Octobre-décembre 2012
Le développement des savoirs va croissant dans les sciences, dans la technologie, comme dans les arts et bien d’autres domaines de la connaissance : ces savoirs exigeants et les formes de raisonnement très élaborés qu’ils véhiculent modèlent de plus en plus les postes de travail comme la vie sociale. Mais ces savoirs et formes de raisonnement sont inégalement maîtrisés par les adultes.
Pour changer ce constat, une première piste réside dans une nouvelle étape de démocratisation du système scolaire. Dans cette perspective, l’école se trouve au défi de conduire l’ensemble d’une génération vers des études longues pour former la future génération d’adultes, de penser les contenus à enseigner et la façon de le faire de telle manière que tous les élèves apprennent. Et ce, alors même que les scolarités longues ont été ouvertes en droit à tous les enfants, et donc que les enseignements secondaire et supérieur n’accueillent plus seulement des « héritiers » dans la connivence avec la culture savante, et que l’école primaire a été dotée de la nouvelle mission de préparer chacun à des études longues.
Une autre optique conduit à renoncer à préparer toute une génération à se saisir le mieux possible des savoirs complexes qui modèleront les différents aspects de la vie professionnelle et sociale.
Cette question des contenus d’enseignement, qui est au cœur des choix contradictoires pour l’avenir, est très peu débattue. L’actualité l’illustre, dans les discours des décideurs et les débats médiatiques, cette question est souvent évacuée. Les quatre contributions rassemblées dans ce dossier abordent la question sous différents angles complémentaires. Les deux premières, à l’échelle du système, traitent des politiques qui ont changé les programmes depuis quelques décennies ; les deux suivantes, plus près des salles de classe, sont davantage centrées sur les évolutions des exigences intellectuelles faites aux élèves et sur les formes pédagogiques.
Romuald Normand montre d’abord comment la question de la mesure en éducation basée sur la rhétorique de l’efficacité a pris le pas sur le développement d’outils statistiques pour penser la démocratisation, et comment ces influences internationales, depuis les réformes de la nouvelle droite aux États-Unis, ont pénétré en France, jusqu’à influencer les contenus d’enseignement.
Pierre Clément étudie ensuite le cas précis de la réforme du « socle commun des connaissances » en montrant en quoi celui-ci est porteur des logiques de construction de la « nouvelle école capitaliste ». L’introduction de la logique de l’enseignement par compétences dans les programmes fait de ceux-ci un outil managérial de nouveau pilotage du système éducatif par les résultats et non plus un outil pédagogique.
Stéphane Bonnéry souligne les évolutions des activités intellectuelles que les manuels scolaires sollicitent des élèves. Ces exigences vont croissant, révélant une tension, entre d’un côté une sollicitation de la réflexion et non plus de l’exécution chez tous les élèves, et de l’autre côté une logique de compétences qui renvoie à l’élève la responsabilité de conduire seul cette activité. Ce qui complique la tâche des élèves comme des enseignants. L’étude des manuels montre des évolutions plus globales des contenus d’enseignement dans l’ensemble du système scolaire.
Enfin, Séverine Kakpo montre que les réceptions de ces manuels, dans les familles populaires mobilisées sur la réussite scolaire, posent des problèmes d’utilisation, au point que certains usages peuvent être contreproductifs, et susciter des contre-pédagogies.
À partir des situations d’enseignement-apprentissage auxquelles sont confrontés les élèves, les familles et les enseignants, on voit que sont ici à l’œuvre des phénomènes qui dépassent les personnes en présence et leur seule « responsabilité » supposée dans l’échec scolaire. Les politiques de choix des contenus scolaires, les conditions de création et de choix des types de supports, les conditions faites à la formation des enseignants, dans leurs formes actuelles sont agissantes. Nul doute que d’autres orientations en la matière auraient aussi une influence sur ce qui se joue dans les classes, mais dans un autre sens.
Sommaire
Contenus d’enseignement
- Politiques, supports et usages
- Romuald Normand , Enjeux politiques des instruments quantitatifs en éducation
- Pierre Clément , Le socle commun, cheval de Troie d’une école à deux vitesses ?
- Stéphane Bonnéry , Les exigences intellectuelles des manuels scolaires
- Séverine Kakpo , Les familles populaires confrontées aux supports scolaires
Cours des idées
- Nils Andersson , Vers une OTAN « à la carte »
- Pierre Judet , Les bonnes affaires de la famille Mittal
- Jean Jacob , Les effets pervers de la complexité morinienne
Confrontations
- Jean George , Le XXIe siècle sera-t-il encore « américain » ?
Revue des revues
- Patrick Coulon , La crise est partout
Vie de la recherche
- Maha Messaoudène , Une cité de Marseille sur la scène de la participation
- Yvon Quiniou , La fondation scientifique du matérialisme
- Jean-Pierre Jouffroy , Interfaces : succès et avatars
Documents
- Germaine Willard , Jacques Decour – Georges Politzer – Jacques Solomon
- Yves Carrier , Révolution bolivarienne et théologie de la libération