Séminaire de la Fondation Gabriel Péri (2010-2011)
Organisé par la Fondation Gabriel Péri, le séminaire s’est tenu en partenariat avec la revue Recherches internationales et l’ASTS (Association Science Technologie Société). La coordination du séminaire était assurée conjointement par Chrystel Le Moing (Fondation Gabriel Péri), André Jaeglé (Association Sciences Technologies Société) et Michel Rogalski (revue Recherches internationales).
Présentation
Un deuxième Sommet de la terre s’est ouvert à Rio en 2012 sous une triple constellation (Rio+20, Stockholm+40 et Johannesburg+10). La planète réunie s’interroge sur ses capacités à faire face à son avenir et doit apporter des réponses. La Fondation Gabriel Péri a tenu un séminaire pour éclairer ces défis. Consciente des enjeux sociétaux, économiques, géopolitiques que ce Sommet soulève et de l’attente qu’il suscitait, elle souhaitait rassembler sans frilosité et sans tabou les forces intellectuelles et les acteurs sociaux qui manifestent un intérêt suivi pour ces sujets.
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Ouvert tout à la fois aux questionnements et aux apports des différentes réflexions, ce séminaire était structuré autour des thèmes suivants :
- Le développement durable : quelle notion ? Quel usage ? Quels dévoiements ? Comment prendre en compte l’équité sociale ou la situation spécifique des pays du Sud ?
- Le principe de précaution : quand et comment le mettre en œuvre ? Sa portée ? Ses dérives ?
- Le changement climatique : comment y faire face à travers des coordinations internationales ? Comment prendre en compte les responsabilités historiques différenciées ? Quels outils économiques mettre en place à l’échelle internationale ou nationale (règle, permis d’émissions, taxes) ? Comment mobiliser et comment affecter les sommes destinées au Sud pour s’adapter au changement climatique et à atténuer ses émissions de GES ?
- Les alternatives sociétales et politiques : décroissance ? capitalisme vert ? société décarbonnée ?, écosocialisme ? communisme solaire?
- Les énergies : comment repenser le système d’offre énergétique compatible avec les exigences du développement et les périls du changement climatique ?
- Enfin, comment penser le cadre du monde contemporain ? Qu’est-ce qu’une ressource pour l’homme ? Le monde est-il « fini » ? Quelle est la place du progrès technique ? Faut-il accepter le retour au malthusianisme ? Comment prendre en compte les exigences du futur sans déprécier par trop le présent et la nécessité de mettre fin aux injustices actuelles ?
Ces préoccupations ne sont évidemment pas que d’actualité. Elles viennent de loin. Les dernières décennies ont vu monter l’exigence d’un développement durable qui s’est imposé comme dimension incontournable de domaines essentiels de l’activité humaine.
En réaction tant aux visions excessivement pessimistes du Club de Rome, à la fin des années 60, sur l’épuisement des ressources naturelles et à ses appels à l’arrêt de la croissance, qu’à l’économisme sauvage ne pouvant conduire qu’au « mal-développement », un courant de pensée – l’éco-développement – se constitue à l’occasion de la Conférence de l’ONU de Stockholm en 1972. Il s’agissait alors de concilier les objectifs socio-économiques et écologiques en prenant en compte le double souci de la solidarité avec les populations présentes les plus démunies tant au Nord qu’au Sud et avec les générations futures dont le droit à vivre dans une planète habitable devait être préservé. Bref de résoudre, autrement que par l’arrêt de la croissance, le conflit latent entre une croissance sauvage et un environnement viable.
Il faudra dix ans pour que les Nations Unies, s’emparant du problème, commandent un rapport. La « Commission Brundtland » (du nom de la ministre norvégienne de l’environnement) rendra son rapport en 1987 et reprendra sous le vocable de développement durable l’ensemble des idées-forces développées à Stockholm. Il y est proposé, pour préserver la planète, d’adopter des modes de production et des styles de vies plus respectueux de l’environnement et d’éviter de généraliser à l’échelle de la planète le modèle gaspilleur et prédateur – les faux-frais de la croissance – de l’Occident. Un grand « Sommet de la Terre » est proposé. Ce sera le Sommet de Rio, en 1992 qui inscrira le double droit au développement et à un environnement sain et adoptera un programme d’action sous forme de recommandations – l’Agenda 21. Quelques années auparavant, en 1988 précisément, un Groupe International d’Experts sur l’Évolution du Climat, le fameux GIEC verra le jour, témoignant par là-même de préoccupations sur l’avenir du climat.
Le monde ne sera plus tout à fait le même après le Sommet de Rio et la préoccupation du développement durable se propagera d’un bout à l’autre de la planète avec la volonté de concilier protection de l’environnement, efficacité économique et équité sociale. Ce triptyque – produire plus, répartir mieux, préserver l’avenir – ne pourra pas se décliner sans tensions ou lectures antagonistes. Ainsi la notion de développement durable se trouve attaquée de plusieurs côtés. Les tenants de la décroissance n’y voient qu’une façon habile de redonner un aspect présentable à la croissance économique indéfinie, tandis que les populations du Sud craignent qu’en son nom, on puisse brider le développement de sociétés, notamment de celles qui sont le moins avancées économiquement.Dans le même temps, des préoccupations croissantes sur l’évolution climatique et ses causes principales se sont peu à peu déplacées des milieux scientifiques à l’opinion publique et ont conduit les États de la planète à s’engager dans des actions collectives coordonnées (Protocole de Kyoto) pour faire face à ce qui est apparu comme une menace globale sur la poursuite de l’activité humaine sur la planète. Sous l’action du GIEC, les savoirs se sont précisés sur le mécanisme de l’effet de serre et la part de son origine anthropique et ses conséquences en matière de changement climatique. À plusieurs reprises, des préconisations ont été formulées pour insister sur l’urgence des actions nécessaires pour limiter la hausse moyenne des températures à +2°C et sur le coût potentiel engendré par tout retard à leur mise en œuvre.
