Dans le Journal officiel du 6 avril 1871, Courbet appelle les artistes à concourir à la reconstitution de l’état moral de Paris et au rétablissement des arts, qui sont sa fortune. Il est autorisé par la Commune à réunir ses confrères le vendredi 14 avril. Dans le grand amphithéâtre de l’école de médecine, 400 artistes se sont réunis et ont institué une fédération des artistes de Paris. Ils adoptent un programme qui proclame « la libre expansion de l’art, dégagé de toute tutelle gouvernementale et de tous privilèges », la nécessité de conserver « les trésors du passé », le refus de « toute exhibition mercantile » ou encore le développement de l’enseignement artistique dans les écoles. Il affirme que « par la parole, la plume, le crayon, par la reproduction populaire des chefs-d’œuvre, par l’image intelligente et moralisatrice qu’on peut répandre à profusion et afficher aux mairies des plus humbles communes de France, le comité concourra à notre régénération à l’inauguration du luxe communal et aux splendeurs de l’avenir et à la République universelle». La «commission fédérale» est élue à bulletin secret, le par 290 artistes. Il souhaite ainsi démocratiser les conditions de la création. Pour Kristen Ross, «par « luxe communal », les artistes et les artisans de la Commune semblaient penser à une sorte de « beauté publique »: l’amélioration des espaces partagés dans toutes les villes et tous les villages, le droit pour chacun de vivre et de travailler dans un environnement agréable»[1].
Précédé d’un résumé de la tenue de l’Assemblée des artistes le 14 avril, le programme a été publié dans le Journal officiel de la Commune de Paris, n°105, partie non officielle, 15 avril 1871.
Journal officiel de la Commune de Paris, 15 avril 1871.
Assemblée des artistes.
Hier [14 avril], à deux heures, a eu lieu, dans le grand amphithéâtre de l’École de médecine, la réunion d’artistes provoquée par M. Courbet, avec l’autorisation de la Commune. La salle était absolument pleine, et tous les arts y étaient largement représentés. Nous remarquons parmi les peintres MM. Feyen-Perrin, Héreau ; MM. Moulin et Delaplanche, parmi les sculpteurs ; la caricature a envoyé Bertall, la gravure M. Michelin, la critique M. Philippe Burty. — Beaucoup d’architectes et d’ornemanistes. Une assemblée de plus de quatre cents personnes.
M. Courbet préside, assisté de MM. Moulin et Pottier. Ce dernier donne, avant tout, lecture d’un rapport élaboré par une commission préparatoire et rédigé par lui. Ce document, très intéressant, contenait des considérations vraiment élevées sur les besoins et les destinées de l’art contemporain.
Confier aux artistes seuls la gestion de leurs intérêts.
C’est cette idée qui paraît dominer dans l’esprit du rapport de la sous-commission. Il s’agit d’instituer une fédération des artistes de Paris, en comprenant sous ce titre tous ceux qui exposent leurs œuvres à Paris.
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Fédération des artistes de Paris
Les artistes de Paris adhérant aux principes de la République communale se constituent en fédération.
Ce ralliement de toutes les intelligences artistiques aura pour bases :
« La libre expansion de l’art, dégagé de toute tutelle gouvernementale et de tous privilèges.
« L’égalité des droits entre tous les membres de la fédération.
« L’indépendance et la dignité de chaque artiste mises sous la sauvegarde de tous par la création d’un comité élu au suffrage universel des artistes. » Ce comité fortifie les liens de solidarité et réalise l’unité d’action.
Constitution du comité.
Le comité est composé de 47 membres représentant les diverses facultés, savoir :
16 peintres,
10 sculpteurs,
5 architectes,
6 graveurs,
10 membres représentant l’art décoratif, nommé improprement art industriel.
Ils sont nommés au scrutin de liste et au vote secret.
Ont droit de prendre part au vote les citoyens et citoyennes qui justifient de la qualité d’artistes, soit par la notoriété de leurs travaux, soit par une carte d’exposant, soit par une attestation écrite de deux parrains artistes.
Les membres du comité sont élus pour une année.
À l’expiration du mandat, quinze membres, désignés par un vote secret du comité, resteront en fonctions pendant l’année suivante, les trente-deux autres membres seront remplacés.
Les membres sortants ne peuvent être réélus qu’au bout d’une année d’intervalle.
Le droit de révocation peut être exercé contre un membre qui ne remplit pas son mandat. Cette révocation ne peut être prononcée qu’un mois après que la demande en a été faite, et, si elle est votée en assemblée générale, à la majorité des deux tiers des votants.
Détermination du mandat.
