le retour en grâce du syndicalisme américain ».

Sur la mobilisation des employés syndiqués de Starbucks, voir aussi : Christophe Deroubaix, « En Virginie, la traînée de poudre de la syndicalisation chez Starbucks », Les coulisses de l’Amérique, publié dans l’Humanité, le 20 octobre 2022.

États-Unis. La « génération Sunrise » dans l’action directe plus que dans le vote

Par Christophe Deroubaix
Le 2 novembre 2022
L’Humanité

Sur le campus de l’université George-Washington, les jeunes militants contre le changement climatique participeront aux élections de mi-mandat du 8 novembre, mais sans illusions, ni espoirs. Pour eux, pas question de porte- à-porte électoral mais des initiatives comme « Funérailles pour le futur ». Washington D.C. (États-Unis), envoyé spécial.

« Damage control. » En deux mots, Spencer s’est évité toute grande thèse politique et a résumé l’état d’esprit général. Le 8 novembre, ce jeune étudiant en dernière année de masters (en histoire et études sur la paix) ira donc voter pour le candidat démocrate dans la circonscription de Santa Barbara (Californie), dans laquelle il est inscrit. Sans hésitation mais sans illusions. « J’ai vu trop de candidats promettre et ne pas tenir leurs promesses », souligne-t-il pour justifier son manque d’enthousiasme. Il votera démocrate pour « limiter les dégâts » (damage control) et empêcher les républicains de prendre le pouvoir. Pas moins, mais pas plus. Le « doyen », au magnifique tee-shirt rouge à la gloire du syndicat IWW (1) – « Je suis moi-même un Wobbly », dit-il – est raccord avec ces collègues investis dans le « hub » (équivalent d’une section) de Sunrise (2), la grande organisation à l’université George-Washington (GWU), en plein cœur de la capitale fédérale.

Ils sont réunis en nombre, ce samedi matin, dans un local situé au sous-sol d’un bâtiment en briques pour une initiative de nature politique mais pas de portée électorale. Pas de porte-à-porte pour les candidats démocrates mais des « Funérailles pour le futur ». Bella, 19 ans, étudiante en 2e année d’études américaines et de communication politique, coordinatrice de Sunrise, explique le sens de ce choix : « On décide de faire une action à l’échelle de notre campus, en militant pour couper le lien entre l’argent des industries fossiles et la recherche académique. Ça nous semble plus efficace. » Depuis plusieurs mois, les jeunes militants de Sunrise revendiquent l’interruption du financement de l’une des plus anciennes universités du pays par les industriels fossiles. Et c’est donc cette action ciblée qui requiert toute leur énergie militante.

Défiance à l’égard du parti de Joe Biden

Quatre cents étudiants de GWU sont affiliés à Sunrise, une cinquantaine en constituant le « noyau dur ». Ils sont tous membres de la génération Z (nés depuis 1997), celle qui porte un regard plus sympathique sur le socialisme que sur le capitalisme, selon une récente étude du Pew Research Center. Chez les jeunes électeurs démocrates, le ratio est de 2 à 1 : 58 % ont une idée favorable du socialisme, contre 29 % seulement du capitalisme. Le hiatus avec des élites démocrates toujours très consensuelles débouche sur la défiance des plus politisés de ces « Gen Z » à l’égard du parti de Biden… « On ne veut pas perdre du temps avec des élus qui ne voteront pas les lois dont nous avons besoin. On ne peut manifestement pas compter sur le gouvernement pour se débarrasser des industries polluantes », reprend Bella, originaire de Sugar Land, au Texas, dans la banlieue de Houston. Elle n’a pas encore 20 ans, mais parle d’expérience : « J’ai été “organizer” pendant plusieurs campagnes au Texas, donc j’accorde de la valeur au processus électoral. Mais je vois à quel point nous pouvons ne pas être entendus. »

Rupture générationnelle

La joyeuse équipe – majoritairement composée de jeunes femmes –, qui manie ciseaux et pinceaux pour préparer le happening anti-énergies fossiles, assume la « rupture générationnelle » avec leurs parents. À l’image de Kate, 19 ans, en 2e année. Elle étudie à la fois les statistiques et les politiques publiques de santé. Arrivée de son Illinois natal à peine majeure, elle s’est politisée sur le campus. Depuis peu, elle s’occupe de la « communication » de Sunrise à GWU. « Chaque génération est façonnée par ce qu’elle traverse, développe-t-elle. Pour mes parents, c’était la guerre froide . Ma mère a fait partie du mouvement anti-guerre au Vietnam. Pour moi, c’est ce qui s’est déroulé après. Il y a un sentiment fort partagé par ma génération liée à l’expérience du capitalisme. Il peut y avoir des jugements un peu différents mais disons que ce qui est très largement partagé, c’est que le “marché libre” ne réglera pas les problèmes que nous rencontrons. » « Mon père est un immigrant, il vient d’Inde. Quand il est devenu américain, le vote était sa façon de se faire entendre, raconte Bella. Nos parents ont toujours connu le capitalisme et ils n’ont jamais eu idée qu’il pouvait y avoir un autre système, alors que nous cherchons une alternative.  »

Ces néocitoyens n’ont pas pour autant fait une croix sur l’élection comme levier de changement. Si, dans la « combinaison entre l’action et le vote, ce n’est clairement pas le vote qui vient en premier », comme le stipule Kate, elle n’en espère pas moins « pouvoir faire partie d’une campagne qui (lui) convienne lors de la prochaine élection présidentielle ». Pada, 20 ans, en 2e année d’études américaines, déjà très investi dans les grèves dans son lycée à New York, envisage de devenir organizer lorsqu’il aura obtenu son diplôme. « Globalement, on ne fait pas confiance aux élus – avec quelques exceptions – et comment le pourrait-on ? » Alors, il va se charger de la politique lui-même.

(1) International Workers of the World, fondé en 1905, dont l’un des principes est l’abolition du salariat.
(2) Organisation d’action politique qui lutte contre le changement climatique. Elle est à l’origine de la proposition de New Deal écologique.

Fractures américaines

Par Julie Gacon
Cultures Monde, France culture

À l’occasion des élections de mi-mandat, France culture propose une série d’émission pour faire un état des lieux des fractures (politiques, sociales, économiques…) qui divisent la société américaine.

Dans le 3e épisode du 2 novembre 2022, « Black Lives Matter, dix ans de lutte anti-raciste », Charlotte Recoquillon, géographe et journaliste, chercheuse associée à l’Institut français de géopolitique, dresse un bilan des luttes de BLM et nous explique la place que tiennent les questions raciales dans la campagne des midterms.

Regards croisés USA-France. Mouvements et politique en temps de crises

Sous la direction de Daniel Cirera, Guy Groux et Mark Kesselman

Avec les contributions de Daniel CireraGerald FriedmanGuy GrouxHannah HollemanAmbre IvolMark KesselmanHélène Le Dantec-LowryOliver Maheo et Sylvie Ollitrault.

Édité par Arbre bleu avec le soutien de la Fondation Gabriel Péri.

Février 2022.

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