Le PCF se voulant le «parti de la classe ouvrière», il se valorise en valorisant la classe de référence. Omniprésente dans la propagande communiste, l’image ouvrière est une constante dont l’évolution dit beaucoup de choses sur l’environnement matériel et sur l’outillage mental du monde communiste. L’affiche est en cela un indicateur intéressant de la manière dont le PCF met en scène son identification sociale et politique.
1925, Archives du PCF – Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (AD 93).
Le PCF des années vingt ne se veut pas un parti comme les autres. Il se définit de façon exclusive par son identification sociale au monde du travail. En 1925, alors que le Cartel des gauches est au pouvoir, une affiche synthétise ce parti pris. Face au monde de la guerre, du nationalisme, du capitalisme et de la fiscalité injuste, l’Union soviétique incarne l’alliance numériquement majoritaire des ouvriers et des paysans. Utilisant la simplicité du dessin scolaire, Grandjouan imagine la file ininterrompue des ouvriers franchissant les portes du parti. Si les porteurs de la faucille et du marteau sont en tête, on notera que les paysans sont tout de même bien moins nombreux à le faire !
1930, Archives nationales, programme Parprik@2F.
En 1930, l’Internationale communiste est plongée dans la stratégie « classe contre classe ». Sa représentation du monde est parfaitement binaire. D’un côté l’univers prolétaire des démunis, appuyé sur « leur » État et sur « leur » parti, avec leur force et leur nombre ; de l’autre côté, la bourgeoisie belliciste et prédatrice, avec ses soutiens politiques, de droite comme de gauche (les « social-fascistes », incarnés par Blum et par Herriot). L’horizon a la même simplicité que la stratégie politique : c’est celui de la « France soviétique », qui considère comme siens les emblèmes de l’URSS (faucille, marteau, épis de blé).
À gauche, 1936 ; à droite, 1951. Archives du PCF – AD 93.
Dans les budgets populaires de l’entre-deux-guerres, l’alimentation occupe toujours une place prépondérante. Le pain en demeure une base : symbole majeur du bien-être social et premier terme de la trinité du Front populaire (le Pain, la Liberté, la Paix), il est aussi un clin d’œil à la « main tendue » aux catholiques. Dans les années cinquante, alors que s’annonce l’entrée dans « l’ère de la consommation », le pain garde la même puissance symbolique dans les représentations communistes. Mais il est alors raccordé à ce qui est devenu l’urgence du moment : la lutte pour la paix et donc contre le bellicisme du monde occidental, cause majeure de vie chère.
1945, Archives du PCF – AD 93.
En 1945, le rassemblement social (l’unité ouvrière sanctionnée par la fusion du PC et du PS) et politique (« union des forces républicaines ») vont de pair. Mais désormais le PC est un parti de gouvernement, garant de la « renaissance française » et porteur de l’exigence de modernisation générale de l’économie. Les enjeux sont en arrière-plan : la mécanisation de l’agriculture, la production élargie de charbon, la métallurgie et l’électrification du réseau ferré.
1958, Archives du PCF – AD 93.
À l’automne 1958, l’imagerie est toujours la même : l’ouvrier métallurgiste et le petit propriétaire exploitant – composante masculine exclusive – sont les éléments de base de l’univers mental des communistes. Les couches moyennes salariées ne sont pas encore au cœur des représentations communistes de la société.
1951, Archives du PCF – AD 93.
En 1951, au plus « chaud » de la « guerre froide », le PCF est isolé sur la scène politique française. Il a contre lui la totalité des forces politiques rassemblées dans ce qu’il appelle « le parti américain ». Mais il affirme qu’il a pour lui la majorité sociale que constitue le « peuple ». Dans une France qui s’urbanise de plus en plus, le poids des employés et des travailleurs de l’État bouscule le couple originel de l’ouvrier et du paysan. La campagne législative de juin 1951 met ainsi l’accent sur le bloc salarial (ouvriers, employés, fonctionnaires).
1951, Archives du PCF – AD 93.
