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Des constantes et des phases déterminées par sa propre modernisation

Par Daniel Cirera
Communication au symposium international : « La Chine moderne et la modernisation des pays en développement »
Peking University, 12 et 13 octobre 2019.

Depuis son intégration au tiers-monde jusqu’aux mutations actuelles, l’imbrication des relations d’aide et de coopération avec les pays en développement avec son propre développement est une des constantes de la politique internationale de la Chine moderne. Une autre constante réside dans son insistance sur des principes fondés sur la souveraineté, l’égalité et la non-ingérence, l’intérêt mutuel. Daniel Cirera aborde dans cette communication les caractéristiques de ces relations, leur évolution dans le cadre de la globalisation et montre en quoi la stratégie d’aide et d’investissement, d’ouverture vers les pays du Sud de la Chine contribue à modifier les règles et les rapports multilatéraux dans le monde globalisé, dominé par le capitalisme financiarisé et l’échange inégal.

 

Affiche de propagande chinoise pour la libération des peuples colonisés d’Afrique (fin des années 1960)

La Chine moderne et la modernisation des pays en développement : vaste sujet tant par la dimension des questions que par la période qu’il appelle à couvrir. Dans le cadre des échanges et du débat d’un colloque, c’est avec mon regard d’« Occidental », d’Européen, et de communiste français que je me propose de l’aborder.

La mise en perspective de la relation entre la Chine populaire et ce qu’on a appelé pendant tout un temps le Tiers-monde ouvre le champ d’un regard sur une réalité indissociable du processus du développement de la Chine elle-même. Cette mise en perspective est soumise à la profondeur des bouleversements qui ont marqué les relations internationales, jusqu’à leur accélération et leur dimension globale et planétaire dans tous les domaines dans les dernières décennies[1]. Réfléchir aux relations entre la Chine et les pays en développement donne la mesure de la profondeur de ces bouleversements.

La notion de « pays en développement » a subi plusieurs mutations. Comme celle de « développement ». Un des exemples est le débat sur la place de la Chine dans le concert des nations et les institutions internationales, se revendiquant comme partie des pays en développement quand son stade de développement en termes de PIB la place au premier rang des puissances économiques. Quelle réalité recouvre aujourd’hui la notion de Tiers-monde ? Quelle réalité recouvre le clivage Nord/Sud avec l’émergence de puissances dans le Sud, le délitement de la confrontation Est/ouest au profit d’autres fractures et tensions politico-géographiques?  La notion de « modernisation » elle-même demande à être explicitée pour chaque moment et chaque situation historique. Plus encore avec les crises systémiques qui appellent des transformations radicales.

Pour m’en tenir à une généralité préliminaire, je distingue, avec la plupart des chercheurs, de grands périodes qui structurent la vision des années qui nous séparent du lendemain de la 2° guerre mondiale. Dans leur schématisme, elles sont utiles pour repérer les grands mouvements et les ruptures. De ce point de vue les évolutions de la Chine, sa transformation, les conditions de sa modernisation, sont un des facteurs puissants de ces évolutions globales. Face aux mouvements profonds, elle a dû s’y adapter comme un de ses acteurs et en fonction des rapports de force et de ses conditions intérieures[2].

Les premières décennies marquées par les luttes de libération nationales contre la colonisation, et l’impérialisme,  sont  aussi celles de la mise en place de la République populaire. La relation est alors guidée par la recherche de sa place dans un monde structuré par la confrontation entre les États-Unis et l’Union soviétique. Dans cette confrontation la Nouvelle Chine soutient les nouveaux États indépendants en quête de souveraineté, plusieurs d’entre eux se réclamant d’un « non-alignement » manifesté de façon fondatrice à la conférence de Bandung en 1955. Période extrêmement riche et d’une grande complexité. Je pense qu’on peut déjà y discerner des traits majeurs dans les rapports de la puissance potentielle chinoise avec les pays se libérant de la colonisation ou résistant à l’impérialisme occidental. Ces traits majeurs impriment une certaine continuité dans l’esprit et la nature des relations avec ce qu’on appellera plus tard le « Sud ». Ne peut-on avancer l’idée que durant ces premières décennies la relation est essentiellement politique ? L’aide est alors essentiellement déterminée au titre de la solidarité et l’internationalisme.

