Le communisme se veut un idéal, mais l’idée n’est pas agissante si elle ne s’incarne pas, d’une manière ou d’une autre. La propagande – dont l’affiche est un vecteur populaire universel – se doit donc de mettre en évidence les visages que l’on peut associer de façon simple à l’idée. Ces visages peuvent se regrouper en quatre rubriques : les grandes figures tutélaires, les dirigeants qui sont éventuellement l’objet d’un « culte », les martyrs et les symboles du combat émancipateur, dont on peut faire des icônes.

Les figures tutélaires

1983, Archives du PCF – Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (AD 93).

Marx est une référence trop partagée pour être un vecteur d’identification maximale et donc un sujet d’affiche incontournable. Pour être un identifiant, le «marxisme» doit être accolé à d’autres vocables, «léninisme» ou «stalinisme». Or, le stalinisme se fait brutalement répulsif en 1956 et le «marxisme-léninisme» s’efface en 1979. Le retour à Marx devient alors d’autant plus plausible que la «pensée antitotalitaire» en fait volontiers un précurseur de Staline. En pleine «contrerévolution libérale», le centième anniversaire de la mort de Marx, en 1983, est l’occasion pour l’Union des étudiants communistes, en collaboration avec Solé, de remettre en évidence un Marx débonnaire et mutin, l’antidote par excellence des consensus aliénants et des dogmes à l’ancienne.

1959, Archives du PCF – AD 93.

Dans les premières années d’existence du PCF, la figure de Jaurès est tenue pour ambiguë : figure tutélaire du socialisme unifié dont se sont réclamés les acteurs de Tours et incarnation de la tentation parlementariste qui aurait conduit le socialisme à sa perte. En 1959, le temps de l’hésitation est forclos : en assumant sa filiation avec Jaurès, le PCF légitime son existence et sa capacité à représenter le peuple dans sa totalité, « à chapeau » comme « à casquette ». Toutefois, le Jaurès mis en avant est avant tout le tribun du Pré-Saint-Gervais en 1913, l’homme du combat pour la paix, dont les communistes veulent croire qu’il n’aurait en aucun cas fait le choix de l’Union sacrée.

1952, Archives du PCF – AD 93.

Si l’idée révolutionnaire n’a pas d’âge, elle trouve son accomplissement dans l’impulsion de l’Octobre russe et dans la puissance de l’Union soviétique. Pour le traditionnel anniversaire d’Octobre, en 1952, Georges Rival, juxtapose de façon volontairement stylisée, le rouge de la Révolution prolétarienne, la populaire colombe de la paix, la modernité industrielle et urbaine dont se réclame l’URSS et les figures rassurantes de Lénine et de Staline, pivots de l’identification communiste de l’époque.

1954, Archives du PCF – AD 93.

En 1954, le PCF ne veut pas entendre les signaux qui, venus de Moscou, laissent entendre que le temps de l’adulation de Staline est en train de s’achever. Sur cette affiche à laquelle a collaboré Georges Rival, la valorisation de Lénine permet de réaffirmer l’identité fondatrice du PCF sans s’encombrer de l’héritage du «petit père des peuples». Lénine reste le géant de la révolution, celui qui montre le chemin. Mais le peuple qui le suit n’est pas celui des baïonnettes de l’Octobre russe : c’est celui de la procession du 1er mai, pacifique et familiale. La puissance de l’URSS n’est-elle pas la condition essentielle de la paix ?

Les dirigeants

1945, Archives du PCF – AD 93.

À la Libération, le PCF est « le premier parti de France » et un parti installé au gouvernement. L’image de ses ministres est largement utilisée, pour montrer tout à la fois leur compétence et leur fidélité à leur fibre sociale. Communistes et syndicalistes, comme Ambroise Croizat et Marcel Paul, ils restent proches du monde ouvrier dont ils sont issus. Simples, les affiches-textes valorisent leur action, sous le regard rassurant et protecteur de la grand-mère qui – au temps où il y avait des « vieux » et des « vieilles » – représente là les « vieux travailleurs ».