Aujourd’hui, si la controverse scientifique demeure tant sur les tendances climatiques que leurs causes, elle s’est largement apaisée, et le débat porte sur les formes de régime de coordination internationale efficace, les critères et les instruments d’analyse économique utilisables pour permettre l’implication équitable des différents États et l’acceptation par les opinions publiques des coûts associés aux mesures nécessaires. Le Sommet de Copenhague qui s’est tenu à la fin de l’année 2009 n’a manifestement pas permis de se convaincre de la détermination des grandes puissances de la planète quant à leur volonté de poursuivre ou de rejoindre le mécanisme du Protocole de Kyoto au-delà de 2012 et sur l’importance de l’aide à apporter dès à présent aux États les plus faibles pour s’adapter et faire face aux conséquences de la menace climatique. Tout porte à croire que le Sommet de Cancun, qui s’inscrit dans la foulée de celui de Copenhague, n’apporte aucune réponse décisive et reporte à plus tard les décisions importantes qui devront définir le cadre devant régir le climat mondial à partir de 2013. La Conférence prévue à Rio en 2012 (Sommet de la Terre +20) se situe dans une perspective plus large qui dépasse les seuls aspects climatiques.
Séances
1. Conférence inaugurale par Ignacy Sachs (lundi 11 octobre 2010).
Le professeur Ignacy Sachs, chercheur de renommée internationale, spécialiste du développement. Membre de nombreuses organisations internationales, participant aux Conférences de Stockholm en 1972 et de Rio en 1992, il est l’un des pionniers de l’intégration des facteurs sociaux et environnementaux dans le raisonnement économique. Ignacy Sachs propose une vision qui combine lutte contre le changement climatique et progrès social.
Compte-rendu
Pour le professeur Ignacy Sachs, le prochain sommet de la Terre à Rio en 2012 s’inscrit dans la série des réunions internationales sur les préoccupations climatiques et environnementales. Commencée en 1972 par la conférence des Nations unies pour l’environnement à Stockholm, elle fut ponctuée d’espoirs, de régression, avec la controffensive néolibérale lors du sommet de Johannesburg en 2002, et de déceptions comme à Copenhague en décembre 2009. Mais celui-ci survient dans un contexte particulier d’urgence car l’impact de la crise provoquée par le changement climatique touche plus fortement les pays en développement. En effet, les impacts environnementaux se font d’autant plus sentir que la condition sociale des populations est faible.
Il invite ainsi chaque citoyen à agir non plus en simple passager du vaisseau spatial « terre », mais en pilote, à la manière d’un « géonaute », terme emprunté à Erik Orsena.
Il esquisse plusieurs priorités d’action :
- la mise en œuvre d’une taxe carbone qui rendrait le carbone de plus en plus cher de façon à ce que les consommateurs s’en détournent. Elle favoriserait le développement des biocarburants de deuxième et troisième génération, exclusivement. Discutée à l’échelle européenne, elle serait évaluée en fonction de l’empreinte écologique [1] des pays et apporterait une solution nouvelle face aux marchés de crédit carbone qui fonctionnent mal.
- Sortir de l’âge du pétrole quelle que soit la date du pic pétrolier. Les entreprises pétrolières et l’argent des ressources fossiles doivent servir à financer la transition.
- Définir une politique interventionniste des Etats à travers l’élaboration de planification à long terme comme le pratiquent les entreprises, sur la base d’une concertation et d’un dialogue avec les acteurs concernés, et d’une réunification des dimensions socio-économique et spatiale de la planification.
- Les pays développés endossent une responsabilité historique différenciée qui les obligent à prendre des mesures significatives pouvant se traduire comme le suggère le professeur Sachs, par la création d’un fonds mondial de la solidarité dont l’objectif serait le partage des coûts des transformations nécessaires. Ce sujet est posé sans succès depuis la création des Nations unies ; au contraire, on peut être pessimiste sur sa mise en œuvre puisque les pays consacrent en moyenne 0.3% de leur PIB à l’aide au développement alors qu’au lancement de la première décennie du développement en 1960, les exigences étaient de 1% du PIB.
- Ce fonds serait financé par la taxe carbone différenciée qui prendrait en compte la biocapacité [2] des Etats, plutôt que par une taxe Tobin dont on parle depuis 30 ans sans qu’elle ne voie le jour.
- La question sociale étant au cœur des préoccupations, elle doit être intégrée à la panification, par l’introduction du concept défini par l’OIT de « travail décent », convenablement rémunéré, effectué dans des conditions qui ne porte pas atteinte à la santé des travailleurs et qui induit des rapports sociaux humains.
