«Du journal que l’on vend le matin d’un dimanche, à l’affiche qu’on colle au mur du lendemain» : ces mots de Jean Ferrat résonnent dans les têtes de générations entières de militants et sympathisants communistes. Ils font non seulement écho à des pratiques familières dans l’activité militante de base, mais rappellent aussi le lien intangible qui unit les communistes à leur journal dont Lénine avait, dans Que faire ?, souligné l’importance pour organiser l’activité révolutionnaire. La SFIC ayant gardé la main sur L’Humanité après la scission de Tours en 1920, le contrôle du quotidien – fondé par Jaurès en 1904 –devient un enjeu de premier ordre pour la direction du PCF.
En atteste la tension récurrente entre le projet d’en faire un grand journal communiste d’informations et son statut plus étroit d’« organe central » du Parti communiste, qu’il conserve jusqu’en 1994.
L’Humanité entretient également une relation particulière avec son lectorat, qui détonne dans l’univers de la presse. Acteurs de premier plan de la pérennité ou de la survie du quotidien, parfois même directement associés à la rédaction de ses contenus, les lecteurs et militants communistes sont engagés dans la défense de leurs journaux par la diffusion, par le soutien financier,
mais aussi physiquement lorsqu’il s’agit de protéger les vendeurs à la criée face aux agressions d’adversaires politiques ou aux arrestations de la police. Car les rapports avec l’administration publique ont souvent été conflictuels et la répression s’est abattue à maints égards sur la presse communiste : on ne compte plus les perquisitions contre les sièges des journaux, les saisies et les procès engagés.
1929, Archives nationales, programme Parprika2F.
L’Humanité a toujours accordé une large place à la littérature en publiant régulièrement, sous la forme de feuilletons, les œuvres d’auteurs français ou étrangers. Du Talon de fer de Jack London en 1923 aux Misérables de Victor Hugo en 1948, en passant par Un capitaine d’industrie d’Upton Sinclair en 1926 ou Je brûle Paris de Jasienski en 1928, les publications valorisées sont aussi parfois liées aux impératifs politiques du moment. Il en va ainsi du roman À l’Ouest rien de nouveau de l’allemand Erich Maria Remarque, que L’Humanité publie en 1929. La diffusion de ces extraits, qui décrivent les horreurs de la Première Guerre mondiale, participe du souci du Parti communiste d’alerter sur les dangers de guerre qui planent alors, selon lui, contre l’URSS.
1931, Archives nationales, programme Parprika2F.
L’Humanité est non seulement l’organe central du PCF, mais elle se revendique aussi comme un outil au service de l’autonomie de la classe ouvrière – et paysanne –, dans le cadre de sa lutte pour son émancipation. Pour cela, elle propose à ses lecteurs de participer, dès les années 1920, à la rédaction du journal pour mieux l’imprégner des réalités de la vie quotidienne du prolétariat. L’Humanité développe alors un réseau de correspondants ouvriers et paysans – appelés aussi « rabcors » selon son acronyme russe – invités à s’exprimer dans une rubrique qui, jusqu’au tournant du Front populaire et malgré une parution irrégulière, leur est spécifiquement dédiée. Hautement surveillée, cette pratique inquiète les autorités françaises qui accusent alors le PCF de détourner l’activité des « rabcors » à des fins d’espionnage militaire et industriel au profit de l’URSS.
1931, Archives nationales, programme Parprik@2F.
Le PCF se dote d’organisations auxiliaires « de masse » pour organiser les travailleurs selon leurs champs d’activité et d’interactions sociales. Les organisations de jeunes, de femmes, d’intellectuels, de sportifs, d’anciens combattants, les syndicats ou les structures consacrées à la solidarité internationale constituent ainsi la « galaxie communiste ». Toutes ces organisations publient leur propre organe, à l’instar de L’Avant-Garde éditée par les Jeunesses communistes depuis 1920. Comme pour L’Humanité, elle se dote de son propre réseau de correspondants ouvriers et paysans, mais aussi soldats dans les casernes.
Couverture d’une brochure reprenant une affiche de L’Humanité, 1935, Paule, BMP/Archives du PCF – Pandor/MSH de Dijon.