La dimension politique de cette convergence d’intérêts reste une constante dans la durée.  Elle se manifestera avec autorité avec l’entrée de la Chine populaire dans les institutions internationales, tout particulièrement aux Nations-Unies en 1971. On notera que le continent qui apporta le plus de voix à cette reconnaissance fut l’Afrique (avec 24 votes). Membre permanent du conseil de sécurité, la Chine est porteuse dans ce cénacle des grandes puissances de positions dans lesquelles se reconnaît beaucoup de pays du Tiers-monde, tenus à l’écart de ce lieu de décision.

Dès ces premières décennies, les coopérations se développent avec des partenaires diversifiés des continents du « Sud », particulièrement en Asie et en Afrique, et jusqu’en Amérique latine. Je souhaite pour ma part centrer mon propos sur quelques éléments les plus significatifs du rapport entre la Chine « le plus grand des pays en développement et le continent qui réunit le plus grand nombre de pays en développement, l’Afrique » ainsi que les désignait le président Jiang Zemin, en octobre 2000, à propos de la coopération Sud-Sud.

Permettez-moi maintenant de me concentrer sur trois moments. Les années 1990, la charnière de l’année 2000, et aujourd’hui la réponse aux défis de la période – écologiques, du multilatéralisme, de la révolution informationnelle et numérique – ainsi que la signification et la portée de l’initiative de la B&R « La Ceinture et la Route », dans la relation avec les pays du Sud. Ces périodes nous intéressent particulièrement, dans la mesure où l’insertion dans le système mondial soulève des questions complexes. Cette complexité tient aux caractéristiques sans équivalent du pays – démographie, système économique original, avec son potentiel et la complexité des problèmes à résoudre,  rôle de l’État et direction par un parti communiste dans un environnement global de libéralisation des marchés et de concurrence globale, place dans l’ensemble asiatique, sans oublier l’histoire et l’immense culture -. Période importante aussi avec la diversification des pôles de développement, avec ce qu’on appellera « les pays et puissances émergents » dans laquelle on compte la Chine, avec ses caractéristiques et ses dimension propres.

La solidarité Sud-Sud et la modernisation

La décennie 1990 est marquée par la montée en puissance du pays avec l’élan donné par la mise en œuvre de la politique de réforme lancée en 1978 par Deng Xiaoping. Dans le même moment, le déploiement de la globalisation avec la libéralisation des échanges marchands, et la libre-circulation des capitaux, est dominé par les grandes puissances occidentales au premier rang desquelles les États-Unis. Dans ce monde de plus en plus concurrentiel, les pays du Sud, lourdement endettés, sont soumis à la pression néolibérale des plans d’ajustement structurels imposés par le FMI. Peut-on voir dans la fin des années 1980 et la décennie qui suit une période de transition de ces relations ?

Il est intéressant de noter que l’essor des échanges, alors que s’affirme la puissance du développement économique, est toujours placé sous le signe historique de la solidarité Sud-Sud, même si l’écart de développement se creuse avec des pays du sud, l’Afrique notamment. Cette identification comme « pays en développement » intègre la Chine dans un ensemble qui cherche à trouver sa propre voie dans une mondialisation jusque-là largement dominée par les États les puis puissants et les grandes compagnies multinationales. Au-delà de la dimension économique, cette réalité fait de la Chine un acteur du rapport de force dans les négociations avec les autres partenaires, notamment occidentaux.

Un des atouts de cette coopération, me semble-t-il, tient à la différence avec les comportements des puissances occidentales et des institutions qu’elles dominent comme le FMI ou la Banque mondiale. Alors que ces puissances et ces institutions imposent de conditions drastiques, tout particulièrement avec les plans d’ajustement structurels, la Chine revendique la non-conditionnalité politique au nom de la non-ingérence. Cette constante devient un facteur de tension quand s’aiguisent les concurrences avec les européens – la France au premier rang – et les États-Unis, et maintenant la Russie,  dans un continent comme l’Afrique, en recherche d’aide et d’investissements.

