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Edouard Sill

Propos recueillis par Corentin Lahu

 

Durant la guerre d’Espagne, les références à la Commune de Paris imprègnent les discours, les représentations et l’imaginaire des volontaires des Brigades internationales. Nous avons interrogé à ce sujet Edouard Sill, docteur en Histoire contemporaine. Il est l’auteur d’une thèse soutenue en 2019 et intitulée : Du combattant volontaire international au soldat-militant transnational : le volontariat étranger antifasciste durant la guerre d’Espagne (1936-1938).

 

La Commune de Paris est-elle présente dans la guerre d’Espagne?

Il y a indéniablement une grande proximité, à la fois historique, politique et culturelle, entre la guerre d’Espagne et la commune de Paris. Cette proximité, ce transfert, n’était d’ailleurs pas nouveau entre deux pays dont l’histoire politique et sociale dialoguait depuis l’orée du XIXe siècle. Ainsi, en octobre 1934, lors de l’insurrection ouvrière du nord de la Péninsule, on a pu parler alors de « Commune des Asturies ».

L’Humanité, 11 novembre 1934 (en ligne sur Gallica).

Durant la guerre civile, la presse espagnole loyaliste, pour parler de l’Espagne antifasciste en général, avait bien le sentiment que Madrid – ville de front depuis la fin de l’été 1936 jusqu’à la fin de la guerre en mars 1939 – vivait alors un destin historique comparable à d’autres villes avant elle, telles que Paris durant la Commune en 1871 ou Leningrad en 1917 et que, pour cette raison même, le regard du mouvement ouvrier mondial était fixé vers l’Espagne. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les quatre bataillons « de choc » organisé par le célèbre Cinquième Régiment début novembre 1936 pour essayer de percer le siège de Madrid furent baptisés : Madrid, Los Marinos de Cronstadt, Leningrado et Comuna de París.

La porosité entre les événements n’est pas seulement discursive. Elle touche aussi aux réalisations sociales et politiques que la Commune comme l’Espagne antifasciste ont menées : réformes sociales, laïcité, santé, éducation, droits des travailleurs, droits des femmes ou protection de l’enfance ; des réalisations souvent entravées par l’exigence urgente des combats. De même, leurs détracteurs n’eurent de cesse de les renvoyer aux mêmes maux : violence, désordre et anticléricalisme.

D’ailleurs, incroyable mais vrai, Radio Burgos (la radio d’État franquiste) annonçait en mai 1937 que « le célèbre bandit polonais Dombrowski » luttait à Madrid. Ce fut l’occasion pour la presse madrilène de rappeler l’héritage de la Commune de Paris et de rendre hommage aux volontaires Polonais des Brigades internationales.

Estampa du 22 mai 1937. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne

 

Quelles sont les traces de la Commune dans les Brigades internationales?

Il s’agit d’un sujet très prégnant dans les Brigades internationales. Cette présence est d’abord une filiation et une inspiration historique qui se traduit par les noms de baptêmes donnés aux diverses unités. En effet, pas moins de quatre-vingt patronymes ont été utilisés dans les Brigades internationales, quatre puisent directement dans l’héritage de la Commune de Paris.

Il s’agit naturellement du bataillon éponyme, « Commune de Paris », créé le 22 octobre 1936. En réalité, il reprenait le nom d’une petite formation de volontaires créée avant les Brigades internationales, une « centurie » qui regroupait principalement des métallurgistes parisiens, français et espagnols immigrés, de la CGT. Cette « colonne de Paris » fut renommée « Commune de Paris » à Madrid.

Texte anonyme issu de la section historique des Brigades Internationales.  Source : RGASPI 545.2.188.119  http://sovdoc.rusarchives.ru/

Devenu un bataillon, le « Commune de Paris » fut de tous les combats, jusqu’à la bataille de l’Ebre.

