La chronique des Recherches internationales, août 2024
Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine contemporaine à l’Université de Rouen. Auteur de Venezuela : de la Révolution à l’effondrement aux Presses Universitaires du Midi.
Le chavisme a longtemps constitué un espoir en Europe : le renouveau de l’intervention de l’État dans un pays qui avait souffert de plusieurs plans d’ajustement co-signés avec le FMI, la mise en place de dispositifs de démocratie participative, la redistribution d’une partie de la rente pétrolière aux plus modestes, un affrontement ouvert avec l’impérialisme états-unien mettant à mal ses projets de libre-échange continentaux. Pourtant, depuis plusieurs années le gouvernement Maduro a perdu la plupart des caractéristiques progressistes de son prédécesseur. Dans un contexte d’effondrement économique, l’exécutif mène une politique libérale destinée à attirer les capitaux via une dollarisation rampante et des mesures favorables aux investisseurs. Le « socialisme du XXIème siècle », qui n’était resté qu’au stade de promesse rhétorique, a disparu au profit d’une exploitation court-termiste des matières premières. Depuis sa mise en minorité électorale lors des élections législatives de 2015, Nicolás Maduro utilise les institutions pour se maintenir au pouvoir malgré son impopularité. Ayant désormais une faible légitimité démocratique, Nicolás Maduro confie toujours davantage de pouvoir à l’armée alors que la participation citoyenne est remisée au rang de souvenir poussiéreux.
Maduro dans une fuite en avant autoritaire
Les élections présidentielles du 28 juillet constitue un nouveau saut en avant dans le tournant autoritaire opéré par Nicolás Maduro. Le Conseil national électoral, institution proche du chef de l’État, a annoncé la victoire du candidat sortant avec plus de huit points d’avance sur son principal concurrent (51,95 % pour Nicolás Maduro contre 43,18 % pour Edmundo González). Á l’inverse, l’opposition a mis en ligne ce qu’elle affirme être les procès-verbaux de 83,5 % des bureaux de vote et parvient à des résultats diamétralement opposés (67,1 % pour Edmundo González contre 30,4 % pour Nicolás Maduro). Depuis deux semaines, les procès-verbaux de ces bureaux de vote n’ont pas été publié par le camp maduriste qui mise sur le soutien des institutions dirigés par ses proches (Conseil national électoral, Tribunal suprême de justice) pour valider le scrutin. La répression frappe témoins des bureaux de vote, dirigeants de l’opposition libérale, journalistes, manifestants contestant les résultats annoncés par le CNE. Le bilan est pour l’heure de 24 morts et de 1263 arrestations selon les ONG de défense des droits humains. Il est significatif de la volonté de terroriser les protestataires que Nicolás Maduro fournisse des estimations du nombre de détentions plus élevés et souhaite dédier les prisons de haute sécurité de Tocorón et Tocuyito à l’incarcération, au travail forcé et à la « rééducation » des manifestants.
Á l’intérieur du pays, le gouvernement Maduro est devenu un ennemi des courants les plus à gauche. Le Parti communiste vénézuélien n’a d’ailleurs plus le droit de se présenter en son nom propre а des élections depuis que sa personnalité juridique a été confiée а des proches du gouvernement par les instances judiciaires acquises à Nicolás Maduro. Le candidat qu’il soutenait dans un premier temps, Manuel Isidro Molina, n’a pas été validé par les instances électorales comme celle d’Andrés Giussepe qui souhaitait incarner un chavisme critique. Si l’opposition libérale a pu présenter un candidat en la personne d’Edmundo González, l’opposition de gauche est restée orpheline de toute possibilité d’inscrire un candidat. Ces atteintes aux libertés démocratiques ne se limitent pas au champ électoral. Deux dirigeants syndicaux de l’entreprise sidérurgique, SIDOR, Daniel Romero et Leonardo Azócar, sont incarcérés depuis plus d’un an pour des actions revendicatives.