À l’été 1929, à l’approche de la « journée rouge » du 1er août contre la guerre appelée par l’Internationale communiste, une vague de répression jusqu’alors sans précédent vise le PCF. L’Humanité est saisie, son siège perquisitionné, et certains de ses dirigeants sont arrêtés. Le journal est même menacé de faillite et d’interdiction. Répondant à l’appel de Marcel Cachin, des Comités de défense de L’Humanité (CDH) sont alors constitués. Ils participent, par la multiplication des équipes de vendeurs, à la diffusion militante du journal, mais aussi à la politisation du monde ouvrier. En première ligne dans le combat antifasciste, le quotidien communiste connaît une embellie durant le Front populaire en tirant à plus de 300 000 exemplaires, tandis qu’émergent d’autres journaux impulsés par le PCF (Ce Soir, Regards qui popularise le photojournalisme ou encore La Terre, destinée au monde rural et paysan).
[1947-1954], Archives du PCF – Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (AD 93).
Le départ des ministres communistes du gouvernement français en 1947 et les débuts de la Guerre froide mettent fin à l’euphorie de la Libération. Le regain des conflits sociaux culmine avec la dure grève des mineurs de l’automne 1948, qui pousse la logique de l’affrontement à son paroxysme. Dans ce nouveau contexte, L’Humanité apparait comme le journal qui défend les intérêts des travailleurs – ici les mineurs à la pointe du combat de classe – et dévoile les manigances des capitalistes et autres « chéquards ».
1951, Archives du PCF – AD 93.
L’entrée en guerre froide et sa logique d’affrontement entre deux blocs redessinent le paysage politique. Pour le Parti communiste, la ligne de partage s’établit désormais entre le «camp de la paix» et un «bloc occidental» à la botte des États-Unis. Face à la résurgence du militarisme en Europe et à la menace impérialiste incarnée par l’OTAN, les communistes se font les hérauts de la paix. La presse communiste dans toute sa diversité – L’Humanité, mais aussi le quotidien Ce Soir, L’Avant-Garde, La Terre, l’hebdomadaire France Nouvelle, ainsi que le journal syndical de la CGT La Vie ouvrière, dessinés ici par Micou – s’inscrit alors dans cette stratégie.
1953, Archives du PCF – AD 93.
Dès les années 1920, les fédérations et régions du PCF se dotent de publications à l’échelle territoriale. La bolchevisation encourage même le développement de journaux ou de bulletins dans les cellules locales, en particulier dans les cellules d’entreprises, pour assurer le lien entre les militants communistes et les ouvriers. Après la Libération, l’existence de grands quotidiens régionaux communistes – dont certains, à l’instar de La Marseillaise dans le Sud-Est de la France, sont fondés dans la Résistance – témoigne de l’influence et de l’implantation du PCF, alors premier parti politique de France. Cette affiche de 1953 à laquelle ont collaboré Lamy et Rival, est ainsi déclinée dans les archives du PCF pour une douzaine de quotidiens régionaux (Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest, Le Patriote, Les Allobroges, L’Echo du Centre, Ouest-Matin, Liberté…).
1967, Archives du PCF – AD 93.
La première Fête de L’Humanité s’est tenue le 7 septembre 1930 à Bezons, à l’occasion de ce qui n’était alors qu’une simple fête champêtre organisée en marge du premier congrès des Comités de défense de L’Humanité. Devenue rendez-vous annuel, la « Fête de L’Huma » s’imposa progressivement dans la culture communiste et populaire comme un carrefour des luttes politiques et sociales, des solidarités internationales et des enjeux culturels et artistiques. Réunissant plusieurs centaines de milliers de personnes, ce grand rassemblement constitue chaque année un événement majeur de la rentrée politique à gauche.
1991, Archives du PCF – AD 93.
Le déclin du PCF engagé dans les années 1980 aggrave les difficultés financières du parti et de la presse communiste. Comme depuis les années 1920 et lors de chaque grande crise traversée par le PCF, la mobilisation des militants et des lecteurs constitue le dernier – et généralement le seul – levier pour sauver L’Humanité, par le biais de larges souscriptions.