Au rang des priorités, figurent également : les réformes agraires en faveur des petits paysans, l’exploitation du potentiel technique des populations qui connaissent parfaitement leur territoire [3], et la sécurité énergétique. Citant l’association Global Chance et son président, Benjamin Dessus, I. Sachs reprend les idées qu’ils développent dans ce domaine : travailler à la sobriété contre le gaspillage ; l’efficacité énergétique ; la substitution des énergies fossiles par les énergies renouvelables en posant une question polémique : faut-il inclure le nucléaire dans cette seconde catégorie ?
Désormais entré dans une nouvelle ère dénommée anthropocène [4], où l’activité humaine est reconnue comme un élément déterminant de l’avenir de la planète, le monde ne peut envisager le prochain sommet de la terre comme une suite quelconque des précédents. Il s’agit de penser une transition grâce à l’investissement de champs de recherche prioritaires :
- La révolution doublement verte, comme l’appelle le CIRAD, ou l’ « evergreen revolution » promue en Inde par M.S. Swaminathan, qui se démarque de la révolution verte des années 70 car dégradante pour l’environnement et reposant sur de fortes disponibilités en eau désormais épuisées.
- La révolution bleue qui favorise la pisciculture, en particulier les cultures d’espèces végétaliennes, contre la chasse au poisson, et l’utilisation des algues comme biocarburants de troisième génération.
- Le maintien et la densification de la forêt afin d’augmenter le nombre d’espèces végétales utiles.
- Une bonne gestion des massifs montagneux.
I. Sachs appelle les pays émergents à se constituer en bloc, à renforcer la coopération sud-sud pour jouer un rôle plus significatif. Le Brésil et l’Inde en seraient les laboratoires prédestinés avec au milieu l’Afrique. Doués d’importants dispositifs de recherche, les deux géants peuvent en outre échanger des expériences politiques. Le professeur cite côté indien, la création de centres d’innovation technologique en milieu rural devant être implantés dans chaque unité territoriale (ces structures dispensent des programmes d’alphabétisation digitale, sont tournés vers les besoins économiques des paysans et offrent une aide technique). Ou encore la possibilité pour toute famille de présenter un de ses membres adultes à un travail pour 100 jours par an.
Côté brésilien, il évoque la Bolsa familia, un programme d’aide sociale dont le coût est inférieure à 1% du PIB, permettant aux familles les plus modestes de toucher de l’argent chaque mois et d’améliorer ainsi leur condition de vie. Cette politique s’articule avec celle du développement des territoires de la citoyenneté, dont l’objectif est la création d’emplois.
Face à la montée en puissance des pays émergents, la question d’une réforme des Nations unies se fait urgente mais est mise dans l’impasse par les membres du conseil de sécurité qui ne souhaitent pas son élargissement. L’Europe, quant à elle, a démontré avec le traitement réservé à l’Espagne, la Grèce et au Portugal au cœur de la crise, qu’il n’y avait en son sein aucun système de solidarité.
Enfin, l’espace méditerranéen reste en chantier, il est nécessaire d’y organiser la coopération sur de nouvelles bases.
Pour le professeur Sachs, beaucoup de pays sont intéressés à ce que Rio 2012 soit un fiasco. Rien qu’au niveau pratique, il paraît difficile de déboucher sur des mesures concrètes avec 180 pays réunis sur seulement 4 jours. Il faudrait que la conférence valide des conclusions préparées à l’avance et traduites. Or, les Nations unies demandent 6 mois de délais pour la traduction dans toutes les langues.
I. Sachs en appelle donc à la mise en place d’une conférence parallèle, qui ne soit pas du type forum sociaux, mais intergouvernementale réunie 6 mois avant la conférence officielle et qui soit en mesure de voir ses conclusions répercutées dans le document final de Rio. Le Brésil peut être moteur en ce sens.
A la question portant sur le fait urbain comme dimension essentielle à prendre en compte pour agir sur l’environnement écologique et social, I. Sachs répond que les statistiques enflent le phénomène, comme au Brésil, et donnent à voir des villes imaginaires qui masquent le monde rural. Le progrès ne serait pas dans l’urbanisation mais dans une décentralisation des politiques et des emplois sur l’ensemble des territoires. Les campagnes ne vivent pas exclusivement de l’agriculture, il leur faut un tissu industriel et économique adapté. Dans le cas des bidonvilles et habitats précaires en expansion, I. Sachs propose d’actionner le levier de l’action collective et du vivre ensemble pour mettre en œuvre des programmes d’autoconstruction assistée.
Concernant l’agriculture de proximité et le développement du mouvement des associations pour le maintien d’une agriculture de proximité (AMAP) en France et dans le monde, I. Sachs fait référence aux Farmer’s market américains qui ont, il y a déjà un certain temps, rapproché producteurs et consommateurs, et à l’institut RODALE de Pennsylvanie, qui milite pour une meilleure utilisation des espaces urbains pour la production alimentaire sans toutefois tomber dans les travers de l’autosuffisance.
Pour le professeur, la perspective d’une société décarbonnée n’est pas d’actualité. Il s’agit d’abord de mieux utiliser le carbone pour limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES). Il faut apprendre à capter et stocker les GES pour les utiliser par exemple, dans des serres destinées à produire de la biomasse, une ressource énergétique qui peut alimenter l’industrie et l’agriculture et être produite aussi par l’énergie solaire.
