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Au lendemain de la Première Guerre mondiale, début mars 1919 à Moscou, naît la IIIe Internationale. Elle joue un rôle important dans l’histoire du courant communiste, mais aussi dans l’histoire politique mondiale.

La crise majeure qui secoue l’Europe et par contrecoup le monde au moment du premier conflit mondial constitue tout à la fois un premier ébranlement du système international dominé par les grandes puissances européennes et le moment où émergent au cœur de la tourmente et des destructions des aspirations nouvelles à l’émancipation sociale. Le communisme, en écho à la révolution russe, va en devenir un des vecteurs essentiels. S’ouvre alors une période d’instabilité politique et sociale forte dans de nombreuses régions du monde et pas seulement en Europe, c’est le cas notamment du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient.

L’expansion du communisme, très inégale, est beaucoup moins fulgurante que ses initiateurs ne l’avaient prévue, mais elle s’appuie sur une organisation dont le projet, la structuration et même l’activité constituent un arsenal exceptionnel. Associée au projet de la révolution mondiale prochaine déduite de la crise générée par la Première Guerre mondiale, l’Internationale communiste (IC) – le Komintern – connut un destin paradoxal en devenant progressivement le principal support à la diffusion de l’exemple russe en organisant la défense politique de l’État soviétique.

Même si l’existence de l’Internationale communiste a été courte, de 1919 à 1943, son rôle est essentiel dans l’histoire globale du communisme. Elle n’a pas été simplement un vecteur de propagande et d’action en faveur de l’URSS. Conçue à l’origine comme un parti mondial construit à la mesure de la révolution mondiale en gestation, elle a été dotée d’institutions ramifiées destinées à appuyer et à relayer son action. Inspirée davantage par l’expérience de la social-démocratie allemande que par l’activité de l’Internationale socialiste d’avant 1914, elle a mis en place une série de structures destinées à former, à encadrer des militants et des permanents dévoués à l’organisation. Ces derniers étaient également dotés d’une formation idéologique théorique solide. En ce sens, elle est devenue à la fois un lieu d’éducation et d’organisation de la propagande, par le biais d’une presse et d’une politique éditoriale qui ont été pensées dès l’origine d’une manière multilingue et internationale. En transposant le modèle russe par la bolchevisation, puis en étant un vecteur de la stalinisation des partis et de tout le mouvement communiste, elle a contribué à façonner des organisations et des militants dont les références ont perduré bien au-delà de son existence.

Parmi les fondateurs, nombre disparaîtront dans les purges staliniennes

La culture communiste, qui a marqué l’espace politique international au long du dernier siècle, s’est constituée dans cette période. Les façons d’envisager le capitalisme, l’État, la nation, le parti révolutionnaire à base de la culture politique des partis communistes après la Seconde Guerre mondiale, au temps où l’expansion géographique du communisme s’accélère, ont été forgées dans l’entre-deux-guerres, de telle sorte qu’on peut parler d’une culture kominternienne qui a largement survécu à l’organisation internationale et a été fortement intériorisée par les organisations nationales et leurs cadres.

La méconnaissance très répandue de cette histoire internationale a une dimension politique : elle tient en grande partie à l’évolution même du mouvement communiste international après la Seconde Guerre mondiale. L’exaltation de l’URSS d’un côté, la nationalisation des partis communistes de l’autre, la diversité croissante des situations nationales mais aussi le repli de l’URSS sur ses propres intérêts géopolitiques ont favorisé un oubli systématique du rôle de l’Internationale communiste de la part du mouvement communiste international après 1945.

En France, le lien organique avec le Parti communiste de l’URSS proclamé par le PCF jusqu’au milieu des années 1960 ne l’empêche pas d’affirmer la dimension principalement française de toute son histoire, gommant notamment les multiples interventions et l’omniprésence de l’Internationale communiste dans la genèse comme dans la construction de sa politique et de son organisation. Les hommes ayant dirigé l’Internationale communiste à sa naissance, puis ayant accompagné son œuvre organisationnelle, Zinoviev puis Boukharine, au cours des années 1920, comptent parmi les figures majeures des grands procès staliniens et les victimes emblématiques d’une répression qui touche en particulier tous ceux que l’on soupçonne de pactiser avec l’étranger. Leur stigmatisation atteint par contrecoup une Internationale communiste qu’ils avaient incarnée. Dès lors, une large partie de son histoire est dévalorisée et discréditée par le discours stalinien. Est-il étonnant que le nom même de l’Internationale communiste soit tombé dans les oubliettes de l’histoire officielle des partis communistes ? Aujourd’hui, près de trente ans après l’ouverture des archives, la recherche historique a connu un essor qui permet de revisiter cette histoire qui, par de nombreux côtés, n’est pas sans implications contemporaines.

Serge Wolikow, historien, président du Conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri.

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