Un des traits qui mérite attention est celui de l’articulation entre « l’aide au développement », les APD telles qu’elles sont définies par l’OCDE,  les investissements, et les échanges commerciaux, dans la pratique des puissances occidentales et dans les évolutions de la politique d’aide de la Chine.  Alors que l’aide occidentale est concentrée sur l’aide pour des programmes et à une contribution budgétaire, avec des conditionnalités de plus en plus drastiques, la Chine privilégie les financements de projets (infrastructures, formation professionnelle, médecins, etc.). Les échanges commerciaux ne viennent qu’en complément et plus tardivement, avant que ne se développent à grande échelle les investissements. L’étude de ces changements sera intéressante pour les confronter au développement interne du pays, le renforcement de ses capacités et l’accroissement de ses besoins. Tout confirme une constante : l’imbrication entre le type de relation établie avec les pays en développement et le développement de la Chine elle-même, dans un environnement international lui-même en mouvement, voire en mutation.

Intégration et souveraineté

Dans ce contexte l’adhésion à l’OMC en 2001 marque un passage qualitatif. Elle soulève une question qui concerne directement les puissances dominantes, mais aussi l’ensemble des pays impliqués, quelle que soit leur taille, par la libéralisation des échanges. Elle a fait débat sur ses conséquences: intégration à un système dominé par les logiques d’un capitalisme globalisé et financiarisé?  Ou bien intégration lucide en préservant et même développant la capacité d’influencer le système. Dans le rapport de force de l’époque l’organisation signifie pour la majorité des pays africains la discussion de normes contraignantes, de strictes conditionnalités en termes de réformes, qui menacent des productions locales. Elles les intègrent dans le marché mondial dans un rapport de force fondamentalement inégal. L’entrée de la Chine avec son poids démographique et économique, lui permettant une résistance aux pressions, et une marge de négociation, si elle ne changeait pas la nature de l’organisation, ouvrait une brèche. Elle prenait une signification d’autant plus utile que dans cette période les plans brutaux d’austérité du FMI faisaient la démonstration de leur inefficacité économique, et commençaient à être contestés pour les conséquences sociales déstabilisatrices, l’accroissement de la pauvreté, du chômage et des inégalités.

Il existe donc une spécificité de l’aide au développement de la Chine. Son orientation, ses objectifs connaissent des phases déterminées par ses propres évolutions. Cette originalité se manifeste dans l’articulation dans des périodes successives entre aide, échange, investissements. En simplifiant on pourrait dire que l’on passe tout d’abord par l’aide comme expression concrète de la solidarité, anti-impérialiste, sur des projets concrets souvent très ambitieux et prestigieux. Dans les années 1990, l’aide publique s’articule avec l’accroissement des échanges commerciaux, – exportation de matières premières et de produits manufacturés avec l’ouverture des marchés -. Puis dans un nouveau mouvement se déploie une politique d’investissements, avec l’aide à l’implantation des entreprises chinois, dont la visite de Jiang Zeming en 1996 donne l’impulsion. Il est utile aussi de rappeler qu’une des caractéristiques de la Chine est qu’elle-même bénéficiaires d’APD, comme les autres pays émergents[3].

Dans cette interaction entre intérêt national et développement de partenariats, la création du forum sino-africain en 2000 est une étape significative. Lors de la 3° session à Pékin en 2006, on comptait 48 chefs d’état et de gouvernement signe d’une dynamique qui manifeste la force d’attraction de la Chine. La question posée au fil de la décennie et de la mise en place de projets – jusqu’au dernier forum tenu à Pékin l’an dernier – est celle des adaptations aux changements de situation, aux contradictions générées dans les dynamiques de la globalisation.

2013 est marquée par deux événements significatifs. La création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII). Le lancement de l’initiative de La Nouvelle Route de la Soie (Road & Belt Initiative) par Xi Jinping.