L’enjeu est donc de tirer un meilleur bénéfice de la biocapacité, même grâce à la photosynthèse assistée ou artificielle. Cela ne relève pas de la science fiction, mais bien des défis de la recherche qui repousse ses propres limites.
[1] Développée par des chercheurs canadiens, l’empreinte écologique calcule la pression qu’exercent les humains sur la nature, mesurant la surface productive nécessaire à une population (pays, ville, région) ou à un individu pour sa consommation de ressources (nourriture, énergie…) et l’absorption des déchets produits. http://www.footprintnetwork.org/en/…
[3] Sachs fait référence en exemple, aux Indiens d’Amazonie qui enfouissent le charbon de bois dans la terre pour qu’elle retienne l’eau et devienne ainsi plus fertile.
[4] L’Anthropocène est le terme créé et utilisé par certains scientifiques, dont Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, pour désigner une nouvelle époque géologique, qui aurait débuté vers 1800, avec la révolution industrielle et où l’action de l’espèce humaine est devenue une force géophysique agissant sur la planète. Cette époque nouvelle a été déclenchée par le déstockage de ressources fossiles enfouies telles que le charbon, puis le pétrole et le gaz naturel.
2. Quelle architecture mondiale pour le climat ? - Particularités, défis et enjeux des négociations internationales sur le climat, par Michel Rogalski (mardi 18 janvier 2011).
Consciente depuis une trentaine d’années de la perspective d’un réchauffement climatique et des changements brutaux qui lui sont associés, la communauté internationale tente de mettre sur pied une architecture climatique mondiale susceptible de ralentir et de contenir à des niveaux acceptables l’évolution prévisible. Un empilement d’accords (Rio 92, Protocole de Kyoto, Sommet de Copenhague) a résulté de ces négociations internationales qui se sont déroulées dans un cadre particulier mêlant controverses scientifiques, responsabilités différenciées, incertitude sur les conséquences nationales, interrogations sur la coordination d’instruments économiques à la fois efficaces et justes, efforts contributifs partagés.
Fortement médiatisées et se déroulant sous la vigilance de l’opinion publique internationale, ces négociations cristallisent des antagonismes nord-sud et des jeux d’alliances. Elles questionnent la possibilité même de trajectoires de développement pour nombre pays du sud. Après Copenhague, la question est posée des approches possibles pour la construction d’une architecture climatique mondialement acceptée.
Compte-rendu de la discussion
La mise en place d’une gouvernance climatique globale paraît peu réaliste pour Michel Rogalski qui insiste sur l’importance des spécificités nationales véritables frein à la mise en œuvre d’une instance globale ou même d’une taxe mondiale. Dans une approche Bottom up, il conviendrait au contraire de mettre en cohérence les engagements de chaque Etat avec le concours d’une organisation internationale qui veillerait à cet objectif. La mécanique resterait onusienne et pourrait s’inspirer du fonctionnement de l’AIEA en prenant des mesures incitatives, en surveillant les évolutions sur le terrain et en favorisant l’acquisition des technologies nécessaires pour faire face au changement climatique. Un obstacle majeur empêche néanmoins de développer les capacités d’innovation à l’échelle du globe, c’est le principe de la propriété intellectuelle qui tant qu’il sera en vigueur, limitera la circulation des savoirs et des technologies.
M. Rogalski rappelle que le principe de responsabilité commune mais partagée qui est au cœur du Protocole de Kyoto signifie mise en place d’un moratoire et compensations pour les pays du sud qui n’ont pas à payer les conséquences d’émissions résultant de productions réalisées au nord depuis le début de l’industrialisation.
Si une gouvernance climatique mondiale semble illusoire, des alternatives visant la coopération entre Etats, groupes de pays ou collectivités locales, existent à l’image de la coopération bilatérale entre les Etats-unis et la Chine ou du Pacte de Mexico signé par 150 collectivités locales réparties sur tous les continents [1].
Les négociations climatiques internationales ont en tout cas participé à une prise de conscience globale autour des enjeux climatiques y compris dans les pays émergents. Une intervention fait remarquer qu’au Brésil, le traitement par le gouvernement de Lula de la question de la pauvreté a permis de vaincre le fléau de la faim, ce qui permet ainsi de mobiliser les populations pour d’autres combats comme celui de l’urgence environnementale. Mais au niveau politique, les choix qui ont été opérés dans la dernière période marquée par la crise mondiale se sont fait en faveur de l’industrie automobile et de son développement gommant ainsi les efforts qui avaient été entrepris dans la lutte contre la déforestation.
Il est noté que le fonds vert, dont la création a été entérinée à la conférence de Cancun en novembre dernier, ne se destine qu’à financer l’adaptation des pays pauvres aux effets du changement climatique. Une limite intrinsèque apparaît donc dans la mesure où son rôle sera d’agir en aval plutôt que de prévenir les conséquences de la dégradation environnementale.
