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Par Alain Obadia
(Cet article fait suite au séjour à Pékin d’une délégation de la Fondation invitée par l’IPHL)

 

Depuis plusieurs mois, l’appréciation de la nature des relations avec la Chine a beaucoup évolué en France et en Europe. Alors que depuis des décennies, les gouvernants français s’inscrivaient dans une logique de coopération considérée comme fructueuse avec la Chine, les déclarations d’Emmanuel Macron avant la visite en France du président chinois Xi Jinping ont marqué une nette inflexion. « Le temps de la naïveté européenne vis-à-vis de la Chine est révolu » avait-il d’ailleurs déclaré au sommet européen du mois de mars 2019. La déclaration adoptée à cette occasion qualifiait pour la première fois la Chine de « rival systémique ».  Ainsi, en quelques mois la France et l’Europe sont passées d’une position de relative ouverture à une méfiance de plus en plus explicitement affirmée.

Ce changement de posture dans les rapports entre Etats se traduit également dans les commentaires des principaux moyens d’information. Hier saluée pour son dynamisme et respectée pour son rôle de grande puissance mondiale avec laquelle il faut de plus en plus compter, la Chine est aujourd’hui présentée assez systématiquement sous un jour défavorable et comme une menace.

La Guerre économique contre la Chine a des causes profondes

On ne pourrait comprendre cette évolution sans intégrer le contexte mondial et, singulièrement, la guerre économique déclenchée par les Etats-Unis à l’encontre de la Chine.

Depuis janvier 2018 en effet, le président américain a décidé d’imposer des droits de douane visant à pénaliser les produits en provenance de Chine. Cette taxation qui a connu plusieurs paliers vise, en mai 2019, 200 milliards de $ d’importations taxées à 25%. Cette série de mesure a provoqué à chaque étape une riposte des autorités chinoises qui, de surcroît, ont déposé plainte devant  l’organe de règlement des différends de l’OMC.

Il serait, cela dit, erroné de ne voir dans cette montée en puissance des mesures protectionnistes américaines que la volonté de réduire le déficit commercial. C’est d’autant plus vrai qu’une partie non négligeable des entreprises états-uniennes considère que ces mesures pourraient se révéler, à terme, plus néfastes que bénéfiques pour l’économie du pays.

En réalité, les raisons de l’attitude agressive des Etats-Unis à l’égard de la Chine  ont des motivations plus profondes. La « guerre commerciale » cache en fait la prise de conscience par  l’administration américaine du fait que la Chine est dans une dynamique pouvant la conduire à un leadership technologique mondial dans des délais relativement brefs. Cette perspective est vécue comme une catastrophe par Washington.

En effet, la domination technologique est un élément constitutif de la domination économique et politique auxquelles les Etats-Unis prétendent et que l’administration Trump veut réactiver avec le slogan « Make america great again ». Or, depuis plusieurs années la progression de la Chine dans différents domaines des technologies de pointe à de quoi impressionner.

Les Chinois ont désormais la capacité de lancer seuls des vaisseaux habités dans l’espace. Dans un domaine dont l’importance et le potentiel d’avenir ne peut échapper à personne, ils ont acquis le leadership dans la conception et la fabrication des drones civils avec DIJ qui vend 70% des drones dans le monde. Avec les les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), ils se présentent comme des concurrents puissants face aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui sont interdits sur le territoire chinois. Pire encore, les BATX ambitionnent désormais de s’implanter à l’international.

Dans des conditions comparables, les géants chinois du paiement par carte bancaire (Alipay, WeChat, UnionPay) se développent. Par ailleurs les Chinois prennent de l’avance sur le  paiement  par smartphone. Ils s’émanciperont du GPS américain dès 2020 avec le système Beidou qui s’appuie sur un réseau d’une trentaine de satellites. Ils veulent développer le recours à ce réseau au plan international.

Huawei est devenu l’un des premiers fabricants mondiaux de smartphones. Il a pris de l’avance sur la technologie 5G. L’affaire Meng Wei Zhou, directrice financière de Huawei et fille du fondateur de l’entreprise, arrêtée au Canada à la demande des Etats-Unis pour violation de l’embargo sur l’Iran est significative de  l‘irritation  des autorités américaines face au développement du nouveau géant chinois.

Par ailleurs, la Chine contrôle 95 % de la production mondiale de terres rares désormais indispensables pour les technologies de pointes des smartphones aux éoliennes en passant par les écrans plats, les LED, les ordinateurs ou encore les véhicules électriques.

Quand on ajoute à ce tableau l’ambitieux programme baptisé « fabriqué en Chine 2025 » dont l’objectif est d’atteindre l’autosuffisance technologique sur 70% des composants et matériaux clés à l’horizon 2025 on comprend qu’une certaine fébrilité se manifeste dans les sphères dirigeantes américaines.

Dans ce contexte, l’initiative chinoise des  « nouvelles routes de la soie » est de plus en plus analysée par  les Etats-Unis et les puissances capitalistes dominantes comme une stratégie mondiale de la Chine pour assurer son leadership. Cette « mondialisation à la chinoise » serait porteuse d’une nouvelle forme d’interaction entre les Etats, d’une nouvelle architecture du monde – remettant en cause les équilibres actuels ainsi que les règles du commerce mondial dominées par le libre marché et l’approche néolibérale qu’ils défendent becs et ongles. Pour eux, l’intervention des Etats doit rester cantonnée à leurs seules missions régaliennes. Or, la logique de l’initiative chinoise implique des accords d’Etats à Etats, une planification des projets sur le long terme et une intervention publique significative notamment dans le domaine des infrastructures.