Couverture de Commune de Paris, numéro spécial anniversaire du 9eme bataillon, octobre 1937.  Source : RGASPI 545.3.419.1 http://sovdoc.rusarchives.ru/

Drapeau du bataillon « Commune de Paris », saisis par les franquistes. Musée de Tolède. Photo Wikipedia.

Un autre bataillon fut constitué peu après sur des effectifs parisiens, le « Louise Michel », mais il fut engagé dans des combats très difficiles devant la ville de Teruel, à Noël 1936. Pratiquement annihilé, il fut fondu avec un autre un mois plus tard.

Les Polonais mirent également à l’honneur la Commune de Paris ; il est vrai que l’exil polonais avait été intimement mêlé à l’insurrection parisienne.  Nous l’avons vu, un bataillon adopta le patronyme de « Dombrowski », en souvenir du patriote polonais et officier Jaroslaw Dombrowski.  En 1871, en exil à Paris, il avait été nommé général par la Commune et mourut durant les combats à Montmartre. En Espagne, ce bataillon devint une Brigade qui adopta son patronyme. Il y eut également une autre formation polonaise, plus petite, une batterie d’artillerie, crée en 1937. Elle fut baptisée « Wróblewski » en référence à un autre patriote polonais nommé général par la Commune, Walery Wróblewski.

Couverture de Dabrowszczak, organe de la XIIIeme brigade, octobre 1937. Source : RGASPI 545.2.439.69 http://sovdoc.rusarchives.ru/

 

Comment la Commune de Paris fut-elle célébrée par et dans les Brigades internationales?

En mars 1937, on n’avait pas manqué en Espagne de relever que lors de la victoire de Guadalajara, la bataille avait été emportée sur les soldats italiens envoyés par Mussolini pour soutenir Franco le jour anniversaire de la Commune de Paris. L’année suivante, la situation militaire préoccupante avait empêché toute célébration dans les Brigades internationales.

C’est en mars 1939 que la Commune fut célébrée avec le plus d’attention. Mais la situation était tout autre. Tandis que la République espagnole agonisait, les Brigades internationales avaient été démobilisées six mois plus tôt. Mais si les ressortissants des pays démocratiques avaient pu rentrer chez eux, leurs camarades étaient restés bloqués en Espagne, à attendre qu’un pays veuille les accueillir. Lorsque Franco opéra, avec les troupes de Mussolini, l’ultime offensive contre la Catalogne, les derniers internationaux furent pris dans la retraite vers la France et internés à Saint Cyprien et Argelès-sur-mer.

Dans leurs camps de fortune, ils maintinrent une vie politique et culturelle intense. L’approche du 18 mars fut l’occasion de préparer des festivités qui devaient également montrer leur attachement au peuple français. En effet, tous en étaient persuadés et les cadres dirigeants des Brigades internationales également, qu’ils seraient bientôt sollicités pour prendre place dans l’armée française contre l’Allemagne. On sait ce qu’il en fut.

Alors, tandis que leurs camarades Français réunis dans l’Association des Volontaires en Espagne Républicaine (l’ancêtre de l’ACER) « montaient » au mur des fédérés, les infortunés internés des camps des sables célébraient la Commune par la plume, le chant et le crayon.

Dessin réalisé par les vétérans latino-américains internés au camp de Saint Cyprien, mars 1939.  Source : 545.4.57.68 RGASPI http://sovdoc.rusarchives.ru/

Couverture de Libertate (journal des vétérans roumains internés au camp de Saint Cyprien) du 15 mars 1939 Source : CHS Fonds André Marty Paris 1 CHS AM Fonds André Marty  2-AM4:  http://www.calames.abes.fr/pub/#details?id=Calames-2013102112104973440

Couverture du livret réalisé par les vétérans allemands internés au camp de Saint Cyprien, mars 1939. Source : RGASPI 545.4.24.1 http://sovdoc.rusarchives.ru/

Extrait du livret réalisé par les vétérans allemands internés au camp de Saint Cyprien, mars 1939.  Source : RGASPI 545.4.24.16 http://sovdoc.rusarchives.ru/

 

Ces références sont-elles cantonnées aux combattants français, ou sont-elles partagées par les volontaires d’autres nationalités ?