Celle-ci engendre un nouveau phénomène, celui des réfugiés climatiques qui devient un sujet politique et peut donc permettre de mobiliser les attentions. Pourtant, son ampleur est encore mal connue et ne se limiterait pour l’instant, selon M. Rogalski qu’à des déplacements intra-nationaux ou frontaliers. Par ailleurs, le réfugié climatique ne dispose pas pour le moment de statut juridique dans le droit international. L’ONU appelle à la reconnaissance d’un statut juridique pour les réfugiés environnementaux, sur le même mode que les réfugiés politiques. Un programme intitulé » Climate justice » a vu le jour grâce à la mobilisation d’associations de juristes et 70 ONG. Il a pour objet de contribuer à la mise en place de nouvelles règles et statuts pour une justice climatique.
La ratification du Protocole de Kyoto a permis, à partir de 2005, le démarrage des marché d’échanges des quotas d’émissions de gaz à effets de serre pour le secteur « non-diffus », ce qui a ouvert, selon M. Rogalski, des nouvelles voies dans la garantie de la régulation climatique. Toutefois ces marchés sont sujets à de fortes polémiques. Ils sont accusés de favoriser des « fuites carbones » en incitant les industriels à se déplacer vers des zones moins contraignantes, de favoriser l’intrusion massive de la finance carbone se livrant à la spéculation, d’être victimes d’escroqueries informatiques ou de comptabilité douteuse du Mécanisme de Développement Propre, ce qui a conduit l’ONU à revérifier les comptes et à suspendre provisoirement ces opérations. Mais ces critiques, pour fondées qu’elles soient, se trompent de cible et occultent les vrais responsables, les décideurs politiques qui fixent la quantité des quotas distribués. Le mécanisme des quotas repose sur le « cap and trade », c’est à dire la fixation d’un plafond d’émissions et l’échange possible des quotas qui en découlent. Le plafond régule et l’échange garantit la régulation en réaffectant les allocations de quotas mal affectés. Le signal-prix qui se dégage de ce marché ne reflète pas un prix de la tonne carbone, mais le laxisme plus ou moins grand des décideurs et la mauvaise allocation des quotas. Dans les trois questions-clés, combien on émet de gaz à effet de serre, qui émet et qui paie, seule la réponse à la première question régule le climat. C’est là que tout se joue. Les deux autres questions restent régies par un mécanisme de jeu à somme nulle et sont donc sans effet significatif sur le climat, car les gaz qui s’émettent dans l’atmosphère n’ont ni drapeau de nationalité ni label de firme. L’ultime payeur n’est ni l’Etat, ni le consommateur, mais la firme moins performante en technologies économes d’émissions.
En France, le projet Juppé-Rocard d’introduction d’une taxe carbone pour le secteur « diffus » a capoté devant l’avis du Conseil constitutionnel dont l’argumentation reste obscure. Devant le refus gouvernemental d’accepter un niveau de taxe à hauteur de 50 € la tonne, la Commission a suggéré un niveau de 17 € pour l’aligner sur le niveau du signal-prix émis par les marchés des permis négociables faisant semblant de croire que les deux concepts étaient homogènes. Rocard reconnaîtra plusieurs mois après dans une libre opinion du Monde que ce signal-prix n’était pas en fait le prix d’une tonne carbone puisque les quotas étaient distribués gratuitement sur ces marchés.
Le signal prix reflète donc davantage la bonne ou mauvaise allocation des ressources par les décideurs politiques. Si une tension s’observe sur le marché, alors l’allocation initiale peut être réajustée. Si de nombreux quotas sont alloués, alors le prix aura tendance à baisser. Cela peut être corrigé par l’intervention de ceux qui décident du nombre de quotas à allouer. La régulation se fait par la quantité et non par le prix, c’est pourquoi elle découle de la décision d’octroi des quotas (cap) et non pas du prix qui découle de leur échange (trade).
Selon Michel Rogalski, la spéculation sur les quotas, qui deviennent des actifs financiers, fait monter les prix ; or, l’entreprise qui doit en acheter préfère des prix bas. L’ultime payeur a alors intérêt à réaliser les économies d’énergie et à devenir plus performante sur le plan environnemental de manière à ne pas être pénalisée en achetant des quotas d’émissions supplémentaires. Le mécanisme de marché agit comme un accélérateur de performance et exerce une pression positive sur l’opérateur qui ne veut pas investir dans des technologies non émettrices.
Le choix des marchés des quotas négociables a été institué par l’Union européenne parce que le choix d’une taxe carbone unique en Europe aurait été une question fiscale nécessitant un accord à l’unanimité, impossible à obtenir. Les quotas ne relèvent pas du domaine fiscal et ne nécessitent qu’un accord à la majorité, ce qui est davantage réalisable. Les pays européens connaissent un éventail de situation énergétique qui les place en situation différente par rapport à l’enjeu climatique. La France, grâce au poids de son secteur nucléaire se trouve avantagée. Sa contribution aux émissions mondiales représente environ 2 % du total. L’Allemagne et l’Italie se retrouvent plus concernées. L’UE s’est fixée l’objectif d’une réduction de 20 % de ses émissions d’ici 2020 (de 80 à 85% d’ici 2050). La crise économique facilite la réalisation de cet objectif.
Sur le marché des quotas, laboratoire de la gestion climatique, tout dépend de la répartition des quotas effectuée par les responsables politiques européens. Pour l’instant, 12000 firmes européennes se sont vues allouer des quotas. En France, elles sont 1100. Ces quotas deviendront payant d’ici deux ans et seront mis aux enchères. Une réforme de ces marchés est nécessaire. Il est notamment aberrant qu’ils puissent tolérer l’intrusion de la finance carbone à des fins spéculatives. L’achat et la (re)vente de ces quotas doivent être réservés aux seules entreprises auxquelles ils sont initialement distribués.
