La Naïe Presse ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

La Naïe Presse, quotidien laïque, de langue yiddish, est créée par les militants de la section juive de la M.O.I. Le premier numéro, de quatre pages, paraît le 1 janvier 1934, dans une période de montée du danger fasciste. Il passe rapidement à six pages en semaine et huit pages le samedi. Il défend les valeurs démocratiques, rend compte de la vie politique (Front populaire, Guerre d’Espagne contre le franquisme), des problèmes rencontrés par les immigrés en France. Il ouvre ses colonnes à la « commission intersyndicale » et diverses sections syndicales, popularise les grèves et appelle la population juive à les soutenir, à lutter contre le fascisme et pour un large front unitaire. Si la priorité du journal est la lutte contre le fascisme, les informations centrées sur le réseau associatif culturel et social de la section juive de la M.O.I. sont nombreuses.

Des moyens limités

L’équipe rédactionnelle est des plus réduites, et ses moyens limités. Installée au 142 rue Montmartre, elle occupe quelques pièces au 2° étage. La composition se fait au premier, l’impression au 33 rue de la Grange-aux-belles, à la maison des syndicats CGTU. Faute de secrétaire et de machine à écrire à caractère yiddish, le plus souvent les papiers sont écrits à la main et partent manuscrits à la composition.  Léo Weiss, Faïwel Schrager (qui écrit sous le pseudonyme de Korn) et Grojnowski, alias Lerman, sont les trois membres fondateurs. L’équipe de rédaction comprend aussi, entre autres, Mounié Nadler, Israël Hirszowski ; Kenig et Rayski occupent une place plus importante vers 1935-1936, puis finissent par prendre la direction du quotidien à partir de 1938.

Le quotidien, dont la parution est assurée avec très peu de personnel, est en lien étroit avec l’Humanité qui fournit aux journalistes de nombreuses dépêches, qui sont ensuite traduites en yiddish. Le journal Naïe Presse est très proche du Parti Communiste et de la CGTU, mais son financement semble être fondé essentiellement sur les campagnes de souscriptions, très nombreuses. Avec la création de l’Association des amis de la Presse Nouvelle, la diffusion du journal obtient un support organisationnel considérable. Des sections s’implantent dans les arrondissements parisiens où résident les juifs immigrés, mais aussi en banlieue de l’est parisien et en province. Elles constituent des structures essentielles pour la distribution du journal et la collecte des fonds.

En 1935 le mouvement progressif juif se développe sur le plan social. Il se diversifie et son cadre s’élargit à l’intelligentsia. Se rassemblent des groupes d’écrivains antifascistes juifs et du Front culturel. Ils décident de créer des sections d’artistes, peintres, de musiciens, de juristes, médecins, etc. La Naïe Presse joue le rôle de stimulateur, d’organisateur, de rassembleur dans le domaine intellectuel. L’Association des amis de la Presse Nouvelle participe activement à la diffusion des activités culturelles en vendant des billets de concert ou de théâtre auprès des populations juives.

« Maudit soit pour toujours ce régime : le fascisme ! »

Le 4 septembre 1939, la Naïe Presse paraît barrée d’un titre en première page « La guerre ». L’éditorial signé par Adam Rayski se termine par ces phrases « Maudit soit pour toujours ce nom : Adolf Hitler ! Maudite soit pour toujours cette idée : le national-socialisme ! Maudit soit pour toujours ce régime : le fascisme ! Personne n’a voulu cette guerre, sauf Hitler et sa clique (…) Dans la mer de sang qu’il versera, il se noiera ; sous les ruines de ses destructions, il trouvera la mort ».

Une de Naïe Presse du 4 septembre 1939.

Sous l’occupation, après son interdiction, la Naïe Presse reparaît clandestinement le 15 juillet 1940 sous un nouveau titre, Unzer Vort (ou Unzer Wort).

Dès le 8 août 1941, un numéro clandestin de Unzer Wort lance un appel à la population juive « pour soutenir la lutte des peuples soviétiques » par la consolidation de l’unité et l’intensification de la lutte aux côtés du peuple français.

Porte-parole de l’organisation clandestine de Résistance « Solidarité » issue de la section juive, puis de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’entraide (UJRE), la Naïe Presse (devenue Unzer Vort) est lourdement touchée par la persécution nazie. De nombreux responsables, rédacteurs, imprimeurs, diffuseurs sont torturés, exécutés, déportés. Le journal traduit aussi en français Notre Parole (zone nord) et Notre Voix (zone sud), diffuse des consignes de sécurité, informe sur les crimes des nazis et de Vichy et appelle à la lutte armée dans la Résistance. Elle a éveillé le patriotisme de ses lecteurs, particulièrement les jeunes juifs de la Main d’œuvre immigrée (MOI), ceux des organisations de la résistance juive, et œuvré à leur intégration tout en gardant leur esprit juif.

La Naïe Presse, journal progressiste, reparaît après-guerre sous son titre originel et touche la population juive yiddishophone rescapée et proche de l’idéal de la Résistance.

Par Maryse Wolikow

En savoir plus :
– Simon Cukier, Dominique Deceze, David Diamant, Michel Grojnowski, Juifs révolutionnaires, Messidor ed. Sociales, 1987, 263 p.
– Aline Benain, Audrey Kichelewski, « Parizer Haynt et Naïe Presse », Archives Juives, vol. 36, 2023.