Ce gouvernement du monde des arts par les artistes a pour mission :
La conservation des trésors du passé ;
La mise en œuvre et en lumière de tous les éléments du présent ;
La régénération de l’avenir par l’enseignement.
Monuments, Musées.
Les monuments, au point de vue artistique, les musées et les établissements de Paris renfermant des galeries, collections et bibliothèques d’œuvres d’art, n’appartenant point à des particuliers, sont confiés à la conservation et à la surveillance administrative du comité.
Il en dresse, conserve, rectifie et complète les plans, inventaires, répertoires et catalogues.
Il les met à la disposition du public pour favoriser les études et satisfaire la curiosité des visiteurs.
Il constate l’état de conservation des édifices, signale les réparations urgentes, et présente à la Commune un compte rendu fréquent de ses travaux.
Après examen de leur capacité et enquête sur leur moralité, il nomme des administrateurs, secrétaire, archivistes et gardiens, pour assurer les besoins du service de ces établissements et pour les expositions, dont il sera ultérieurement parlé.
Expositions.
Le comité organise les expositions communales, nationales et internationales ayant lieu à Paris.
Pour les expositions nationales ou internationales qui n’ont pas lieu à Paris, il délègue une commission chargée des intérêts des artistes parisiens.
Il n’y admet que des œuvres signées de leurs auteurs, créations originales ou traductions d’un art par un autre, telle que la gravure traduisant la peinture, etc.
Il repousse d’une manière absolue toute exhibition mercantile, tendant à substituer le nom de l’éditeur ou du fabricant à celui du véritable créateur.
Il n’est pas décerné de récompenses.
Les travaux ordinaires commandés par la Commune seront répartis entre les artistes que les suffrages de tous les exposants auront désignés.
Les travaux extraordinaires sont donnés au concours.
Enseignement.
Le comité surveille l’enseignement du dessin et du modelage dans les écoles primaires et professionnelles communales, dont les professeurs sont nommés au concours ; il favorise l’introduction des méthodes attrayantes et logiques, estampille les modèles, et désigne les sujets chez lesquels se révèle un génie supérieur, et dont les études doivent être complétées au frais de la Commune.
Il provoque et encourage la construction de vastes salles pour l’enseignement supérieur, pour des conférences sur l’esthétique, l’histoire et la philosophie de l’art.
Publicité.
Il sera créé un organe de publicité intitulé : Officiel des arts.
Ce journal publiera, sous le contrôle et la responsabilité du comité, les faits concernant le monde des arts et les renseignements utiles aux artistes.
Il publiera les comptes rendus des travaux du comité, le procès-verbal de leurs séances, le budget des recettes et dépenses et tous les travaux de statistique apportant la lumière et préparent l’ordre.
La partie littéraire, consacrée aux dissertations sur l’esthétique, sera un champ neutre ouvert à toutes les opinions et à tous les systèmes.
Progressif, indépendant, digne et sincère, l’Officiel des arts sera la constatation la plus sérieuse de notre régénération.
Arbitrages.
Pour toutes les contestations litigieuses relatives aux arts, le comité, sur la demande des parties intéressées, artistes ou autres, désigne des arbitres conciliateurs.
Dans les questions de principe et d’intérêt général, le comité se constitue en conseil arbitral, et ses décisions sont insérées à l’Officiel des arts.
Initiative individuelle.
Le comité invite tout citoyen à lui communiquer toute proposition, projet, mémoire, avis ayant pour but le progrès dans l’art, l’émancipation morale ou intellectuelle des artistes, ou l’amélioration matérielle de leur sort.
Il en rend compte à la Commune et prête son appui moral et sa collaboration à tout ce qu’il juge praticable.
Il appelle l’opinion publique à sanctionner toutes les tentatives de progrès, en donnant à ces propositions la publicité de l’Officiel des arts.
Enfin, par la parole, la plume, le crayon, par la reproduction populaire des chefs-d’œuvre, par l’image intelligente et moralisatrice qu’on peut répandre à profusion et afficher aux mairies des plus humbles communes de France, le comité concourra à notre régénération à l’inauguration du luxe communal et aux splendeurs de l’avenir et à la République universelle.
G. COURBET, MOULINET, STEPHEN MARTIN, ALEXANDRE JOUSSE, ROSZEZENCH, TRICHON, DALOU, JULES HÉREAU, C. CHABERT, H. DUBOIS, A. FALEYNIÈRE, EUGÈNE POTTIER, PERRIN, A. MOUILLIARD.
Affiche pour la Convocation de la Commission fédérale des artistes.
[1] Kristin Ross, « L’internationalisme au temps de la Commune », Le Monde diplomatique, mai 2015.