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Essai Dans un ouvrage collectif, des chercheurs, en partant des expériences états-unienne et française, interrogent les rapports entre luttes sociales et partis politiques.
Publié dans l’Humanité, le jeudi 25 août 2022.

Par Stéphane Sirot

En France, les années 2016-2020 ont été marquées par une configuration inédite, avec une succession quasi ininterrompue de mobilisations sociales, depuis celle contre la loi El Khomri jusqu’à celle contre le système universel de retraite, en passant entre autres par l’épisode des gilets jaunes. Cette période illustre le haut degré d’ébullition de la société française, mais également l’incapacité de ces mouvements contemporains à trouver le chemin du succès. Or l’une des raisons tient au fait qu’ils se sont systématiquement fracassés sur le mur du politique.

Au fond, comme le soulignait récemment le constitutionnaliste Dominique Rousseau, pour réussir et « pour s’inscrire dans la durée, les mouvements sociaux doivent se prolonger dans l’institution ». Encore faut-il que le champ politique soit en capacité de s’emparer des aspirations exprimées et que, en retour, ces dernières pensent trouver une proposition correspondant à leurs attentes. Or l’inadéquation entre l’offre et la demande semble patente.

Une faiblesse idéologique de part et d’autre de l’Atlantique

Cliquez sur l’image pour accéder au programme des initiatives de la Fondation à la Fête de l’Humanité 2022.

Le présent ouvrage, projet de la Fondation Gabriel-Péri et fruit d’une riche collaboration entre universitaires français et anglo-saxons, est utile pour appréhender le processus de longue durée qui a conduit à cette situation. Centré sur la « mise en regard des rapports entre les mouvements sociaux et politiques », comme l’indique Daniel Cirera en introduction, il donne à réfléchir sur les raisons pour lesquelles, tant aux États-Unis qu’en France, le monde ouvrier et, au-delà, les classes populaires se sont nettement désaffiliés des organisations syndicales et partisanes censées les représenter, pour notamment se réfugier dans l’abstention ou rechercher du côté des problématiques identitaires une illusoire réponse à leurs maux.

Mais, ainsi que le montre le chapitre de Mark Kesselman intitulé « Le populisme, une réponse à la crise de la politique ? », la tentation est en l’occurrence d’autant plus forte que l’extrême droite s’est tactiquement emparée de thématiques aux résonances sociales auparavant préemptées par la gauche.

Bien sûr, les différences sont notables entre les histoires, les cultures, les revendications, les pratiques des organisations et des conflits sociaux de part et d’autre de l’Atlantique. C’est par exemple ce que montre Guy Groux, dans un chapitre comparatif sur « deux modèles d’action collective mis en abyme. Syndicalisme et politique ». Mais les points communs structurels paraissent l’emporter à bien des égards.

La « revanche » néolibérale qui a suivi les Trente Glorieuses, décrite par le professeur d’économie Gerald Friedman, s’est déployée en ne trouvant sur son chemin que la « faiblesse idéologique de l’opposition » et le « manque d’une analyse critique de la crise actuelle », sur fond de conversion d’une grande partie de la gauche au néolibéralisme et de recentrages du syndicalisme.

Les jeunes générations en demande d’activisme

Progressivement, les bataillons habituels des forces de progrès ont pris leurs distances, alors que celles-ci troquaient les clivages économiques et sociaux par des clivages sociétaux réputés entrer en résonance avec un électorat urbain diplômé dont le soutien était désormais recherché.

L’échec de cette stratégie est manifeste. Il appelle non seulement un travail culturel et idéologique indispensable pour penser et cristalliser des luttes volontiers segmentées, mais aussi un renouvellement des pratiques, pour répondre à une demande d’activisme, en particulier parmi les jeunes générations qui ne trouvent plus leur compte dans les méthodes ritualisées, comme l’illustrent les mobilisations écologiques analysées par Hannah Holleman et Sylvie Ollitrault.

Dans un monde où la « société civile » paraît de plus en plus fragmentée, la question posée par Guy Groux dans son chapitre bilan ramasse l’enjeu central du temps présent : « Comment prendre en charge un tel contexte afin de relier à nouveau le monde de la représentation politique et celui des mouvements sociaux ? » Un travail ­d’Hercule dont ceux qui aspirent à davantage de justice sociale ne peuvent s’exonérer.

 

Regards croisés USA-France. Mouvements et politique en temps de crises, sous la direction de Daniel Cirera, Guy Groux et Mark Kesselman, éditions Arbre bleu, 234 pages, 23 euros : commander en ligne.

Pour en savoir plus, regardez la vidéo de présentation de l’ouvrage avec Daniel Cirera et Mark Kesselman.