Au-delà de ces engagements, l’horizon à construire sera celui d’une société décarbonnée qui nécessiterait de revoir fondamentalement la nature de l’offre d’énergie, le style de vie des Européens et leur mode de consommation.
Michel Rogalski est économiste (EHESS-CNRS), directeur de la revue Recherches internationales.
Pour la France, la Communauté de la Plaine, la Région Île-de-France, les villes de Bordeaux, Brest, Dunkerque, Grenoble, Lyon, Mellac, Nantes, Orléans et Paris ont signé ce Pacte.
3. Pourra-t-on limiter la hausse de la température mondiale en deçà de +2°C ?, par Stéphanie Monjon (mardi 8 mars 2011).
L’objectif préconisé par le GIEC de limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à +2°C par rapport à l’ère préindustrielle est désormais accepté par tous. Cet objectif ambitieux, reconnu à la conférence de Copenhague en 2009, a été confirmé à Cancun en 2010. Il n’y a encore aucune mesure contraignante, mais pour atteindre cet objectif, les principaux pays émetteurs ont d’ores et déjà annoncé des engagements de réductions de leurs émissions pour 2020. L’ambition de cette conférence est de mieux comprendre ce qu’implique cet objectif, en termes de réductions des émissions mondiales à un horizon de 10 ans. Il s’agira ensuite d’apprécier si les mesures prises par les Etats sont suffisantes ou s’il faut se situer dès à présent sur une autre perspective.
Compte-rendu de la discussion
Alors que la responsabilité humaine dans le changement climatique est toujours contestée par les climato-sceptiques, le réchauffement en lui-même fait désormais consensus, notamment grâce aux travaux du GIEC, qui dans ses rapports successifs a fait grandir le niveau de sa probabilité. Toutefois la référence d’une hausse limitée à + 2 C degrés depuis l’ère industrielle n’y est pas rappelée, certainement intentionnellement, afin de conserver une certaine flexibilité. Des incertitudes demeurent notamment sur les courants marins et leur réchauffement qui pourrait impacter considérablement le climat, en particulier dans les pays qui profitent des courants chauds.
Si les négociations internationales se sont fixé un objectif à ne pas dépasser en termes d’élévation de température, il n’est rien indiqué sur la façon de réduire cette hausse et sur les quantités maximales d’émissions qui permettent de rester en deçà des deux degrés. La question de la trajectoire reste donc entière ce qui peut avoir comme conséquence de retarder les actions en faveur d’une décroissance des émissions.
Les engagements actuels de réduction des émissions de GES ne devraient effectivement pas permettre de limiter la hausse des températures à ce niveau. Bien que la conférence de Copenhague ait contribué à renforcer les efforts notamment à travers l’engagement nouveau des pays émergents, la meilleure estimation fait état d’une augmentation de trois degrés.
On peut aussi avoir une lecture pessimiste des travaux de Copenhague qui n’ont pas permis de conclure un accord autour d’un texte commun. Les engagements concernent davantage le long que le court terme et n’ont pas de caractère contraignant. Les Etats-Unis ont par ailleurs coupé les crédits alloués à la recherche sur le climat et aux travaux du GIEC. Ils se sont montrés très hostiles au protocole de Kyoto. L’état d’esprit semble ne pas évoluer depuis la présidence de Bush qui avait affirmé que le mode de vie des Américains n’était pas négociable. L’Europe apparaît comme la seule région capable de réels efforts, l’Australie et le Canada s’alignant sur les Etats-Unis.
Barack Obama est néanmoins plus conscient du réchauffement climatique, mais la situation se décline différemment selon les Etats, entre ceux dirigés par des gouverneurs démocrates et ceux aux mains des républicains, où les efforts sont inexistants. Le développement de l’automobile est également préoccupant. Dans des villes comme Moscou, on prévoit un doublement du parc de voitures sous peu. La Chine continue de placer le charbon en tête de ses ressources d’énergie. En France, des décisions contestables sont prises comme celle de réduire les aides à la fabrication des panneaux photovoltaïques, qui avait pourtant été promue dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
La Chine se place en tête des investissements sur les énergies renouvelables en particulier sur le solaire et l’éolien. Il est probable qu’une forte compétition voit le jour avec les Etats-Unis, qui investissent pourtant moins, dans ce domaine.
La nature des engagements dépend aussi de la façon dont elle est exprimée. La décision de la Chine de réduire de 17 % d’ici 2015 par unité de PIB ses émissions tient à préserver le niveau de croissance élevé du pays, sur lequel il ne peut transiger. Cela taduit un souci d’efficacité – qui peut être énergétique, induire une recomposition des activités, une spécialisation sur les services avec une industrie lourde qui devient moins importante- de l’économie à produire de la richesse en limitant les émissions. Cela reste donc une mesure difficile à appréhender car il est encore difficile de savoir quelles sont les intentions de la Chine même si quelques indications montrent qu’elle table pour l’avenir sur une augmentation des services et une diminution de l’industrie lourde, extrêmement polluante au niveau local, comme le démontre l’imposition d’une taxe à l’exportation dans ce secteur. La Chine semble impulser sa transition économique en se recentrant sur son marché intérieur, et vouloir faire des efforts pour réduire l’intensité énergétique de ses richesses.