Dans ce contexte, certains mettent en avant la possibilité de « voir émerger dans le monde deux pôles rivaux l’un mené par les Etats Unis, l’autre par la Chine disposant chacun de leurs réseaux d’infrastructures (routières, aériennes, maritimes, spatiales, de communication y compris les câbles sous-marins qui constituent un sujet sensible). Cette nouvelle rivalité impliquerait deux modes de gestion des flux, deux systèmes de normes, deux systèmes d’institutions régionales voire  internationales. »[1]

Cette nouvelle bipolarisation des relations internationales pourrait aboutir à une nouvelle forme de compétition dans laquelle les autres pays (dont ceux de l’UE) seraient contraints de se positionner à partir de leurs préférences politiques et idéologiques mais aussi de leur proximité géographique ou encore de leur vulnérabilité économique vis-à-vis de l’un ou l’autre des nouveaux pays leaders. Cependant, il ne s’agirait pas d’une réédition de la guerre froide car la délimitation des deux ensembles ne serait pas strictement définie une fois pour toute et serait en constante évolution. A l’évidence, la commission européenne et les puissances dominantes en Europe ont choisi leur camp.

Des contradictions existent néanmoins

Cela dit, la situation n’est pas sans contradictions. En premier lieu, au-delà de la méfiance politique, l’union européenne et ses pays membres ne sont  pas indifférents aux réalités économiques actuelles ainsi qu’aux perspectives de croissance que peuvent lui ouvrir la coopération avec la chine y compris en ce qui concerne l’initiative des nouvelles routes de la soie.

A titre d’illustration, à l’occasion de la visite du président chinois en France, le président français a soufflé le chaud et le froid. D’un côté il rend publiques des déclarations méfiantes avant la visite et veut manifester la nécessité d’un front commun européen à l’égard de la Chine en invitant Mme Merkel et M. Junker à la table des discussions. De l’autre, la visite du président chinois se solde par la conclusion de 40 milliards d’euros de contrats avec la commande de 300 Airbus, et des investissements réciproques dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’agriculture, de la banque et des finances.

Plus largement, on peut constater qu’au-delà des prises de positions globales de l’UE, et même lorsqu’ils y ont apporté leur soutient, un certain nombre de pays européens sont attachés au développement d’une coopération suivie avec la Chine. C’est notamment le cas des pays du groupe 16+1. Rappelons que le format « 16+1 » est composé de la Chine et de 16 pays d’Europe centrale et orientale appartenant ou non à l’Union Européenne[2].

Depuis 7 ans, le partenariat, dans le cadre du Format « 16+1 », se développe en particulier autour de l’initiative des  « nouvelles routes de la soie » L’attitude récente de l’Italie qui vient de signer un accord d’intégration à cette initiative ainsi que 29 accords sur des projets précis renforce ce pôle.

De surcroît, au-delà des positions gouvernementales, de nombreuses voix s’élèvent au sein des différents pays d’Europe et du monde  pour l’adoption d’une attitude plus ouverte évaluant de manière plus circonstanciées les domaines dans lesquels la Chine est avant tout un partenaire et ceux où elle est un concurrent. Cette attitude existe notamment dans les milieux d’affaires qui craignent que l’approche  globalisante de l’administration américaine ne les fasse passer à côté d’opportunités jugées intéressantes voire essentielles.

Une coopération soutenue est indispensable

L’analyse qui précède permet de souligner l’importance d’une action des forces progressistes en faveur d’une coopération soutenue avec la Chine.

Il est, en effet, primordial d’agir en faveur des logiques de coopération dans les relations internationales pour faire reculer les logiques de domination, d’hégémonisme, de guerre économique, d’agressivité militaire et d’irresponsabilité environnementale. C’est essentiel pour le devenir de l’humanité, pour la paix mondiale et pour notre capacité commune à répondre aux défis planétaires de ce 21e siècle. Dans cette perspective, la mondialisation sous l’hégémonie des Etats-Unis et des multinationales doit être combattue et doit régresser car elle constitue un danger pour toute l’humanité.

A l’inverse, les initiatives de coopération économique, technologique, touristique ou encore culturelle constituent des opportunités à saisir pour changer la nature de la mondialisation et favoriser l’action commune en lieu et place de l’affrontement et de la loi du plus fort.

Evidemment, le contenu des projets de coopération comme leurs modalités doivent répondre pleinement aux intérêts de chacune des parties en présence. En ce sens, il est légitime que les négociations soient précises, exigeantes  et parfois  ardues. L’essentiel est que les partenaires soient animés par la volonté d’aboutir à un résultat positif. Adopter une telle approche dans la coopération avec la Chine, y compris en ce qui concerne l’initiative des « nouvelles routes de la soie », est donc une voie prometteuse qui correspond à la recherche de projets d’intérêt commun.

La Chine est un partenaire majeur pour la France et l’Europe. Du fait de son  importance démographique, de son dynamisme et de la profondeur de sa culture millénaire elle joue un rôle déterminant pour que l’humanité puisse surmonter avec succès les défis de cette période historique.

Avec elle, il nous faut jouer sans hésitation la carte d’un  développement solidaire et partagé.

 

[1] IFRI, « La France face aux nouvelles routes de la soie chinoises », oct 2018, p8

[2] : Il s’agit des pays suivants :  Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie et Macédoine.