Par Louis Poulhès
Le Pacte germano-soviétique, puis la guerre, sont l’occasion pour le gouvernement Daladier d’une opération politique de grande ampleur contre les communistes français, avec successivement : interdiction de la presse, dissolution des organisations, internement administratif, déchéance des élus. Le gouvernement Reynaud surenchérit en faisant encourir la peine de mort aux militants.
L’interdiction des publications et la saisie des journaux communistes (24-25 août 1939)
Le premier télex est envoyé à 14h30. « Cre Dre [commissaire divisionnaire] à PM [Police municipale]. Opération commencée à 14h15 et actuellement en cours. Physionomie normale. N’ai engagé que des effectifs réduits. [signé] Rottée. 14h25 ». Le second télex est envoyé à 14h55 au même destinataire par le même expéditeur : « 5 à 6000 exemplaires saisis avant sortie. M. Roches assiste à la destruction des flancs. Calme. »
Le signataire, Lucien ROTTÉE, directeur des Renseignements Généraux d’août 1941 à la Libération, est fusillé en mai 1945. André ROCHES (1902-1968), qui se place en retrait durant l’Occupation, est promu directeur de la police judiciaire en 1952, directeur général de la police municipale en 1955.
Outre de nombreuses publications locales, le PCF dispose de deux très forts vecteurs d’influence, dans une presse écrite alors reine de l’information, avec deux grands quotidiens nationaux : L’Humanité, en quatrième position de la presse nationale (350 000 exemplaires quotidiens) et Ce Soir au sixième rang (260 000 exemplaires quotidiens). Le gouvernement Daladier s’appuie sur la protestation que soulève le pacte dans l’opinion publique française. Il s’attache d’abord à empêcher le PCF de s’exprimer en décidant de frapper sa presse par l’interdiction des publications communistes le 24 août 1939 et en procédant à la saisie des deux grands quotidiens. Celle-ci débute le vendredi 25 août par Ce Soir. L’opération se poursuit le même jour par la saisie de l’édition départementale de L’Humanité, puis celle destinée à la région parisienne imprimée un peu plus tard.
L’opération continue les deux jours suivants par les journaux communistes locaux. La presse d’inspiration communiste est réduite au silence en trois jours, à de très rares exceptions près comme le quotidien en yiddish Naïe Presse, l’hebdomadaire Regards fondé principalement sur le photoreportage, La vie ouvrière hebdomadaire de la CGT dirigée par les communistes, qui paraissent jusqu’à la dissolution du parti un mois plus tard. La reparution des journaux, mais aussi la distribution de tout tracts communistes sont interdites et assorties de peines de prison et plusieurs dizaines d’arrestations sont opérées. Les réunions publiques sont interdites par les préfets dès les 26 et 27 août 1939. Le PCF est muselé au moment le plus difficile pour lui.
La dissolution des organisations communistes (26 septembre 1939)
L’article premier vise la Troisième internationale. L’article 2 précise que toutes les organisations communistes sont visées et que leurs biens seront vendus. L’article 3 interdit la diffusion de tous matériels et publications, mais aussi la détention en vue de leur diffusion. Les peines édictées à l’article 4 sont lourdes : jusqu’à cinq années de prison, des amendes non négligeables et la privation des droits civiques, civils et de famille.
Le 17 septembre 1939, les troupes soviétiques envahissent l’est de la Pologne en application du protocole secret du pacte germano-soviétique et récupèrent en quelques jours les territoires de la Russie d’avant 1917. L’exacerbation de l’anticommunisme et de l’antisoviétisme qui s’ensuit en France incite le gouvernement, neuf jours après, à porter un coup au PCF qu’il espère décisif, par le décret-loi du 26 septembre 1939 qui dissout toutes les organisations communistes.
La décision est mise en œuvre avec célérité. En six semaines, l’essentiel des organisations communistes est dissout, avec d’abord les principales organisations, PCF, organisations de jeunesse, organisations dites de masse, puis la deuxième semaine les organisations étrangères considérées comme communistes dissoutes le 2 octobre 1939. Le 16 octobre, c’est le tour du Secours populaire de France et des colonies, puis des organisations de banlieue à partir du 20 octobre et le 1er novembre de l’ARAC (Association républicaine des Anciens combattants). Pour les syndicats, certaines structures ont écarté les communistes de leur direction, d’autres ont été dissoutes à partir du 8 novembre. Les opérations se poursuivent ponctuellement jusqu’au printemps 1941.
Environ 900 hommes et 150 femmes sont écrouées dans la seule région parisienne sur le fondement du décret du 26 septembre 1939, pour distribution de tracts ou tentative de reconstitution d’organisations communistes, jusqu’à l’Occupation allemande en juin 1940.
L’internement administratif (18 novembre 1939)
Le décret-loi du 18 novembre 1939 donne une arme nouvelle au gouvernement contre les communistes. Il vise deux catégories de personnes : « les individus dangereux pour la sécurité publique », repris de justice de droit commun, « les individus dangereux pour la défense nationale », principalement les communistes.