Les Etats-Unis pourraient changer leur position sous l’effet des catastrophes naturelles qui se font plus violentes. Certains scientifiques travaillent actuellement sur le lien entre réchauffement climatique et épisodes climatiques exceptionnels. Celui-ci pourrait notamment accroître l’intensité des typhons et cyclones dans les Amériques et provoquer plus d’inondations en Europe. Aux Etats-Unis, l’ouragan Katrina a durement frappé les populations et l’Etat veut se prémunir contre ce genre de catastrophes dont le coût humain, matériel et politique est très élevé. Au CIRED, des chercheurs s’intéressent à la vulnérabilité climatique. Dans le cas de New York, si une catastrophe se produisait, la ville est très peu protégée. L’impact aurait donc l’effet d’un électrochoc politique.
Les simulations climatiques sur l’énergie sont assez positives dans la mesure où les réserves d’énergies fossiles baissent ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour le climat. Mais pour des pays comme les Etats-Unis, cela aura des conséquences importantes puisque toute l’organisation des villes est fondée sur l’utilisation de la voiture.
En réalité, il est très difficile d’imaginer un monde dans lequel les émissions de GES seraient réduites de moitié. Dans le sens inverse, les scientifiques sont actuellement incapables de concevoir un monde avec des températures accrues de plus de 2 ou 3 degrés parce que l’on ne possède pas les connaissances pour offrir une image vraisemblable de ce monde. L’incertitude est très forte.
Passé un certain niveau de réchauffement, du méthane sera libéré, notamment celui présent dans les océans et les eaux gelées ce qui accélérera le processus de hausse des températures puisque ce gaz a un pouvoir de réchauffement plus important que le CO2.
Il peut exister une distorsion entre engagements à long terme et à court terme car ceux-là s’ils sont indispensables nécessitent une politique climatique délicate à mettre en œuvre qui mêle différents secteurs : les technologies, les transports, l’architecture, etc. En France, la création d’un ministère de l’écologie censé chapeauter l’ensemble des mesures à prendre a été une première. Mais il n’a pas évolué dans le sens attendu.
Il conviendrait de mettre en place un système de comptabilisation des émissions permettant d’améliorer leur réduction. En France, comme au niveau européen, les objectifs sont répartis par secteur. Les entreprises opérateurs sur le marché des quotas d’émissions doivent respecter un objectif chiffré de moins 20 % d’émissions en 2020.
Le renouvellement du parc de production de l’électricité est également un moment clé pour agir sur les émissions. En France, il aura lieu entre 2015 et 2020. La Chine est actuellement en train de construire ses infrastructures et fait donc des choix décisifs pour l’avenir.
La capture et le stockage du CO2 sont des technologies déterminantes pour imaginer respecter les engagements fixés à l’horizon 2050. Elles ne sont pas encore en phase d’industrialisation, mais en expérimentation de modèle industriel. Il faut s’assurer que la séquestration sera pérenne. Cela coûte très cher et augmente de 50 % le prix de production du kilowatt/h. La faisabilité industrielle peut être envisagée en 2020-2025. C’est d’autant plus important que la Chine ne pourra vraisemblablement pas se passer du charbon pour sa croissance. En ayant un impact fort sur la production d’acier, de ciment, etc., cette technologie pourrait réconcilier l’industrie lourde avec le climat.
La polémique autour des travaux du GIEC animée par les climato-sceptiques a conduit l’ex-président américain Bush et la ministre Valérie Pécresse, en France – face aux critiques de Claude Allegre – à demander aux académies des sciences de vérifier ses conclusions. Elles ont toutes approuvées la thèse du réchauffement climatique, qui est donc acquise pour certaine.
Des géographes, comme Sylvie Brunel, ont pour leur part contesté la valeur de l’utilité de concept de température moyenne du globe, puisque pour eux le climat est spécifique selon les espaces géographiques et se décline sur des échelles beaucoup plus réduites. Le GIEC aurait pu associer cette discipline aux travaux.
L’augmentation de 2 degrés ne relève pas des travaux de ce groupe international, mais constitue un produit des négociations de Copenhague, réaffirmé par Cancun. Si l’on considère le niveau d’engagement et le fait qu’ils ne sont pas contraignants, il est peu probable que la hausse se limite à ce niveau. Ce chiffre sera nécessairement réévalué.
Il est vrai que les travaux du GIEC ne contiennent pas de préconisations de limiter la hausse à 2 degrés. Mais on peut dire qu’un certain nombre de scientifiques s’accordent sur le fait qu’une hausse de 2 degrés permettrait de limiter les catastrophes. Ce chiffre fut d’abord choisi par le G8. Initialement, il n’était même que de 1,5, signifiant le seuil permettant aux îles de ne pas être submergées. C’est donc une décision politique. Même si l’on sait que l’on ne pourra pas la respecter, plus on desserre la contrainte, plus on sera laxiste sur les engagements. Or, on ne peut accepter un niveau de concentration plus élevé.
