Skip to main content

©

Par Florent Le Du, l’Humanité, le 24 juin 2021.

Les résultats de dimanche ont parfois été inattendus au regard des intentions de vote publiées en amont. Explications avec le politiste Daniel Gaxie.

DANIEL GAXIE
Sociologue et professeur émérite à la Sorbonne

Dimanche 20 juin, 20 heures : surprises ! Les résultats du premier tour des élections régionales contredisent les sondages. Les scores des présidents sortants sont plus élevés qu’attendu, pour ceux de droite comme pour ceux issus de la gauche. Cette dernière, annoncée devancée dans presque toutes les régions qu’elle dirige, arrive finalement en tête. Surtout le RN se retrouve souvent 10 points en dessous des intentions de vote prévues par les enquêtes. Auteur de « Sondages : précautions avant usages », note publiée par la Fondation Gabriel-Péri en 2020, le politiste Daniel Gaxie explique quels sont les biais inhérents à ces études, qui peuvent aboutir à de tels écarts.

Comment expliquer que les résultats du premier tour des régionales n’aient pas reflété les prévisions des sondages ?

Daniel Gaxie Ce qui frappe, c’est que les scores des têtes ­d’affiche « Les Républicains » sont bien plus élevés que prévu, tandis que le vote Rassemblement ­national a été sur­estimé. Cela peut ­s’expliquer par ­plusieurs biais ré­currents en ce qui concerne ces enquêtes. D’une part, les sondages publiés sur les intentions de vote ne sont jamais les résultats bruts de l’étude. Afin d’être, selon eux, le plus représentatif possible de la population, les instituts vont rehausser certains scores s’ils estiment que les catégories de personnes susceptibles de voter pour tel candidat ne sont pas suffisamment représentées dans le sondage. Également, pendant très longtemps, beaucoup d’électeurs du FN ne s’affirmaient pas lorsqu’ils étaient sondés. En conséquence, le pourcentage de votes RN a ­probablement été trop rehaussé par les instituts de sondage, alors que la sous-­déclaration de ce vote s’est réduite depuis plusieurs années. Mais les entreprises de sondage ne communiquent pas ces ­méthodologies, il y a là un vrai problème de transparence démocratique.

La forte abstention a-t-elle aussi été sous-­estimée, ce qui expliquerait en partie ces différences ?

Daniel Gaxie Bien sûr, l’abstention a sans doute joué un rôle, puisqu’elle concerne des catégories de personnes éloignées de la politique, qui sont aussi un des segments de l’électorat RN. Le taux d’abstention est particulièrement difficile à mesurer et a été sévèrement sous-estimé, ce qui s’explique par deux facteurs. Le premier, c’est ce qu’on appelle des biais d’échantillons. C’est-à-dire que les sondeurs ont plus de difficultés à accéder aux catégories de personnes les plus éloignées de la politique. Il y a donc surreprésentation des personnes les plus politisées et donc davantage ­susceptibles de participer aux élections. Le second, ce sont les biais de déclaration. On sait depuis très longtemps que beaucoup de gens ­hésitent à dire qu’ils vont s’abstenir, par une sorte de honte sociale ou par renoncement de dernière minute, avec des personnes prêtes à voter mais qui pour diverses raisons ne se rendent pas au bureau de vote.

Peut-on s’attendre à de tels écarts entre les sondages et les résultats lors de la prochaine présidentielle également ?

Daniel Gaxie La plupart des biais que nous avons évoqués existeront toujours mais dans une moindre mesure. L’abstention sera beaucoup moins importante mais elle reste difficile à évaluer. En revanche, ce qui est frappant aussi cette année c’est que dans beaucoup de régions, très peu de sondages ont été réalisés. Or, quand on essaie de tirer des informations des sondages électoraux, il faut regarder les plus récents et observer les tendances de chaque candidat sur la durée. Ce sera le cas pour la présidentielle. Cela ne veut pas dire pour autant que les sondeurs ne se tromperont pas. Ces études sur les intentions de vote restent des exercices d’équilibriste, c’est presque un miracle qu’il n’y ait pas d’erreur. Cela pose des problèmes démocratiques importants car certains votes sont faits en fonction des sondages. Il est nécessaire que les gens aient les instruments en main pour prendre de la distance par rapport à ces enquêtes.