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Par Corentin Lahu

Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne Franche-Comté.

 

Si Camélinat jouit d’une grande admiration dans son parti, il n’occupe cependant qu’un rôle honorifique au sein de la SFIC. Ce dernier le désigne pour être candidat à des élections de prestige, mais à l’issue certaine et sans aucune chance de succès pour les communistes. Aussi, « ces candidatures prennent-elles une dimension symbolique […] donnant une image positive de son parti »[1]. C’est ainsi que le Bureau Politique du 10 juin 1924 annonce qu’il sera le candidat du « Bloc ouvrier et paysan », soutenu par le Parti Communiste, à l’élection du président de la République du 13 juin[2]. Cette élection au suffrage indirect intervient un mois après les élections législatives remportées par le Cartel des gauches. Camélinat fait face à deux autres candidatures : celle de Paul Painlevé, candidat officiel du  Cartel des gauches et celle de Gaston Doumergue, le président du Sénat, radical modéré.

Le Parti Communiste établi un parallèle entre la candidature de Camélinat et celle de Vaillant quelques années plus tôt, présenté par le parti socialiste en 1913 et maintenu aux deux tours face à Poincaré. Il peut ainsi se targuer de « présente

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aujourd’hui le vieux révolutionnaire Camélinat comme son candidat à la Présidence de la République » par fidélité « à l’esprit de classe du Socialisme »[3]. En présentant la candidature du « probe et glorieux vétéran de la Commune de 1871 », le Parti Communiste « entend donner à cet acte toute sa signification révolutionnaire » en représentant « l’espoir de libération des ouvriers et des paysans de France ».

L’Humanité, 13 juin 1924. En ligne sur Gallica.

Marcel Cachin justifie le choix de cette candidature en expliquant qu’« en Camélinat, c’est la France prolétarienne de plus d’un demi-siècle qui revit tout entière »[4]. Il rappelle aussi qu’après la victoire de la révolution russe, le vieux révolutionnaire « salua en elle la fille directe de la Commune ». Mais c’est surtout son attitude après la scission de décembre 1920 que Cachin met en avant :

« Aussi au moment du Congrès de Tours, la conscience du vieux communard ne connut-elle pas d’hésitation ! Avec la Révolution russe jusqu’au bout, sans défaillance ! Il rompit avec d’anciennes amitiés, ne jugeant pas qu’on pouvait mettre en parallèle des relations de personnes avec l’intérêt du prolétariat international, estimant qu’il eût été indigne d’un Communard de tourner le dos au grand mouvement humain qui continuait la révolution de 71 et l’amplifiait, et commençait à la venger. Tels sont les motifs qui ont dicté aux représentants du Parti le choix de la candidature Camélinat ».

Le Comité Directeur du Parti ravive également le souvenir de la Commune en évoquant le lieu du vote à la salle des Congrès du château de Versailles :

« C’est de Versailles que Thiers et Galiffet ont lancé l’ordre d’étouffer la Commune parisienne dans le sang. Le nom de Camélinat, sonnant sous le toit même du palais des rois et acclamé le soir par la foule ouvrière, constituera la preuve vivante de ce que la Commune n’est pas morte et qu’un jour viendra où ses 35.000 victimes seront vengées »[5].

Un meeting, présidé par Camélinat, est même organisé la veille du scrutin à Versailles.

L’Humanité, 14 juin 1924. En ligne sur Gallica

L’élection est marquée par la victoire de Doumergue dès le premier tour, avec 515 voix (il a bénéficié du soutien d’une partie des parlementaires du centre et de droite), devant Painlevé avec 309 suffrages. Camélinat lui n’obtient que 21 voix sur les 26 députés communistes élus (les cinq manquant sont en « mission » ce jour-là et absents du scrutin). Mais à l’annonce de la proclamation des résultats, les parlementaires communistes scandent « Vive la Commune ! » et « Amnistie ! », et reprennent L’Internationale en réponse à la Marseillaise chantée par des élus de droite exaspérés. Et Amédée Dunois de conclure dans le compte-rendu de la séance :

« Les ombres des membres de la vieille Assemblée de 1871, si elles étaient venues hier rôder dans la salle où leurs corps autrefois s’agitèrent, ont dû fuir épouvantées en entendant retentir dans ces murs officiels le cri de : « Vive la Commune ! », – qui signifie la haine de leur crime ancien et la volonté de faire la Révolution »[6].

Par la suite, Camélinat est de nouveau désigné un an plus tard par son parti pour une élection sénatoriale partielle, après le décès du député Magny. Face à quatre autres candidats, la SFIC oppose « la belle figure de Camélinat, le vétéran des luttes héroïques de 71, le pur militant ouvrier dont toute la vie est un si haut enseignement de constance et de probité »[7]. Avec 71 voix, il arrive derrière Millerand (élu à la majorité avec 520 voix) et les autres candidats. Il se représente l’année suivante, lors d’une nouvelle élection sénatoriale partielle en avril 1926, sans plus de succès[8].

 

 


[1] Pascal Guillot, « Camélinat et les débuts du Parti Communiste », in Zéphirin Camélinat (1840-1932). Une vie pour la sociale, Actes du colloque historique organisé au Musée Saint-Germain à Auxerre le 11 octobre 2003, Société des Sciences historiques et naturelles de l’Yonne et ADIAMOS-89, Auxerre, 2004, p. 111.

[2] RGASPI 517/1/172, Bureau politique, 10 juin 1924. En ligne sur Pandor.

[3] Comité Directeur, « Camélinat candidat du Bloc Ouvrier et Paysan », L’Humanité, 13 juin 1924.

[4] Marcel Cachin, « Camélinat », L’Humanité, 13 juin 1924.

[5] Comité Directeur, « Camélinat candidat du Bloc Ouvrier et Paysan », op. cit.

[6] Amédée Dunois, « Le Cartel des gauches en débandade […] La Commune acclamée dans la salle de l’Assemblée versaillaise de 71 », L’Humanité, 14 juin 1924.

[7] « Élections sénatoriales de demain », L’Humanité, 4 avril 1925.

[8] Pascal Guillot, « Camélinat et les débuts du Parti Communiste », op. cit., p. 114.