À la différence des poursuites judiciaires motivées par une infraction, l’internement consiste à enfermer des individus sur le seul caractère de « suspect », pour une durée indéfinie et sur seule décision de l’autorité administrative. Un tel dispositif extrajudiciaire permet de compléter efficacement le dispositif judiciaire de la dissolution.
Dès novembre 1938, un décret du gouvernement Daladier a permis l’internement des étrangers « indésirables », pour lesquels le camp du Rieucros près de Mende est ouvert en janvier 1939. Les semaines suivantes dans le Sud-ouest, des centaines de milliers d’Espagnols fuyant les franquistes et des combattants des brigades internationales sont enfermés dans de très vastes camps. En septembre et octobre 1939, les ressortissants des puissances ennemies sont internés par milliers dans toute la France, y compris les réfugiés antinazis ou les juifs ayant fui le nazisme. À la mi-septembre 1939, le camp du Vernet dans l’Ariège pour les hommes, la plupart anciens brigadistes internationaux, celui du Rieucros pour les femmes, sont destinés aux « étrangers suspects du point de vue national ou dangereux pour l’ordre public ». À l’approche des armées allemandes en mai-juin 1940, une nouvelle vague d’internement affecte les ressortissants des puissances ennemies.
C’est le 19 décembre 1939 que deux camps sont ouverts dans la région parisienne au titre du décret du 18 novembre 1939, Baillet pour les communistes, Vaujours pour les droits communs. Ultérieurement, d’autres camps sont ouverts un peu partout sur le territoire français à cet effet. En janvier, les mobilisables communistes de la région parisienne sont incorporés dans une compagnie militaire spéciale à la ferme Saint-Benoît près de Rambouillet. Le bilan total est de près de 500 internements au 1er mars 1940, dont près de 350 politiques, mais le dispositif continue de monter fortement en puissance jusqu’en juin 1940.
La déchéance des élus
Alors que trente-huit députés sont emprisonnés dès le début octobre 1939 et que nombre d’élus locaux sont suspendus à partir d’octobre 1939, le principe de la déchéance des élus communistes lorsqu’ils n’ont pas répudié le parti est déterminé par la loi du 20 janvier 1940. Pour mettre en œuvre ce principe général, la Chambre des députés déchoit nommément soixante députés le 20 février 1940 ; le Sénat déchoit Marcel Cachin le 29 février 1940.
Le procès de quarante-quatre députés inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 s’engage le 20 mars 1940. Il aboutit le 4 avril 1940 à trente-six condamnations à des peines de prison ferme (dont neuf en fuite sont condamnés par contumace) et huit avec sursis (dont six condamnés sont immédiatement internés).
Pour les élus locaux, ce sont les conseils de préfecture (ancêtres des tribunaux administratifs) qui constatent nominativement la déchéance dans toute la France : dans la seule région parisienne, au total environ 700 conseillers municipaux et dix conseillers généraux en Seine-et-Oise, 550 conseillers municipaux et vingt-quatre conseillers généraux dans la Seine, un peu moins d’une centaine d’élus en Seine-et-Marne. Les élus dans toutes les instances administratives ou judiciaires (conseillers prud’hommes par exemple) sont également déchus.
Début mars 1940, le ministre de l’Intérieur peut faire valoir un bilan de 3400 arrestations dont 1460 dans la Seine et 1500 condamnations, mais aussi la déchéance de 2718 élus et près de 400 internements et assignations à résidence de communistes. Il s’y ajoute l’épuration de 700 fonctionnaires et 3500 radiations d’affectations spéciales, soit au total 8000 mesures individuelles.
La peine de mort pour les activités communistes (le décret Sérol du 10 avril 1940)
Le gouvernement dirigé par Paul Reynaud qui succède à Daladier le 21 mars 1940 est élargi aux socialistes. Le chef du gouvernement se livre à une surenchère dans le contexte de l’inaction de la « Drôle de guerre ». À l’extérieur, il lance une opération ponctuelle en Norvège (Narvik). À l’intérieur, il surenchérit dans la lutte contre les communistes en prenant un décret porté par le ministre socialiste de la justice Albert Sérol, qui qualifie de trahison les activités communistes et fait encourir la peine de mort. Quelques poursuites judiciaires sont lancées sur ce fondement, mais la défaite ne leur donne pas le temps de prospérer.
Le régime de Vichy qui se met en place en juillet 1940, ami des anciens ennemis, ne peut évidemment plus s’appuyer sur le décret Sérol. En revanche, les deux socles de l’anticommunisme d’État, décret du 26 septembre 1939 sur la dissolution des activités communistes et décret du 18 novembre 1939 sur l’internement administratif fondent une bonne part de l’action anticommuniste des autorités françaises durant l’Occupation.
Pour aller plus loin
Louis Poulhès, «26 septembre 1939: la dissolution des organisations communistes», in Histoire documentaire du communisme, Jean Vigreux et Romain Ducoulombier [dir.], Territoires contemporains – nouvelle série, n° 7, 3 mars 2017.
Louis Poulhès, L’anticommunisme d’État à la fin de la IIIe République et au début de l’Occupation allemande 1939-1942, thèse de doctorat sous la direction de Jean Vigreux, Université de Bourgogne, mai 2018, à paraitre dans une version reprise sous le titre L’État contre les communistes aux éditions Atlande.