Plus de 250 participants ont assisté à la conférence organisée par l’association ARCADE et son président Demba Moussa Dembélé, en partenariat avec les fondations Gabriel Péri et Rosa Luxemburg. Quelques jours auparavant, Kako Nubukpo, ancien directeur de la francophnie économique et numérique, était brutalement démis de ses fonctions pour avoir publié une tribune critique sur le discours du président Emmanuel Macron à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, Franc CFA : les propos de M. Macron sont « déshonorants pour les dirigeants africains », dans Le Monde Afrique, le 29 novembre 2017.
Dans le premier panel intitulé « Sortir de la servitude monétaire », le professeur Mamadou Koulibaly, économiste, ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, est revenu sur les défis démographiques du continent et les impératifs du développement. Insistant sur la centralité de la question monétaire, il a plaidé pour la réalisation par un cabinet d’avocat indépendant d’un audit juridique et comptable des zones franc et des traités de coopération monétaire qui les régissent. L’ancien député, qui s’inscrit dans le courant libéral, a révélé que la BCEAO avait consenti des prêts à des taux préférentiels à ses employés pour un montant total de 52 milliards de franc CFA en 2016. Pour comparaison, la somme des crédits bancaires pour la même année de la Guinée Bissau s’élève à 63,6 milliards de franc CFA.
Martial Ze Belinga a souligné l’importance de l’histoire de la colonisation monétaire qui doit être rappelée et justifie la sortie de cette servitude. Il souhaite une intégration monétaire alternative fondée sur le partage et la démocratie. Or, le fonctionnement actuel est éloigné des peuples. L’économiste et sociologue a interpelé les juristes et les constitutionnalistes sur les liens entre le franc CFA et l’euro. L’arrimage à l’euro est une anomalie démocratique née de la décision du 23 novembre 1998 selon laquelle l’autorité européenne doit être informée de tout changement de parité. Les peuples africians devraient être consultés par la voie démocratique comme celle du referendum. C’est un des sujets que pose la réflexion sur les alternatives.
Demba Moussa Dembélé dans le second panel est revenu sur le projet de monnaie unique dans l’espace CEDEAO prévu initialement pour 2020, mais qui donne lieu à des débats entre les Etats. Le Nigeria pose des réserves et exige au préalable que le divorce entre les pays de l’UEMOA et le Trésor français soit fixé selon une feuille de route précise.
Ndongo Samba Sylla a insisté sur les problèmes soulevés par la monnaie unique qui dépossède les Etats de leur souveraineté, des outils de politique commerciale, d’investissement et de contrôle des mouvements de capitaux. Il critique les critères de convergence imposés aux pays membres de la CEDEAO qui limitent, comme en zone euro, le déficit à 3% et l’endettement public à 60% du PIB. Empêchant toute autonomie budgétaire, ils privent les Etats des leviers nécessaires en cas de choc externe ou interne et font de la dévaluation la seule option, aux conséquences souvent désastreuses. Le risque est grand de créer une zone monétaire sans équilibre, où les politiques seront le reflet des intérêts du Nigeria, poids lourd régional.
Alors que l’abolition des conventions de coopération monétaire avec la France fait largement consensus, le débat est ouvert entre ces différentes alternatives, monnaie unique ou monnaie commune, et devrait valoriser la critique économoique et politique des projets d’intégration communautaire, dont les objectifs prioritaires consisteraient en la diversification et la complémentarité des économies, la solidarité plus qu’en l’unité.
Pour en savoir plus, nous vous proposons la vidéo de la conférence (extraits), l’appel de la conférence, la déclaration de soutien à Kako Nubukpo, ainsi que son article publié dans Le Monde Afrique.
Nous mettons également à disposition la contribution aux échanges de Samir Amin, qui présidait les deux panels de la conférence. Intitulé « La Question du franc CFA« , le dossier réunit des notes de l’économiste des années 1969 à 1972.