Cette indication n’est toutefois pas gravée dans le marbre. Auparavant, dans la négociation, on ne pouvait pas parler d’adaptation, désormais cela a changé. Les pays émergents ont également évolué dans un sens favorable. Depuis 1992, la responsabilité partagée, mais différenciée prévalait. Aujourd’hui ils s’engagent. L’inaction des Etats-Unis est par contre préoccupante.
Par ailleurs, les engagements sont pris sur la base des émissions faites sur le territoire du pays concerné. Ne faut-il pas tenir compte du lieu de consommation plutôt que du lieu de fabrication des produits car les pays consommateurs peuvent s’extraire de leur responsabilité par ce biais.
Une comptabilisation des émissions en fonction de la consommation serait difficile à réaliser. Pourtant la Chine affirme qu’une partie de ses émissions est le fait de la consommation de ses produits en Europe et ailleurs. Il faudrait donc rechercher un mode de comptabilisation car cela pourrait permettre de faire avancer les négociations et favoriser d’autres types d’investissements dans les pays émergents. 22 % des émissions de GES en Chine sont en effet liés aux produits exportés. L’effet pervers existe néanmoins d’encourager la migration des industries polluantes ce qui ne résoudrait pas le problème.
Cela démontre la nécessité de réfléchir de façon globale au défi climatique. Le choix des instruments conditionnent les négociations internationales. Si l’on considère par exemple, la quantité de CO2 par tête, ce qui prend en compte les émissions liées aux importations, cela change les paramètres de la discussion qui en deviendrait certainement encore plus laborieuse.
Stéphanie Monjon, Économiste (CNRS), chercheur au CIRED (Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement) et au CEPII (Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales)
4. Les Apories de la décroissance, par Jean-Charles Hourcade (mercredi 6 avril 2011).
Face au dossier climatique, l’opinion publique est prise entre 3 discours parallèles :
- Pour les uns, il faut aller à marche forcée vers une baisse de nos émissions de gaz à effet de serre fusse au prix d’une « décroissance »,
- Pour d’autres, la priorité à la croissance doit être maintenue tant qu’il y a de la pauvreté dans le monde,
- Pour d’autres enfin il est possible de construire des sociétés « bas carbone » à un coût faible, voire avec des gains en termes d’emplois et de croissance.
Cette conférence éclaire les termes de ces débats en partant de l’idée affirmée dès la conférence de Stockholm en 1972, qu’il ne peut y avoir de protection de l’environnement global sans développement et « sortie de la pauvreté » ; mais elle montre également que la référence à la notion de décroissance tend à masquer la nécessaire réflexion sur les formes de la globalisation économique qui se déploie depuis trois décennies et sur les modes de développement qui l’accompagnent.
Jean-Charles Hourcade, Économiste, directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED)
5. Le principe de précaution, par Olivier Godard (31 mai 2011).
Le principe de précaution a été inventé dans les années 1980 pour trancher le nœud gordien d’une rhétorique qui conditionnait la possibilité d’une politique publique de prévention de risques graves ou irréversibles pour l’environnement à l’acquisition de certitudes scientifiques quant à l’existence des dommages redoutés et aux liens de causalité entre ces dommages et la dissémination dans l’environnement de certaines substances d’origine industrielle.
Contrairement à certaines idées reçues, ce principe n’enjoint pas de recourir à l’interdiction dès qu’il y a doute sur de possibles effets dommageables ; il demande une évaluation scientifique rigoureuse et les mesures adoptées doivent être « provisoires et proportionnées », selon la formule de l’article 5 de la Charte de l’environnement. Il lui faut trouver un équilibre entre la précocité de la prise en compte du risque, confrontée à l’incertitude scientifique, et le calibrage des actions à engager, afin d’éviter une démesure terrifiante et arbitraire dans l’emploi de l’interdit.
Depuis son adoption, le principe de précaution a essuyé de vives critiques, prenant le plus souvent un ton polémique et très alarmiste : seraient menacés par ce principe l’exercice de la raison, le progrès et la bonne gestion des ressources publiques, la poursuite des activités de recherche scientifique et de l’innovation technologique, le maintien de la croissance économique, la santé publique, la sécurité juridique et même l’existence d’un État de droit.
Rien de tout cela ne s’est produit. Cela ne veut pas dire que la situation soit satisfaisante. Vingt ans après le Traité de Maastricht qui donnait existence légale à ce principe en droit communautaire, son contenu normatif donne encore lieu à une vive lutte d’influence. Un divorce s’est produit entre d’un côté la doctrine reconnue par les instances européennes et par le droit positif et de l’autre les vues et les attentes de certaines associations militantes. Pendant ce temps, les autorités publiques ont laissé en jachère la question de l’organisation de sa mise en œuvre. Le principe de précaution souffre surtout aujourd’hui d’un déficit d’organisation qui permet à des responsables publics d’en faire le simple joker de la justification publique face à l’émotion et aux craintes du public sur des risques technologiques (antennes de téléphonie mobile) ou face aux initiatives déstabilisantes d’activistes (faucheurs volontaires de cultures d’OGM). Pour contrer les dérives, la meilleure solution n’est pas d’abolir le principe de précaution, mais de donner une bonne assise de procédures de mise en œuvre à la doctrine reconnue par les instances européennes.
Olivier Godard est Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire d’économétrie (UMR 7176), École polytechnique