De la MOE/MOI aux FTP-MOI ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

Afin d’affirmer la solidarité internationale de classe des travailleurs comme l’invite la nouvelle Internationale Communiste (le Komintern), la jeune Confédération générale des travailleurs unitaires (CGTU), rattachée à l’Internationale syndicale rouge (ou Profintern), met en place, dès mai 1923, la Main-d’œuvre étrangère (MOE). Il s’agit non seulement de trouver de nouveaux alliés à la Révolution, mais également de rencontrer et d’associer les nombreux travailleurs immigrés qui sont arrivés en France pour reconstruire le pays après la saignée de la Première Guerre mondiale. La MOE permet ainsi une socialisation et une intégration plus forte des travailleurs immigrés aux côtés de la classe ouvrière française.

L’organisation en groupes de langues

Dès 1924, les « groupes de langue » sont officiellement installés dans le PCF au Congrès de Lyon. Affiliés à des cellules, les communistes immigrés s’organisent alors en « groupes de langues » ayant pour vocation de rassembler les travailleurs de même origine. En 1926, le Congrès de Lille du parti communiste (SFIC) organise les étrangers en France selon le principe défini par l’Internationale communiste selon lequel les travailleurs de toutes les nationalités sont regroupés sous l’autorité du parti communiste.

L’importance de la M.O.E. et les diverses immigrations, Bulletin spécial d’informations de la section centrale de la M.O.E. / Parti communiste français, [1929 ?], 93 p.

En 1932, la MOE devient MOI (Main-d’œuvre immigrée), sous l’autorité de l’Italien Giulio Ceretti. Elle est toujours organisée en groupes de langue ; celui des polonais comptant par exemple 600 membres en 1932, surtout parmi les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. ? La MOI s’inscrit avec vitalité et même un espoir important dans la politique de Front populaire. Elle participe aux grèves et surtout à la lutte antifasciste. Dans cette optique, elle joue un rôle essentiel dans l’organisation des Brigades internationales. En 1937, la MOI compte environ 6 835 adhérents au sein de 15 groupes de langue (italien, polonais, espagnol, juif ou yiddishophone, arménien, roumain, bulgare, hongrois, tchécoslovaque, grec, albanais, yougoslave, portugais, ukrainien, russe) principalement liés à l’immigration européenne, les travailleurs coloniaux n’étant pas organisés en son sein. En 1938, Louis Gronowski, responsable du groupe juif, prend la tête de la MOI.

En participant à la diffusion d’une presse spécifique et à l’intégration des adhérents aux luttes en cours et au sport ouvrier, les « groupes de langues » sont un vecteur d’insertion dans la société française, dans le respect des identités culturelles et linguistiques.

Brochure écrite par Maurin, CGTU, Internationale syndicale rouge, 1933.

La solidarité avec les Juifs et l’incompréhension face au Pacte germano-soviétique

Le tournant stratégique de 1939 brise cet élan. Après avoir défendu le Front populaire et sa ligne antifasciste, après avoir fêté dignement le 150e anniversaire de la Révolution française en juillet-août 1939, le PCF est entraîné dans le déclenchement de la guerre et dans le revirement stratégique qu’implique le Pacte germano-soviétique. Il dénonce alors la guerre impérialiste… Le malaise est profond au sein de la MOI, comme le rappelle Adam Rayski : « Parmi les militants juifs communistes, le pacte germano-soviétique n’avait pas été accepté ; nous n’avions pas élevé de protestations, mais nous avons gardé une certaine distance. Nous ne discutions pas sur le plan diplomatique, mais en tant que Juifs, nous ne pouvions nous sentir engagés par ce pacte, et il ne diminuait en rien la conséquence du danger que représentait pour nous l’hitlérisme ».

Interdit et pourchassé, le PCF se reconstitue clandestinement. À la fin de l’été 1940, il reprend contact et confie, à Louis Gronowski, la réorganisation de la MOI. Il reste jusqu’à la Libération en contact avec la direction du parti. Après avoir reconstitué ces groupes de langues, la MOI s’emploie à rédiger et imprimer clandestinement des journaux en italien, arménien, espagnol, yiddish comme Naïe Presse. Cette presse clandestinedans les quartiers populaires de Paris met en œuvre la solidarité à destination des Juifs, qui se renforce après les lois antisémites de Vichy et la rafle dite « du billet vert » de mai 1941, puis au combat. Le 22 juin 1941, lorsqu’Hitler attaque l’URSS, c’est un immense soulagement pour les communistes et pour ses membres de la MOI. Quelques jours auparavant, Joseph Epstein faisait passer une note à Moscou au Komintern qui exprimait ce sentiment : « nombreux sont ceux qui n’ont pas compris la politique de l’URSS et considèrent le pacte allemano-soviétique comme un acte de trahison ».

