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Par Corentin Lahu

Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne Franche-Comté.

 

Camélinat est présenté comme un militant exemplaire au sein de la SFIC. N’ayant jamais aspiré à briguer un quelconque mandat de dirigeant dans cette organisation, du fait de son âge avancé et de la figure – liée à son passé révolutionnaire –  qu’il incarne, il resta jusqu’à la fin de sa vie un militant entièrement dévoué à la cause de son parti. Se tenant éloigné des vifs débats de tendances qui agitent de la SFIC de l’intérieur, il n’a jamais exprimé publiquement la moindre contestation envers sa direction. En militant discipliné, il se soumet également aux décisions du IVe congrès de l’Internationale Communiste de décembre 1922, qui interdit la double appartenance à un parti communiste et à la franc-maçonnerie ou à la Ligue des Droits de l’Homme. Camélinat s’exécute, quittant la LDH au premier janvier 1923, plus de vingt ans après avoir abandonné la franc-maçonnerie. L’Humanité affiche alors en une l’exemple de ce « vieux militant de la classe ouvrière [qui] se conforme sans hésitation à la discipline de son parti. Passé oblige ! »[1].

L’Humanité, 1er janvier 1923. En ligne sur Gallica.

L’organe de PCF joue sur la fibre affective pour valoriser le rôle de ce passeur de mémoire, surnommé « Papa Camélinat » et dépeint en « vieillard simple et charmant »[2]. Les récits de son action en 1871 – comme lors de cette interview en mars 1924 à son domicile « dans le vieux Belleville »[3] –, sont  à chaque fois l’occasion de rappeler la probité et l’intégrité de l’ancien directeur de la Monnaie de la Commune qui, « ayant manié des millions, [n’a] pas soustrait le plus petit écu »[4].

L’Humanité, 20 mars 1921. En ligne sur Gallica.


L’Humanité, 18 mars 1924. En ligne sur Gallica

S’il accomplit parfaitement son rôle de témoin pour transmettre aux nouvelles générations le souvenir de la Commune, il n’en oublie pas pour autant sa tâche de militant communiste. Marcel Cachin ne manque pas de rappeler le dévouement total pour la SFIC de celui qui représente le « trait d’union entre la 1ère et la 3e Internationale »[5].  Resté « du même côté de la barricade », Camélinat « a conservé intacte sa position de vieux révolutionnaire », quand tant d’autres « au moment du choix pour Moscou, ont hésité, ont défailli, ont trébuché, ont renoncé à ce qui fut l’honneur de leur vie ». Camélinat lance même un appel[6] adressé à ceux qu’il considère « comme [ses] enfants [qui sont] la postérité de la Commune », et aux « générations nouvelles qui [feront] lever le grain des futures révolutions ». Il les exhorte à venger les Communards massacrés pour « édifier définitivement la cité du travail affranchi » et leur « demande de crier avec [lui] : « Vive la Commune ! » ». Et lorsque plusieurs journaux annoncent son décès en 1926, L’Humanité s’empresse de communiquer un démenti, précisant au contraire que sa santé est excellente, et ajoutant même que « non seulement Camélinat est bien vivant, mais [qu’] il a affirmé […] sa foi invincible dans les destinées du prolétariat français et son espoir de voir un jour la Commune triomphante »[7].

L’Humanité, 24 mai 1924. En ligne sur Gallica

En tant que symbole et témoin des luttes révolutionnaires du passé, « le Parti l’utilise pour honorer la mémoire de la Commune de Paris »[8] lors des événements organisés pour les anniversaires de sa proclamation et de la Semaine sanglante. Plusieurs cérémonies, meetings et fêtes commémoratives autour de la date anniversaire du 18 mars sont ainsi organisées sous la présidence de Camélinat, dont le rôle de témoin survivant s’efface devant les interventions des dirigeants politiques communistes, chargés de tirer les leçons de la Commune pour les combats à venir. Camélinat ne manque pas non plus d’assister chaque année aux défilés qui commémorent la Semaine sanglante, notamment à la montée au Mur des Fédérés à laquelle il participe jusqu’en 1929, se faisant ensuite représenter par ses filles. L’autorité morale et symbolique du vétéran est même utilisée pour accentuer l’ampleur de la manifestation communiste au Père-Lachaise, comme lorsque L’Humanité titre, en 1921 : « Jamais, depuis quarante, a dit Camélinat, la manifestation n’avait été aussi grandiose »[9]. Dans ces mêmes colonnes, Amédée Dunois retranscrit les paroles de l’ancien combattant : « Voilà quarante ans que je viens au Mur, me répétait le bon papa Camélinat, et jamais, jamais – tu m’entends bien : jamais ! – je n’ai vu un cortège pareil : c’est merveilleux, c’est absolument merveilleux ! ». Présent chaque année, aux côtés des autres anciens Communards, dans le groupe de tête du cortège, les manifestants lui vouent une admiration quasi religieuse, à l’image de ce « jeune enfant que son père porte sur ses épaules » et que « Camélinat embrasse avec émotion »[10].