1946, Archives du PCF – AD 93.

À partir des années trente, le PCF considère, comme tout le mouvement communiste international, que le peuple doit se familiariser avec l’image de ses dirigeants. À la Libération, les quatre figures dessinées par R. Frappier – ici dans l’ordre inverse de la hiérarchie réelle – sont celles de Marcel Cachin, André Marty, Jacques Duclos et Maurice Thorez. Cachin incarne la continuité du socialisme historique et du PCF. Marty reste « le mutin de la Mer noire ». Duclos est celui qui resta en France de 1940 à 1944. Et Thorez est bien sûr le « Fils du peuple ».

1952, Archives du PCF – AD 93.

À partir de 1937, avec la parution de son autobiographie, Fils du Peuple, le culte de Thorez fonctionne comme un décalque de celui de Staline, rôdé dès 1929. En 1952, année difficile pour un PCF plongé dans le plus dur de la guerre froide, la référence à Thorez est là pour rassurer le corps militant soumis à une pression maximale. Le visage reproduit est celui de la Libération, avant la maladie qui l’a frappé en 1950. Absent de France, il n’est qu’en arrière-plan, mais structure la totalité de l’affiche. Il est la figure tutélaire et le symbole de l’avant-garde que veut être le PCF, à la tête d’une France jeune et joyeuse qui marche, drapeaux rouge et tricolore mêlés vers « les lendemains qui chantent ».

Les martyrs

1927, Archives nationales, programme Parprik@2F.

Le sang des martyrs est depuis toujours un identifiant mobilisateur maximal. Dans la symbolique communiste française, il est présent, mais non exclusif : il ne se substitue pas à la vision d’une classe qui n’est pas la classe souffrante, mais la classe conquérante. Dans cette classe optimiste, on est prêt à donner sa vie pour l’idéal. Le martyr ouvrier, de juin 1948 jusqu’au XXe siècle, est ainsi la légitimation exceptionnelle et maximale du combat révolutionnaire. En 1927, le double visage des anarchistes italo-américains, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, incarne tout à la fois le courage des militants ouvriers, la férocité de la classe dominante et la force de l’internationalisme. Jusqu’à leur exécution, des manifestations puissantes et houleuses sont organisées en France, sous la houlette du Secours rouge international.

À gauche, 1952 ; à droite, 1945. Archives du PCF – AD 93.

La guerre et la résistance sont bien sûr l’occasion de valoriser les martyrs. Dès 1944, le PCF se présente comme « le Parti des 75 000 fusillés » et, même si le chiffre est surévalué, les communistes ont été de loin les premières victimes de la répression menée contre le monde résistant. En 1945, leur sacrifice est un élément déterminant de valorisation à l’occasion des premières élections de la Libération. Plus tard, pendant la guerre froide, quand le PCF est accusé d’être le « parti de l’étranger », l’évocation des martyrs vaut brevet d’attachement à la nation. En 1952, la figure de Pierre Sémard est alors valorisante à plusieurs titres : fusillé dès 1942, il fut à la fois un responsable syndical cheminot et le premier secrétaire général ouvrier du parti entre 1924 et 1928.

1953, Archives du PCF – AD 93.

Le 19 juin 1953, après trois ans d’emprisonnement, deux militants communistes américains, Ethel et Julius Rosenberg sont exécutés par électrocution, à la suite de leur condamnation pour espionnage en faveur de l’URSS. À la différence de Sacco et Vanzetti, italiens et anarchistes clamant leur engagement face à leurs juges, la campagne en faveur des deux condamnés insiste sur leur innocence. Le couple de la middle class américaine illustre ainsi la détermination d’un maccarthysme qui voit des espions partout et, ce faisant, révèle le mensonge du « monde libre » vanté depuis 1947.

1962, Archives du PCF – AD 93.