La mise en crise du multilatéralisme survient quand s’affirment de nouveaux pôles de développement et de décision. S’agissant des politiques de partenariat Sud-sud, elles peuvent viser à être un facteur de relations plus équilibrées. Les initiatives pour gagner et imposer une souveraineté monétaire, dans une responsabilité partagée, vont dans ce sens.  Se libérer de la domination et de la dépendance du dollar est au cœur de la refondation de l’ordre mondial, correspondant aux réalités économiques et politiques du moment. Les initiatives pour se dégager de cette hégémonie vont dans le sens de l’histoire. Elles sont une réponse réaliste au constat que le système monétaire fondé sur cette hégémonie n’est pas en état de répondre aux défis de la montée de la Chine et des autres pays émergents, des menaces sur l’environnement, du besoin d’accès de tous les habitants de la planète aux ressources naturelles et à l’éducation, ces biens communs de l’humanité.

Gagner la souveraineté monétaire

Cette mise en cause concerne tous les pays. Elle concerne très directement les pays et les peuples du Sud, soumis dans leur histoire à des traités et des échanges inégaux. Elle les concerne pour faire face aux pressions et des conditionnalités leur liant les mains et niant leur souveraineté. On en mesure les contraintes insupportables avec la politique de sanction et les lois d’extra-territorialité des États-Unis qui frappent directement les échanges commerciaux, technologiques, entre les pays du Sud. Quant aux institutions, elles ne correspondent plus aux réalités du monde aujourd’hui. La reconnaissance par le FMI du Renminbi comme 5ème monnaie de réserve tient du réalisme. L’augmentation de la participation au vote dans cette institution de la Chine aussi. Mais le problème est plus global. La question posée est celle d’un FMI profondément transformé où les pays en développement et émergents seraient représentés à hauteur de leur poids démographique.

Dans ce contexte la création de banques pour le développement par et avec la Chine manifeste la volonté de s’émanciper des institutions financières et monétaires dominées par les États-Unis, tout en répondant à des besoins pressants de financement. La création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII) participe de ce mouvement. Avec 30% du capitale, la Chine est le plus fort contributeur d’une institution dont sont absents les États-Unis et le Japon mais à laquelle ont adhéré des pays comme la Grande-Bretagne et la France. En 2015 ce fut l’ouverture de la Nouvelle Banque du Développement, avec son siège à Shanghai et dont le projet avait été décidé par les BRICS en 2013. Il s’agit dans les deux cas d’une alternative au FMI et à la Banque mondiale. Ainsi la Banque du développement des BRICS pourrait à terme délivrer des Droits de Tirage Spéciaux. Ces créations s’inscrivent dans l’affirmation de nouveaux centres de pouvoir, dans lesquels les pays du Sud sont les partenaires fondateurs, avec un rôle actif, voire déterminant de la Chine.

S’émanciper de la domination du dollar est une des conditions pour sortir de la crise monétaire. Dans cette stratégie il est un projet qui mérite attention: la création d’une monnaie commune mondiale. Que cette proposition ait reçu le soutien de la Chine a une grande portée. L’économiste marxiste français Paul Boccara a longuement étudié le projet de création d’une telle monnaie sur la base des DTS. Un instrument monétaire qui servirait aux transactions et des crédits à bas taux pour les pays en développement[4].

Gagner la maitrise monétaire est une des conditions de la maîtrise du financement des politiques d’investissement. Cette maitrise et ces orientations sont une des questions posées au développement des investissements et des facilités financières accordées par la Chine à ses partenaires.  C’est un des défis posés par la conception « gagnant-gagnant » des accords de partenariat. Les regards sont tournés vers la Chine. Ses capacités de développement spectaculaires en quelques décennies, le réalisme et l’ampleur de ses ambitions sont au coeur de l’avenir de la planète. Elles inquiètent, on le sait, les États qui voient leur domination séculaire contestée.