Camélinat devant le mur des Fédérés, aux côtés de Marcel Cachin, Jacques Sadoul, Paul Vaillant-Couturier et Maurice Thorez, 1927. BMP/Archives du PCF.

Le patronage de Camélinat est même sollicité un temps pour légitimer les velléités insurrectionnelles qui se manifestent au sein du Parti communiste. Il devient ainsi un temps directeur de l’éphémère revue Le Militant rouge, « organe théorique et historique des insurrections » qui parait entre novembre 1925 et février 1927. Bien que sa nomination soit avant tout honorifique, elle participe du regain d’intérêt pour la violence politique de certains communistes, en puisant dans l’exemple des insurrections passées. De la même manière, lors de la fondation par l’ARAC des Groupes de défense antifasciste (GDA) – cette organisation de type paramilitaire inspirée du Rote Front allemand –, c’est Camélinat est mis à l’honneur lors de leur présentation aux militants communistes, à l’occasion d’un meeting organisé le 29 mai 1926, à la veille de la manifestation au Mur des Fédérés. À cette occasion, il remet à Henri Barbusse un drapeau offert à l’ARAC par les vétérans de la Commune[11].

Enfin, malgré son âge avancé, Camélinat prendra également la présidence en 1929 de l’Association fraternelle des anciens combattants et des amis de la Commune, fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1932[12].

Camélinat, témoin et acteur des grandes luttes historiques du prolétariat parisien, a ainsi bénéficié d’un statut honorifique particulier au sein de la SFIC, qui permet à ce parti de s’ériger en héritier des traditions révolutionnaires françaises. Dès lors, le Parti communiste a su mettre à profit le prestige du vétéran de la Commune, ainsi que son image de militant dévoué, loyal et désintéressé, au service de son propre agenda politique.

 


[1] « Un qui n’hésite pas », L’Humanité, 1er janvier 1923.

[2] Bernard Lecache, « Chez les survivants. Les glorieux souvenirs du papa Camélinat », L’Humanité, 20 mars 1921 et Jean Lorris, « Le « Père Camélinat », Directeur de la Monnaie », L’Humanité, 16 mars 1924.

[3] Fernand Despres, « 18 mars 1871 – 18 mars 1924. Dans le vieux Belleville chez Camélinat », L’Humanité, 18 mars 1924. La mention de ce quartier populaire particulièrement mobilisé durant la Commune permet par ailleurs d’insister sur la fidélité inébranlable de Camélinat à l’insurrection parisienne.

[4] Jean Lorris, « Le « Père Camélinat », Directeur de la Monnaie », op. cit.

[5] Marcel Cachin, « Les militants de la Commune. Camélinat, trait d’union entre la 1re et la 3e Internationale », L’Humanité, 24 mai 1924.

[6] Zéphirin Camélinat, « Ceux qui attendent… », L’Humanité, 30 mai 1926.

[7] « Une fausse nouvelle. Camélinat est bien vivant », L’Humanité, 29 avril 1926.

[8]  Pascal Guillot, « Camélinat et les débuts du Parti Communiste », in Zéphirin Camélinat (1840-1932). Une vie pour la sociale, Actes du colloque historique organisé au Musée Saint-Germain à Auxerre le 11 octobre 2003, Société des Sciences historiques et naturelles de l’Yonne et ADIAMOS-89, Auxerre, 2004, p. 111.

[9] L’Humanité, 30 mai 1921.

[10] L’Humanité, 28 mai 1923.

[11] « Hier, au gymnase Huygens 6000 anciens combattants enthousiastes ont manifesté contre le fascisme », L’Humanité, 30 mai 1926.

[12] Les Amis de la Commune de Paris 1871, Histoire de l’association, Paris, Les Amis de la Commune de Paris 1871, 2008, p. 18.