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Par Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches internationales

Les chroniques de recherches internationales, juillet 2019

Après le Traité de Maastricht, les bourgeoisies conservatrices européennes se rassuraient. Elles avaient compris que l’empilement de traités successifs leur permettait d’asseoir leur emprise sur les modalités et les orientations de la construction de l’Union européenne. Désormais la route était libre pour promouvoir le libre-échange « non faussé », mettre en concurrence, face au privé, les services publics, délocaliser, dévaster des bassins d’emplois. Globalement il s’agissait de remettre en cause l’ensemble des acquis sociaux constitués depuis 1945 et présentés comme des scories ou des rugosités, obstacles évidents à l’adaptation d’un continent à la déferlante de la mondialisation qui submergeait la planète. L’Europe n’y dérogeant pas, mais en constituant au contraire la forme la plus poussée d’un continent où jamais autant de souveraineté n’avait été consentie à des formes supranationales et où l’interdépendance économique et financière ne s’était jamais autant développées. Plus que protection contre la mondialisation, l’Europe en était devenue son laboratoire. L’horizon devait être verrouillé. Réformes et Constitution devaient ainsi transformer le continent et permettre ainsi à ses bourgeoisies d’y jouir d’une quiétude garantie par l’entrée dans le « cercle de la raison ». Une assurance tous risques, avait été ainsi prise s’accompagnant d’un « réducteur d’incertitude ». Le balancier politique allait enfin pouvoir osciller tranquillement entre centre-gauche et centre-droit qui pourraient ainsi mener la même politique en feignant de s’opposer.

Mais cette Europe-solution a volé en éclat sous les réticences et les résistances et sur ses divisions sur l’horizon recherché. Le referendum de Maastricht et surtout celui sur la Constitution européenne en 2005 en ont fait figure d’annonce et ont fait apparaître des clivages nouveaux qui ne recoupaient plus ceux traditionnellement établis. Pour l’essentiel ces clivages perdurent et travaillent la société politique. Tous les faits accumulés depuis – ratification du Traité de Lisbonne, décision du Brexit de la Grande-Bretagne, attitude envers la Grèce de Tsipras, impossibilité de dégager une position commune sur les migrations – attestent que cette construction inspire de plus en plus de réticences qui s’expriment de façon désordonnée. La fermeté de Bruxelles vis-à-vis de tout écart est aujourd’hui actée et l’on ne doit pas s’étonner des turbulences qui s’ouvrent de toutes parts en Europe, à l’Est, au Nord et au Sud. Face à ce que représente aujourd’hui la forme de ce libéralisme autoritaire européen, des régimes nouveaux émergent, qualifiés de démocraties illibérales – régimes élus démocratiquement, mais ne respectant pas les règles du partage des pouvoirs, voire des libertés politiques – ont surgi et effritent l’autorité de Bruxelles. Des bras de fer se construisent avec la Pologne, la Hongrie et gagnent la vieille Europe comme l’Italie sur fond d’un Brexit qui n’en finit pas de déstructurer la vie politique britannique. Des partis ouvertement anti-européen, profitant de cette « fenêtre », n’hésitent plus à investir le Parlement européen pour fragiliser de l’intérieur encore plus l’ensemble. C’est une une lente décomposition qui s’annonce.  Ainsi va l’Europe qui ne peut plus jouer avec autant d’assurance qu’avant la meilleure protection contre le changement social.

Ses responsables oseront-ils demander aux forces de progrès social dont ils ont tout fait pour que leurs programmes ne puissent se mettre en œuvre de les aider aujourd’hui à combattre la nouvelle menace ? Bref demander l’aide de ceux que l’on a cassés et réduits en invoquant maintenant un autre danger. Cette Europe qui offrirait un tel choix piégeant deviendrait alors un vrai problème.