Maduro n’est ni un rempart face à l’opposition libérale, ni face aux États-Unis
Ces critiques ne valent pas un soutien à l’opposition libérale, dirigée par les courants les plus radicaux depuis la primaire d’octobre 2023 en vue de l’élection présidentielle. Ce scrutin a été emporté de manière écrasante par María Corina Machado avec 93 % des suffrages exprimés. Inéligible aux yeux des institutions vénézuéliennes, elle a cédé sa place à une autre candidate (Corina Yoris), elle aussi empêchée, c’est ainsi qu’Edmundo González, diplomate inconnu des Vénézuéliens est devenu le candidat unitaire de l’opposition libérale.
Derrière ce prête-nom qui avait la précieuse autorisation de se présenter, c’est María Corina Machado qui a mené la campagne et concentre le poids politique. Elle est depuis les années 2004 la dirigeante de l’opposition la plus radicalement anti-chaviste, y compris lorsque celui-ci était démocrate et redistribuait les richesses aux plus modestes : celle qui demandait le soutien de George W. Bush en 2005, celle qui faisait partie des fractions les plus insurrectionnelles appelant à « la sortie » de Nicolás Maduro en 2014, celle qui en appelait а l’intervention militaire étrangère contre son propre pays en 2019, celle qui signait des tribunes aux tonalités néo-coloniales avec l’extrême-droite espagnole de Vox en 2020, celle qui affirme encore actuellement son soutien à des dirigeants aussi réactionnaires que Nayib Bukele, Javier Milei et Benjamin Netanyahu.
Á l’instar de ce qui peut se passer en France, le pouvoir exécutif a favorisé l’émergence des courants les plus radicaux au sein de la droite pour mieux se maintenir au pouvoir. En limitant les possibilités d’organisation et en légitimant depuis l’État des politiques économiques libérales, il a disqualifié la gauche. En ne cédant aucun compromis dans les différentes négociations qui ont lieu depuis une décennie (en République dominicaine en 2017-2018, en Norvège en mai 2019, à la Barbade à l’été 2019, au Mexique en 2021), il a disqualifié les fractions modérées de l’opposition libérale, ouvrant la voie aux courants les plus ouvertement anti-communistes.
La critique de Maduro ne vaut pas non plus soutien à l’impérialisme états-unien. Les mesures coercitives unilatérales mises en place par Donald Trump en 2017 et surtout en 2019 ne sont pas l’origine de la crise économique qui commence dès 2012 mais ont eu des conséquences criminelles pour la population vénézuélienne tout en étant contre-productive du point du changement de régime rapide visé par les États-Unis. Ces sanctions ont été suspendues entre octobre 2023 et avril 2024 en vue de l’organisation des élections présidentielles, principalement au bénéfice de la multinationale, Chevron. Isolé dans la communauté internationale occidentale, peu soutenu par sa population, Nicolás Maduro n’est pas en position de force pour négocier une répartition de la rente pétrolière plus favorable à l’État vénézuélien. L’administration états-unienne est désormais pris dans une contradiction entre d’une part, son lien avec l’opposition libérale vénézuélienne et d’autre part, le besoin d’un approvisionnement en pétrole géographiquement proche et la contention de la crise migratoire vénézuélienne qui a déjà poussé 7,7 millions de personnes à l’extérieur des frontières de leur pays, soit un quart de la population nationale. L’horizon est obscur pour les Vénézuéliens. Le devoir de la gauche européenne est de se solidariser avec la gauche vénézuélienne qui subit la répression du gouvernement de Nicolás Maduro sans partager l’orientation de l’opposition vénézuélienne, d’autant plus que celle-ci est dirigée par les courants les plus ouvertement anti-communistes. On ne peut pas faire confiance à Nicolás Maduro ni pour combattre les courants les plus radicaux qui dirigent l’opposition libérale vénézuélienne ni pour combattre l’impérialisme étasunien.