Les derniers martyrs ont été ceux du métro Charonne, tombés le 8 février 1962 alors qu’ils manifestaient contre l’OAS (Organisation de l’armée secrète). Presque tous – sept sur huit – sont communistes et le plus jeune, Daniel Féry, 15 ans, rejoint ainsi Guy Môquet dans le panthéon du parti. Comme en 1941, l’adversaire désigné est le fascisme dont les forces de l’ordre se sont fait les relais. Le visage ensanglanté de la petite Delphine Renard est là pour rappeler que la barbarie est toujours active et que, face à elle, le parti communiste reste le vigilant rempart.

Les symboles du combat émancipateur

1952, Archives du PCF – AD 93.

Le 13 mars 1950, le jeune quartier-maître Henri Martin est arrêté pour sabotage à Toulon. Il devient ainsi un symbole du combat contre « la sale guerre » d’Indochine. Meetings, affiches, rencontres, spectacles rythment la vie des comités créés pour exiger sa libération, obtenue en août 1953. Le 21 mars 1952, Charles Maurras, grande figure de l’Action française et de la collaboration, bénéficie d’une grâce médicale alors qu’il avait été condamné à la réclusion à perpétuité en 1945. Le PCF met alors en avant le mécanisme du « deux poids, deux mesures », qui accable l’ancien Francs-tireurs et partisans (FTP) et épargne le collaborateur. Le texte, structuré autour des deux noms, est en lui-même une image, écho des « Libérez Henri Martin ! » qui ornent les murs des villes.

1971, Archives du PCF – AD 93.

Angela Davis, née en 1944, est une militante communiste d’origine afro-américaine. Figure du combat pour les droits civiques et membre des Black Panthers, elle est accusée de meurtre en 1970. Inculpée en janvier 1971, elle est emprisonnée pendant seize mois, ce qui occasionne une impressionnante campagne de solidarité dans le monde. Elle devient ainsi une icône des combats antiracistes et féministes entremêlés. L’image de la belle jeune femme, coiffure afro et sourire rayonnant, incarne un militantisme communiste moderne et tourné vers la liberté.

1985, Archives du PCF – AD 93.

En 1985, l’avocat Nelson Mandela est emprisonné depuis 23 ans, pour avoir dirigé la branche militaire de l’African National Congress au début des années 1960. Cette année-là, il refuse l’hypothèse d’une libération conditionnelle conditionnée par sa condamnation de la lutte armée. C’est aussi un des moments où le combat mondial contre le régime d’apartheid bat son plein. En pleine vague « antitotalitaire », le combat pour sa libération est une manière de montrer que le déni de liberté n’est pas un monopole du bloc soviétique. Le soutien à Mandela est une dimension majeure des actions conduite par le Comité de défense des libertés que le PCF a créé en avril 1980, sous l’égide de Georges Marchais.

1995, Archives du PCF – AD 93.

Lui aussi membre des Black Panthers, Wesley Cook dit Mumia Abu-Jamal n’a pas eu la notoriété d’Angela Davis. Il a pourtant été condamné à mort pour meurtre, en décembre 2001, à l’issue d’un procès entaché de flagrantes irrégularités. En France, il apparaît comme un double symbole d’inhumanité, celui de la discrimination raciale manifeste et celui de l’insoutenable peine de mort. Un Collectif unitaire de soutien a été créé sous l’égide du MRAP et de nombreuses municipalités communistes, depuis 1999, ont fait de Mumia leur citoyen d’honneur.

[2004-2014], Archives du PCF-AD 93.

Marwan Barghouti est une figure éminente de la résistance palestinienne à l’occupation sioniste. Arrêté en 2002 et condamné à perpétuité, il est emprisonné depuis cette date. En 2008, la ville de Stains a lancé un Réseau des villes et collectivités pour la libération de Marwan Barghouti et la Jeunesse communiste se mobilise activement, comme le montre l’affiche au stylisme épuré (le grillage, les menottes, la colombe, le keffieh… et le sourire tranquille de celui qui ne lâche pas).