Toujours en 1951, le « combat pour la paix » reste l’activité structurante des partis du Kominform, créé par l’URSS en 1947. Le thème du « Nous voulons la paix » est utilisé pour la confection de plusieurs affiches. Le message est clair : la lutte pour la paix et le combat ouvrier sont une seule et même réalité ; c’est au « parti de la classe ouvrière » qu’appartient cet amalgame. Au début des années 1950, l’ouvrier par excellence n’est pas le mineur, mais le « métallo » de la seconde révolution industrielle. Il est à la fois la force tranquille, le noyau agissant des catégories populaires et le garant de l’identification communiste.
1955, Archives du PCF – AD 93.
La France se modernise, mais pour le PCF, la réalité ouvrière du milieu du XXe siècle reste celle de la « paupérisation absolue ». De son côté, la mine reste le symbole de la surexploitation ouvrière qu’a connue personnellement ce « Fils du peuple » qui est à la tête du parti.
1958, Archives du PCF – AD 93.
En 1958, quatre Français sur dix vivent en zone rurale et un cinquième vit de l’agriculture. Au début de cette année 1958, le PCF s’adresse donc au monde rural, représenté dans sa sociabilité traditionnelle du petit village et de son café. Les communistes restent fidèles à leur représentation d’une paysannerie de petits propriétaires exploitants, dont l’horizon est resté le même depuis la Révolution française : non pas la ferme collective soviétique, mais « la terre à ceux qui la travaillent ». Ce qui n’empêche pas de rappeler, en ce début d’année, que la persistance des guerres coloniales et donc le poids des dépenses militaires entravent le soutien financier aux agriculteurs.
1958, Archives du PCF – AD 93.
Quand se prépare le basculement de régime politique en France, le PCF se trouve toujours politiquement isolé. Mais il continue de penser qu’il dispose d’une base sociale majoritaire. Cette affiche de 1958 reprend le thème classique : le PCF est du côté d’un peuple symbolisé par le triptyque de l’ouvrier, du paysan et du travailleur intellectuel (une institutrice). Il a face à lui le capitaliste en haut-de-forme, les représentants de l’armée coloniale et les ultras de l’extrême droite. Entre les deux – et eux seuls – il faut choisir…
1967, Archives du PCF – AD 93.
En 1967, alors que le système des retraites s’est généralisé, ce n’est pas aux « retraités » que s’adresse le PCF, mais aux « vieux travailleurs » confrontés aux difficultés de la vie, qui sont depuis longtemps les objets de son attention. La « vieillesse heureuse » reste un leitmotiv…
1963, Archives du PCF – AD 93.
Après le choc de 1958, le PCF reprend des forces au début des années 1960 et bénéficie du grand retour de la gauche et de la droite, après la longue parenthèse de la guerre froide. Son image de la société se complexifie, en même temps qu’il ébauche sa nouvelle stratégie de « l’union de la gauche ». En 1963, l’affiche communiste s’ouvre plus largement aux questions nouvelles, par exemple celle du temps libre et des loisirs. Aux formes stylisées et aux couleurs adoucies (le rouge vire à l’orange…), l’image évoque le souci du bien-vivre, pour une population en voie de rajeunissement, et dans un monde du travail qui se féminise de plus en plus.
1970, Archives du PCF – AD 93.
En 1970, l’attention au monde paysan n’a pas disparu de l’univers symbolique des communistes. Mais le paysan est désormais représenté dans sa modernité et non dans ses formes traditionnelles. Quant à l’exaltation de la petite et moyenne exploitation, elle se complète de l’insistance apportée à la coopération, considérée comme le seul moyen de combiner la modestie de la propriété et l’étendue des surfaces d’exploitation.
1974, A24, Archives du PCF – AD 93.
Dans la manière dont il se représente sa stratégie de l’union de la gauche, le PCF considère qu’il représente politiquement la part la plus populaire du monde du travail, le PS s’attachant plutôt aux couches moyennes supérieures. En 1974, alors que l’union de la gauche est en pleine expansion et que l’austérité se profile après la crise pétrolière, les communistes mettent l’accent sur le refus des sacrifices imposés aux salariés. Pas de ceinture pour les travailleurs, les grandes entreprises (les « monopoles ») peuvent payer…
1979, Archives du PCF – AD 93.
