Chacun a pu l’éprouver : dans telle situation banale (arbitraire d’une décision, fermeture d’une usine qui ne rapporte pas assez à ses propriétaires, punition sans raison etc…), ou limite (des enfants juifs parqués devant un commissariat pour être envoyés vers les camps de la mort, le corps inanimé d’un enfant sur une plage méditerranéenne…) le sentiment d’injustice n’a pas besoin de la connaissance du droit : il exprime, pour un sujet, l’impression d’un effondrement de la Loi. Certains y voient la source de la démagogie. C’est lui qui soulève les multitudes qui font les révolutions. A l’écart des abstractions gestionnaires qui l’ignorent, il signe ce sentiment d’humanité que porte la raison sensible. Exprime-t-il un sens inné de la justice ? Ou bien est-il premier, réagissant à un dommage subi et ouvrant un conflit social et politique en vue de déclarer des droits qui changent le système établi ? Tel est l’enjeu de cette exploration philosophique et littéraire, dans le temps, de manifestations et théorisations de l’injustice et du sentiment d’injustice. L’actualité des réformes néolibérales nous le rappelle : le sentiment d’injustice fait le partage entre deux mondes, celui de la gestion financière et de la concurrence et celui de la « raison sensible », des droits garantis pour ceux qui subissent l’arbitraire de la domination, donc celui de l’émancipation.
Depuis 1997 le Groupe d’Etude du Matérialisme Rationnel (GEMR) réunit philosophes, historiens, littéraires etc., pour travailler sur des questions de philosophie politique liées à la démocratie. Il a publié notamment, sous la direction d’Yves Vargas, De la puissance du peuple (4 volumes aux éditions du Temps des Cerises).
Le présent livre est le fruit d’un séminaire qui s’est déroulé durant cinq ans.