Au cours de son histoire, le PCF a mobilisé des référents multiples pour tenter de souder autour de lui des fractions croissantes de la population. Selon les périodes, le PCF a mis en avant des registres différents : parfois, avant tout «parti de la classe ouvrière», il a élargi sa visée à partir du Front Populaire en se voulant celui du «peuple» voire, notamment après 1945, celui de la nation toute entière. Le parti ne s’est ainsi pas toujours dit «de gauche».

L’évolution n’a rien de linéaire : on ne passe pas simplement d’un «parti de classe» au début à un «parti du peuple» ou «de gauche» à partir des années 1930. Selon les périodes, le conflit de classes, l’union de la gauche ou l’intérêt de la nation (ou parfois ces différents thèmes ensembles) sont mis en avant.

1924, Archives du PCF – Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (AD 93).

 

En 1924, le PCF s’oppose au Bloc des gauches qui unit électoralement socialistes et radicaux. Il en appelle à l’histoire de la SFIO, mobilisant Jaurès et Guesde, les deux fondateurs du Parti socialiste en 1905. Le PCF se présente ainsi comme le meilleur héritier du socialisme originel ; depuis 1920 seul le communisme peut poursuivre les objectifs dont avaient rêvé Jaurès et Guesde.

1925, Archives nationales, programme Parprika2F.

Hostilité aux socialistes, imminence de la révolution mondiale et rôle central et dominant de la classe ouvrière : le PCF des années 1920 ne parle alors guère de peuple de nation et encore moins de gauche. Il puise alors notamment dans l’héritage le plus « lutte de classes » du mouvement ouvrier français du XIXe siècle.

1930, Archives nationales, programme Parprika2F.

À partir de 1928, l’Internationale communiste décide d’une stratégie « classe contre classe ». La social-démocratie mène au fascisme : aucune alliance n’est possible, la crise du capitalisme va accélérer ses contradictions et pousser à la révolution. La lutte des classes prime, et la classe ouvrière est le sujet principal de l’Histoire en marche.

1932, Gallica-BNF.

Encore au début des années 1930, l’hostilité aux socialistes demeure très vivace. Ils sont même associés ici directement à la bourgeoisie (« socialo-bourgeois »). Non seulement il n’y a pas d’alliance possible avec les socialistes français, mais ces derniers sont même pointés du doigt comme les principaux responsables de la crise économique et politique. Toute alliance conduirait à la dissolution de l’identité communiste. Se mêlent ici un vieil ouvriérisme antérieur à la naissance du PCF et la forte emprise du Komintern sur un parti stalinisé.

1936, Archives du PCF – AD 93.

À partir de 1935, la ligne et les référents du PCF changent radicalement dans le contexte de la mobilisation antifasciste en France et alors que le Komintern a complètement modifié sa ligne. Désormais, non seulement il est question d’un «rassemblement populaire» ouvrant la voie à des alliances larges (avec les socialistes, mais également avec les radicaux, soit le centre-gauche de l’époque), mais le parti défend également la «nation française» et chante La Marseillaise. Depuis lors, le PCF se veut un grand parti national, s’inscrivant dans des alliances larges à gauche.

1949, Archives du PCF – AD 93.

Après 1945, le PCF pratique une large politique d’alliance, et se présente comme le parti de l’« indépendance nationale, de liberté et de paix ». Premier parti de France, il met désormais en avant fièrement le drapeau national et défend la nation avec ardeur. Le vocabulaire de la lutte des classes est mis au second plan. À partir de 1947, il revient à une rhétorique critiquant tous azimuts les autres partis, comme sur cette affiche où de Gaulle et Blum sont mis dans le même sac. Toutefois, il ne s’agit pas d’un retour aux années 1920 et à la logique « classe contre classe » : les « intérêts de la France » occupent la première place.

1965, Archives du PCF – AD 93.

Le 5 décembre 1965, le PCF soutient François Mitterrand au premier tour. Il confirme une dynamique d’union engagée dès les années 1950 avec les socialistes (en 1956, le PCF avait soutenu l’investiture de Guy Mollet). Désormais, le vocabulaire d’union prime : on entre dans une longue phase dont une étape décisive va être, en 1972, le programme commun. Le référent à « la gauche » devient de plus en plus présent : l’alliance avec les autres forces, en premier lieu les socialistes, est devenue la principale perspective crédible pour arriver au pouvoir.

1970, Archives du PCF – AD 93.

Dans les années 1970, contrastant avec l’effervescence des groupes d’extrême-gauche prônant un vif internationaliste refusant toute référence à une quelconque frontière, le PCF réaffirme régulièrement son ancrage national, se présentant comme l’organisation la plus fidèle au « peuple de France ». La défense de la « classe ouvrière » prime toujours, mais, perspective gouvernementale oblige, le « peuple » tout entier est aussi présent. Il est intéressant de noter qu’en un sens, le PCF connaît une bifurcation progressive de ses références de classes (le « peuple » étant parfois avant tout mis en avant) comme certains partis sociaux-démocrates d’Europe de l’Ouest.

1983, Archives du PCF – AD 93.

Après la victoire de Mitterrand en 1981, le PCF gouverne et entend être utile à la gauche et, en tant que parti de gouvernement, à tout le pays. En 1984, le PCF a quitté le gouvernement après trois ans de coopération avec les socialistes. Malgré un certain raidissement et une aggravation des tensions internes, le référent à « la gauche » est toujours présent. Il se combine avec un vocabulaire mettant fortement en avant l’indépendance nationale.

2002, Archives du PCF – AD 93.

Quelques années après la décomposition du camp soviétique, Robert Hue – nouveau dirigeant du PCF depuis 1994 – entend placer pleinement le PCF au cœur de la gauche. Depuis lors, le PCF se présente avant tout comme un parti pouvant être utile à gauche, voire comme le parti étant resté le plus fidèle aux idéaux de la gauche. La référence à la défense de la nation a perdu en importance ; les « gens » sont de plus en plus mentionnés. Les référents habituels, présents depuis le Front populaire, n’ont plus le même caractère d’évidence, témoignage de la crise profonde d’identité qui traverse l’organisation à partir des années 1990. Photo d’André Lejarre.