À la fin des années 1970, la France a entamé son grand repli industriel. En 1979, alors que la mobilisation s’amplifie autour de la sidérurgie, le PCF demande au peintre et tapissier Jean Picart Le Doux une affiche pour valoriser l’idée de la nationalisation de la branche. Dans le style propre à l’artiste (Cf. assiette décorée ci-après), le haut-fourneau et les flammes symbolisent un paysage du fer qui disparaîtra massivement dans la décennie suivante.
1979, Archives du PCF – AD 93.
Jusqu’en 1975, la classe ouvrière est en expansion continue, mais elle se transforme en profondeur. La part des services, la féminisation de l’emploi et l’apport massif de l’immigration modifient le visage du groupe. Le PCF a toujours fait du soutien aux immigrés une dimension de son identification. Mais l’ampleur de la crise et le poids du chômage avivent les tensions sociales, tandis que l’insistance communiste sur le « produisons français » provoque souvent des doutes et des méfiances. En 1979, une affiche entend remettre les choses au point : les lieux de naissance ne divisent pas la classe et la lutte commune renforce les solidarités entre français et immigrés (ici l’affiche entretient la confusion entre « immigrés » et « étrangers »).
1989, Archives du PCF – AD 93.
Le recul de la dépense alimentaire dans les budgets populaires accroît la part attribuée au logement et à la santé. L’envol de la spéculation foncière pousse à l’endettement des ménages et à la hausse des loyers. En encourageant l’investissement immobilier, la loi Méhaignerie de 1986 accentue le phénomène. L’affiche de 1989, en dénonçant les rapaces qui contrôlent le marché immobilier, prend en compte l’émergence d’un nouveau champ pour les luttes urbaines.
1989, Archives du PCF – AD 93.
Le « parti de la classe ouvrière » ne manque pas de figures ouvrières dans sa propagande. Longtemps, c’est le métallo en bleu de travail qui symbolise l’ancrage communiste dans les citadelles de la seconde révolution industrielle. Le modèle a persisté, même quand la désindustrialisation a battu son plein. Dans la période plus récente, la communication du PC a intégré l’évolution du monde ouvrier, son glissement vers d’autres secteurs que celui de la production et sa proximité croissante avec l’univers du salariat. Du côté des communistes, ce ne sont plus seulement des ouvriers au sens strict que l’on met au coeur de la lutte des classes..
À gauche, [Sans date] ; à droite, 1989. Archives du PCF – AD 93.
Les années 1970 s’achèvent avec la fin de « l’insubordination ouvrière ». Les années 1980 les complètent avec la poussée de la « contre-révolution libérale ». Le mouvement ouvrier reflue un peu partout dans le monde, tandis que la France retrouve sa vieille propension rentière. À partir de 1983, la désindustrialisation s’accélère. Après l’expérience gouvernementale de 1981-1984, le PCF se tourne de nouveau vers la lutte sociale. Dans la seconde moitié des années 1980, Renault devient un double symbole du redéploiement industriel et du sursaut ouvrier. Mais si le PCF met toutes ses forces dans la bataille pour le maintien du site historique de Billancourt et pour la défense des syndicalistes sanctionnés (les « Dix de Renault »), ce combat se termine par un échec. En 1992, la dernière « Supercinq » sort des chaînes de l’île Seguin.
2006, Archives du PCF – AD 93.
Après la longue période de l’expansion et de l’unification relative de la classe ouvrière, le monde ouvrier se rétracte et se disperse. La fin des statuts garantis, portée par la montée spectaculaire des services, fait éclater la condition ouvrière, désormais dominée par le précariat ». Le « contrat nouvelles embauches » mis en place à partir d’août 2005 est significatif de cette nouvelle étape. C’est contre lui que cette affiche de 2006 a été conçue. La célèbre image du bébé à la moulinette de Jean-Christophe Averty (années 1960) est remplacée par la poubelle où finissent, en même temps, le Code du travail et le travailleur…