Crises et enjeux globaux : pour un multilatéralisme « gagnant-gagnant »

Les relations économiques et commerciales entre pays en développement, dont la Chine est un acteur majeur, s’élargissent et s’approfondissent dans un moment où surgissent des questions nouvelles et s’aiguisent les menaces de tensions latentes.

Je pense aux transformations qu’appelle la crise environnementale et climatique.  La Chine y est directement confrontée dans ses priorités de développement intérieur. Son engagement pour une issue positive de la COP21 a été décisif, notamment pour la prise en compte des problèmes de financement posés au pays en développement. Quelles adaptations, quelles stratégies nouvelles pour l’immédiat et les décennies à venir dans les échanges commerciaux, les priorités des investissements bénéfiques à tous les partenaires faut-il envisager et mettre en pratique dès maintenant? La satisfaction des besoins croissants, énergétiques, en matières premières,  alimentaires, la création d’emplois, impactent et orientent les relations et les partenariats. L’indépendance énergétique, l’appropriation des avancées spectaculaires de la révolution informationnelle et numérique sont aujourd’hui une dimension essentielle de la « modernisation ». Les pays d’Afrique sont particulièrement concernés par les problèmes posés par l’utilisation des terres agricoles, la transformation des productions pour la souveraineté alimentaire et la fixation des populations, l’adaptation au changement climatique.  Ces questions vitales pour les populations et le développement endogène dépendent au premier chef des États et des gouvernements. Leur solution est indissociable de la nature de l’aide publique, des échanges, des investissements. La façon dont la Chine répond et répondra à ces défis contribue à modeler le nouvel ordre mondial[5].

Aux pays concernés, à leur peuple et leurs dirigeants de saisir ce qu’ils considèrent comme des opportunités et aient confiance dans leur capacité à négocier le meilleur dans l’esprit du « gagnant-gagnant ». Cette insistance à l’intérêt mutuel mérite attention. C’est le socle des 8 principes de la déclaration d’Accra de Zhou Enlai en 1964[6] et des 4 principes énoncés par Zhai Ziyang en 1984. A chaque période la notion s’est posée dans des environnements différents. J’analyse cette insistance sur le « gagnant-gagnant » aujourd’hui comme la réaffirmation de principes pour l’ensemble des coopérations. Avec les pays en développement, on peut la comprendre comme un guide pour des relations dont la Chine a absolument besoin, se différenciant des prédations des puissances et des multinationales occidentales – marquées par le passé colonial -, et posant le principe d’un dialogue d’égal à égal. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre sans doute l’appel de Xi Jinping aux autres partenaires de l’Afrique à respecter la règle des « cinq non », particulièrement la non-ingérence et la non-conditionnalité[7]. Ce rappel insistant sur le « gagnant-gagnant » qui doit caractériser les rapports entre des partenaires de puissance et de capacités inégales a une portée plus générale. C’est sans aucun doute dans l’esprit des responsables chinois la condition d’un multilatéralisme viable parce que profitable à tous, au moment où celui-ci est contesté au profit de visées hégémoniques.

C’est dans ce contexte et sur la base des questions nouvelles posées par les relations économique, commerciales, et la modernisation économique dans des partenariats que se pose le lancement et la mise en œuvre du grand projet de la Belt & Road Initiative, en français « La Ceinture et les Nouvelles Routes de la Soie ». L’ouverture dans toutes les directions, y compris jusqu’à l’Ouest européen (géographique et politique) concerne directement les pays en développement, émergents ou en voie d’émergence. La plupart des projets évoqués trouvent leur place aujourd’hui dans cette ambition qui leur donne leur cohérence, y compris la création d’institutions bancaires. On sait les réticences, voire les inquiétudes exprimées dans les capitales occidentales. La réalité est qu’une quarantaine de pays africains s’y associent d’ores et déjà.