Le fer de lance de la résistance communiste

La résistance de la MOI organise dans un premier temps le « Travail allemand » dans la Wehrmacht avec Arthur London. La création des FTP entraîne celle des FTP-MOI. En région parisienne, dès 1942, c’est à partir des organisations de la MOI et en particulier de l’OS-MOI (Organisation spéciale-MOI), que sont constitués des troupes « FTP-MOI » grâce notamment à la rencontre entre le triangle de direction de la MOI devenue clandestine – Jacques Kaminski (« Hervé »), Artur London (« Gérard ») et Louis Gronowski (« Bruno ») – et Joseph Boczor. Le PCF nomme Boris Holban à la tête des FTP-MOI. Le recrutement au sein des FTP-MOI, se fait sous la responsabilité de chaque groupe de langues : Mazzetti pour les Italiens, Gurvitz pour les Roumains, Manouchian pour les Arméniens, Supek pour les Yougoslaves, Zadgorski pour les Bulgares, Rayski pour les Juifs.

Passés par les Brigades internationales pour beaucoup (comme les Polonais de la 13e BI « Dąbrowski »), les FTP-MOI seront de véritables groupes de choc armée et le fer de lance de la résistance communiste. À Paris, leurs actions seront nombreuses et souvent spectaculaires : assassinats de dignitaires allemands (comme Julius Ritter, le responsable du STO en France le 28 septembre 1943), grenadages, déraillements de trains, etc.

Portrait de Julius Ritter Bundesarchiv Bild (183-J15613)
Le Matin, 2 octobre 1943 (disponible sur Gallica)

Au cours de cette année, de juin 1942 à novembre 1943, les FTP-MOI de la région parisienne comptent 229 actions contre les Allemands (40 pour le premier détachement, 60 pour le deuxième, 77 pour le troisième, 39 pour le quatrième et 13 autres). Celles-ci auront un important impact sur le moral des troupes allemandes comme sur celui de la population.

Liste des attentats commis par le « groupe Manouchian » entre août et octobre 1943 (p. 1).
Archives du PCF / AD 93, 261J6/22.

En province également, il faut compter avec les FTP-MOI : Carmagnole-Liberté à Lyon et Grenoble, la 35e Brigade à Toulouse, le groupe Marat à Marseille, etc. Ainsi, à Marseille, au cours de l’été 1942, se forment des groupes FTP-MOI, également issus d’anciens des Brigades internationales, comme Ilio Barontini, avec la compagnie « Marat ». Le référentiel de ces étrangers puise dans la culture politique issue de la Révolution française et de ses imaginaires qui avaient été remobilisés par le PCF au moment du Front populaire et du 150e anniversaire de la Révolution en 1939 ; ici, c’est Marat, le martyr assassiné le 13 juillet 1793 par Charlotte Corday. On mesure combien ces immigrés font leur l’héritage du mouvement ouvrier français, comme au moment de la guerre d’Espagne ou de l’internement dans les camps. Spécialisé dans la guérilla urbaine, le groupe Marat s’illustre en exécutant des collaborateurs notoires à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône. À Lyon et Grenoble, le groupe Carmagnole-Liberté organise la lutte armée et joue un rôle essentiel au moment de la Libération, comme la 35e Brigade de Toulouse.

Plaque à la mémoire du 5eme bataillon F.T.P. rue Edouard Branly à Grenoble, Jvillafruela, CC BY-SA 4.0

Moins connue, l’évasion de prisonnières ukrainiennes et biélorusses réduites en esclavage au camp d’Errouville, en Meurthe-et-Moselle, avec l’aide de Jules Montanari, commandant Jacques des FTP-MOI. Les 37 jeunes femmes évadées constituent alors le groupe « Rodina » (Родина, la patrie en russe) au sein des FTP-MOI.

D’autres exemples nourrissent également cette page glorieuse des FTP-MOI qui, en versant leur sang sur le sol français, ont souvent payé un lourd tribut au nom de l’idéal de libération de la « patrie des droits de l’homme » qui avait su les accueillir comme réfugiés.

Les prolongations de la MOI après-guerre

La guerre terminée, la MOI est reconstituée par le parti, mais la volonté de contrôle s’accentue, comme le définit la réunion du secrétariat général du 29 janvier 1945. Avec la Guerre froide, la MOI se trouve en porte à faux malgré son éminente participation à la lutte libératrice. La résistance étrangère est minimisée. La méfiance suscitée par les procès staliniens dans les démocraties populaires atteint les résistants étrangers suspectés de cosmopolitisme – trotskisme ou sionisme – (comme avec London). De son côté, la politique alors intégrationniste du PCF s’éloigne de la vocation initiale de la MOI de reconnaître les spécificités. Toutefois, la MOI perdure jusque dans les années 1980, mais avec des contours différents de l’entre-deux-guerres. L’activité de la MOI continue à s’inscrire au sein des régions industrialisées, mais aussi auprès du prolétariat agricole. Au cours des années 1960, elle s’amplifie avec de nouveaux secteurs de langues, en fonction de l’arrivée de nouveaux immigrés. Puis, de 1976 à 1994, la MOI est rattachée explicitement à la section entreprises du PCF, sous la responsabilité de Jean Colpin, Jean-Claude Gayssot, puis Claude Billard. À partir de 1994, l’immigration (confiée à Serge Guichard) est rattachée aux questions sociales, sous la responsabilité de Gisèle Moreau.

Par Jean Vigreux et Serge Wolikow