La Commune de Paris fut mobilisée à la fois comme un événement appartenant au tronc commun de l’histoire du mouvement ouvrier et comme précédent internationaliste. Elle n’est pas le seul événement célébré dans les Brigades internationales. En janvier, les Allemands fêtaient l’anniversaire de l’insurrection spartakiste par celui des « 3L » (Lénine Luxembourg, Liebknecht). Les Français fêtaient plutôt les 9 et 12 février (1934) et la Commune en mars. Si chaque groupe national avait son propre calendrier, quelques dates étaient célébrées en communion : le 14 avril (anniversaire de la Seconde république espagnole), le 1er mai,  le 14 juillet (1789) liés avec le 18 juillet (1936), etc.

Cependant, il semble bien que la dimension internationaliste de la Commune de Paris ait procédé, dans la culture politique des volontaires des Brigades internationales, en majorité communistes, par le fait qu’elle ait été consacrée par Lénine et intégrée comme un événement précurseur dans l’histoire marxiste.

Ainsi, si la Commune est un événement politique connu, ou à peu près, par les volontaires, elle est assignée, comme évènement historique, à une dimension référentielle nationale très française.

D’ailleurs, les dessins réalisés en 1939 par les vétérans des Brigades internationales internés dans les camps du Roussillon sont très révélateurs de leur interprétation de l’événement comme une date avant tout française. Dans leurs œuvres se mêlent des objets symboliques qui renvoient à leur propre imaginaire de la France : le dessinateur du groupe allemand ajoute une tour Eiffel, le dessinateur letton représente les communards habillés comme des sans culottes, guidés par une Marianne dépenaillée plus proche de la Semeuse d’Oscar Roty.

Détail du panneau mural du groupe de vétérans lettons internés à Saint Cyprien, mars 1939.  Source : RGASPI 545.4.21.5 http://sovdoc.rusarchives.ru/

 

La mémoire de la Commune au sein des Brigades internationales a-t-elle une couleur politique particulière?

La mémoire de la Commune fut honorée et invoquée comme un épisode inaugural, à la fois de rassemblement populaire et d’événement unitaire, situé au-dessus des partis.

Texte réalisé par les vétérans latino-américains internés au camps de Saint Cyprien, mars 1939.  Source : RGASPI 545.4.57.69 http://sovdoc.rusarchives.ru/

À l’occasion de l’arrivée de gros convois de volontaires accueillis à Albacete ou bien lors de l’anniversaire de la création des  Brigades internationales, en octobre 1937, les discours tenus prennent soin de rappeler dans les pas de quels géants les volontaires s’inscrivent, chacun dans ses traditions historiques nationales.

Mais en vérité ces énumérations forment les jalons d’une trame mentale plutôt que réellement historique. La Commune de Paris figure naturellement parmi ces topoï. Dans une brochure célébrant la première année des Brigades internationales, André Marty écrivait :

Les petits fils des Volontaires de la Grande Révolution Française, les petits enfants des Chartristes Anglais et des Bataillons de Jefferson et de Lincoln, les combattants de Spartacus et de Liebnech, ceux des maisons ouvrières de Vienne, reprenant la courageuse tradition de 48 en Europe, fils de la Commune de Paris, de Bavière et de Hongrie ont montré que le Front Populaire de tous les amis de la Paix et de la Liberté est toujours capable de barrer la route au fascisme.

André MARTY, Douze mois sublimes. Paris, Editions du Comité populaire de Propagande Source : Pandor

Il faut souligner l’influence incontestable d’André Marty dans la récurrence des évocations de la Commune dans les Brigades internationales. Ce n’est en rien un hasard. Son propre père, Isidore Bonaventure (1849-1918), anarchisant, fut un des participants à la Commune de Narbonne, et condamné à mort par contumace pour ce fait, tandis qu’il s’était réfugié en Espagne… grimé en prêtre !