Conclusion

Un examen sur la longue période de la République populaire de Chine à travers ses relations avec le Tiers-monde, et la modernisation des pays en développement dessine quelques constantes. La défense de la souveraineté et l’ambition de trouver et de retrouver la place que son histoire et sa culture lui confèrent dans l’histoire de l’Humanité. Une tension entre le potentiel de sa dimension, de ses capacités, et la vulnérabilité pendant plusieurs décennies dans un monde dominé depuis plus d’un siècle par les grandes puissances coloniales et leur vocation impérialiste. Comme pays en développement, elle s’identifie à la majorité pays décolonisés et en lutte pour leur indépendance politique et économique. Sa réussite fulgurante en termes de PIB et de lutte contre la pauvreté en fait une référence et lui donne des moyens pour s’ouvrir, passer des compromis tout en préservant l’essentiel. Sa contribution à la modernisation des pays en développement est au départ dans son existence même, dans la solidarité politique. En dynamique avec la réussite de la politique d’ouverture et de réformes, elle a su profiter de son insertion dans une globalisation dominée par les puissances et les firmes occidentales et en premier lieu des États-Unis. Cette relation prend des dimensions totalement nouvelles dans un monde où les formidables possibilités de répondre aux besoins de l’humanité sont confrontées à des crises multiformes, aux menaces de déstabilisation provoquées par le changement climatique et les inégalités.

Au moment où les rapports étatiques et non-étatiques se redessinent, alors que les besoins de coopération à des niveaux jamais atteints se font plus indispensables que jamais la position de la Chine à la fois dans le Nord et dans Le Sud lui confère une position privilégiée dans la définition d’une gouvernance plus juste et d’un nouvel ordre mondial solidaire et pacifique.

 

Paris, octobre 2019.

Daniel Cirera est spécialiste des questions internationales et européennes et secrétaire général du conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri.

 

[1] Comment ne pas penser à ce passage magistral du Manifeste du Parti communiste : « A la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l’est pas moins des productions de l’esprit. Les œuvres intellectuelles d’une nation deviennent la propriété commune de toutes. L’étroitesse et l’exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles ; et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle ». Karl Marx, Friedrich Engels, 1848.

[2] Évoquant les bouleversements dans les échanges mondiaux, Marx écrit en 1850 : « L’Océan Pacifique jouera dans l’avenir le même rôle que l’Atlantique de nos jours et la Méditerranée dans l’Antiquité à celui de grande voie d’eau du commerce mondial, et l’Océan atlantique tombera au niveau d’une mer intérieure, comme c’est le cas de la Méditerranée », Nouvelle Gazette Rhénane, n°2, février 1850.

[3] Pour la période 2000-2006, cette aide est évaluée à 1,7 milliards de dollars par an en moyenne.

[4] « Le Fonds monétaire international serait profondément transformé pour que les pays en développement et émergents y soient représentés à hauteur de leur poids démographique », explique l’économiste communiste français Denis Durand. « Il régulerait une création monétaire destinée à financer de façon sélective, par des crédits à long terme et à faible taux d’intérêt, les projets les plus efficaces, non pas du point de vue de la rentabilité des capitaux financiers mais du point de vue de la création de valeur ajoutée dans toutes les régions du monde et de l’accès de tous les individus aux droits fondamentaux, à l’éducation et à une maîtrise démocratique de leurs conditions d’existence. Cette proposition exprime une stratégie plus générale consistant à agir sur les comportements des banques et sur leurs critères d’attribution des crédits, en vue de faire reculer leur soutien à la croissance des marchés financiers, et de les mobiliser en faveur de projets élaborés avec le soutien des populations, à l’échelle locale ou régionale comme à l’échelle d’une nation, d’une partie du monde ou de la planète tout entière. »

[5] Ces questions ont été au centre du discours du président Xi Jinping à l’ouverture du Forum sino-africain en septembre 2018 à Pékin.

[6] Les « huit principes »: l’égalité entre les partenaires, les bénéfices mutuels, le respect de la souveraineté, l’utilisation de dons ou l’utilisation de prêts sans intérêt, l’allégement des charges, le renforcement du bénéficiaire, le respect des obligations.

[7] Discours d’ouverture du Forum sino-africain, Pékin 30/09/2019.