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L'Humanité 13 février 1936, © BNF Gallica

Nous vous proposons la série « La bataille du Front Populaire » en partenariat avec L’Humanité.
Épisode 10. Hostiles au PCF et à la SFIO, les droites républicaines s’allient au Parti radical pour gouverner. En 1935, une partie d’entre elles optent pour l’union avec l’extrême droite. La dissolution des ligues entraîne la constitution de premiers partis de masse. Retour sur cet épisode avec l’historien Frédéric Monier.

Au lendemain des émeutes du 6 et du 8 février 1934, les droites républicaines reviennent au pouvoir, dans le gouvernement d’union nationale dirigé par Gaston Doumergue, ancien président de la République de 1924 à 1931. La France vit alors sous un régime parlementaire et dans un monde politique et social très différent du nôtre. Les élections législatives de 1932 ont donné une majorité aux radicaux et aux socialistes.

Leur alliance est extrêmement fragile ; les émeutes du 6 février 1934 y mettent un terme. Le Parti radical se tourne vers les droites républicaines pour former une nouvelle majorité, centriste : elle se présente comme une union nationale contre les extrêmes, entendons les « partis marxistes » – socialistes et communistes – à gauche, et une partie des ligues « nationales », en réalité nationalistes, à l’extrême droite.

Tendre la main aux nationalistes

Face à la dynamique unitaire qui s’affirme à gauche, la majeure partie des dirigeants de droite – comme Pierre-Étienne Flandin, dirigeant de l’Alliance démocratique – soutient la stratégie de concentration, qui repose sur l’alliance avec les radicaux. Cette stratégie fonctionne, du gouvernement de Gaston Doumergue en 1934 au gouvernement d’Albert Sarraut au début de 1936.

Ces gouvernements sont composés de ministres radicaux – tel Édouard Herriot – et de ministres de droite modérée – comme Pierre-Étienne Flandin. Il existe une stratégie alternative à la conjonction des centres : c’est celle de l’affrontement droite-gauche. À partir de 1935, une partie des droites républicaines – en particulier la Fédération républicaine – opte pour l’union des droites dites patriotes. Il s’agit en réalité de tendre la main aux nationalistes. Au début de 1936, cette question n’est pas tranchée.

La deuxième difficulté concerne les rapports entre les formations politiques de droite, « patriotes », et les organisations parapolitiques, majoritairement antiparlementaires, des nationalistes. Ce sont les ligues, en référence à l’Action française royaliste, aux Croix-de-Feu dirigés par le lieutenant-colonel François de La Rocque et aux Jeunesses patriotes animées par Pierre Taittinger.

En réalité, c’est une nébuleuse beaucoup plus large, qui englobe des organisations spécialisées – la Fédération des contribuables, proche de l’Action française –, des partis groupusculaires – le francisme de Marcel Bucard –, ou encore des groupes corporatistes – tels les comités de défense paysanne. Ces organisations ne jouent pas de rôle majeur au Parlement ; en revanche, sur le terrain, elles sont très présentes et utilisent des moyens d’action spectaculaires : défilés en uniforme, rassemblements motorisés, contre-manifestations.

Le premier Front national

En 1934, plusieurs de ces organisations créent un Front national, le premier du nom. Elles constituent, pour le Front populaire, le visage du fascisme. Mais ce fascisme, en 1934-1935, ne correspond pas à un parti : ce que demande le Rassemblement populaire, c’est la dissolution des ligues, et non d’une formation politique traditionnelle. À la veille des élections de 1936, les droites n’ont pas tranché cette question.

C’est la condamnation de la violence militante qui la règle. En effet, la violence politique – contre des adversaires, contre les forces de l’ordre – ne disparaît pas après février 1934. Pour le grand public, un événement a l’effet d’un électrochoc : la tentative de lynchage de Léon Blum par des militants et sympathisants d’Action française. Le 13 février 1936, il est roué de coups par quelques dizaines d’assaillants, devant une foule de 300 à 500 personnes.

Il en réchappe grâce à des policiers et à quelques passants qui s’interposent, dont, dit-on, six ouvriers du bâtiment. Le chapeau de Léon Blum est retrouvé au siège de la ligue d’Action française, suspendu au mur comme un trophée. La ligue est dissoute peu après. Reste une question, centrale, pour les droites nationalistes : la condamnation, ou pas, de la violence politique comme moyen d’action légitime.

La recomposition des droites françaises à l’été 1936 est le fruit de leur échec aux élections législatives du printemps, et d’une condamnation de la violence militante nationaliste, qui aboutit à la dissolution des autres ligues en juin. Cette situation inédite a une conséquence profonde : la création des premiers partis de masse à droite, avec le Parti social français, issu du mouvement des Croix-de-Feu, et le Parti populaire français, dirigé par un ancien communiste, Jacques Doriot.

Frédéric Monier, «Dès 1935, les droites contre le Front populaire», L’Humanité, 27/06/2024