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Tribune parue dans Libération du 17 janvier 2011.

Quelles sont les données du problème ? D’une part, l’énergie et l’électricité sont des produits de première nécessité, aussi indispensables que l’air et l’eau, dont les usages conditionnent notre qualité de vie : alimentation, santé, éducation, culture, mobilité, productivité en dépendent étroitement. Et la façon de les produire, de les distribuer et de les utiliser résulte de choix politiques, de choix de société. D’autre part, la définition d’une politique énergétique pour la France ne peut faire l’impasse sur sa réalité physique, son environnement géostratégique. La France ne dispose pas en propre, nous le savons, des ressources naturelles suffisantes pour répondre au modèle de développement dont elle s’est dotée depuis le début du vingtième siècle.

A partir de là, quelles sont les besoins à satisfaire, les défis à relever ?

Le droit au développement, la réponse aux besoins des peuples exigent une énergie abondante, de qualité et au meilleur coût.

Nous sommes loin du compte puisque deux milliards d’êtres humains n’ont accès à l’énergie que par… le bois de chauffe !

C’est le problème majeur, sans négliger cependant les conséquences écologiques et climatiques négatives liées à la production et à l’usage des énergies, mais pour lesquelles des solutions existent, qui nécessitent créativité et novation politiques. Ce sera l’un des enjeux de 2012.

Cette réalité impose de modéliser notre politique énergétique, de définir les choix technologiques, les modalités et les moyens de production d’électricité, ainsi que leur cadre organisationnel.

Pour la première fois dans son histoire, l’humanité est confrontée au problème de la disparition de ressources naturelles. Une coopération doit être instaurée entre les pays producteurs de pétrole et de gaz – très souvent des pays en voie de développement – visant à établir des prix régulés, stables et acceptables par tous. Les transferts de technologies peuvent contribuer à cette stabilité. Pour ce qui concerne le gaz, les contrats à très long terme et, en parallèle, le développement des réseaux par méthaniers et gazoducs peuvent limiter efficacement les risques géopolitiques.

Le charbon – dont les réserves mondiales restent abondantes – est un combustible d’avenir, mais c’est aussi l’un des plus polluants. La France, qui a une riche expérience, pourrait conjuguer l’exploitation charbonnière avec le développement de technologies d’utilisation propre de ce minerai. Son savoir-faire en matière d’exploitation en couche profonde comme en stockage de gaz naturel lui confère une pertinence dans la recherche sur la capture de gaz à effet de serre. Autant d’atouts favorables à la diversification des sources d’énergie et à une aide conséquente aux pays dont le charbon est le principal vecteur de développement.

La faiblesse du financement de notre recherche, dont une panne de l’innovation est à redouter, est également préjudiciable au développement énergétique et industriel du pays. Les recherches dans les domaines de l’énergie, des réacteurs de quatrième génération, des piles à combustible, de la fusion (projet ITER) sont capitales si nous voulons affronter avec sérénité la fin de l’ère pétrolière, notamment dans les transports. On ne pourra, à cet égard, faire l’économie de partenariat étroit avec les entreprises. Sinon, elles devront contribuer à l’effort national de recherche par la fiscalité. Quant aux programmes internationaux et européens, ils ne pourront être durablement négligés, comme c’est hélas le cas aujourd’hui.

Autre problème : la construction insuffisante de logements neufs et l’inadaptation du parc existant à un bon emploi des énergies constituent également un défi pour la production énergétique de demain. Il s’agit, avec des politiques de la ville ambitieuses et dotées de moyens, d’un axe de développement essentiel afin de répondre au besoin de confort, de dignité et de qualité de vie de nos concitoyens. Un urbanisme moderne et soucieux des hommes doit réintégrer dans la ville les fonctions de production et d’échange pour limiter les longs déplacements. Dire cela et ne pas interpeller l’esprit civique des entreprises serait vain. Ces dernières instaurent, de fait, des régimes de mobilité au gré exclusif des appels fiscaux opérés par les diverses collectivités locales.

Or, les transports doivent être repensés, et anticipés, à l’aune de l’échéance de la disparition du pétrole forcément précédée d’une élévation de son coût. Les dispositifs multimodaux – fer-route, fluvial-route – doivent désormais être privilégiés, et une autre forme de carburant utilisée : l’hydrogène est une des réponses, dont la production, le transport et la distribution mobiliseront également des ressources énergétiques.

Autre problème encore : les déréglementations engagées depuis deux décennies sont désastreuses. Elles engendrent complexification, gâchis et désoptimisation du secteur. Citons, notamment, l’absence de cohérence des investissements, l’implantation anarchique des moyens de production, la création d’un concurrent direct d’EDF avec la fusion Suez – Gaz de France. Il faut le rappeler car on ne pourra pas se projeter dans une politique énergétique post 2012 sans avoir fait l’état des lieux de nos capacités actuelles, et en négligeant d’évaluer les perspectives industrielles de notre pays. Il est impératif de tirer le bilan des déréglementations pour réorienter cette politique vers des logiques de long terme et de maîtrise publique.

La mise en place d’un pôle public de l’énergie est un des ces outils de pilotage et de régulation que nous appelons de nos vœux. Il s’agit de réguler, au nom de l’intérêt général, la concurrence qui se fait jour, destructrice de capacités, de valeurs et d’emplois ; de réorienter, à partir d’un cahier des charges de service public, les initiatives privées, en instaurant un pilotage collégial et des objectifs définis par la loi. Préserver l’encadrement tarifaire de l’électricité ne passera pas par le seul équipement des ménages en compteurs intelligents en vue d’obtenir, tout au plus, une autorégulation des consommations (ce que, hélas, 3,4 millions de foyers de notre pays en situation de précarité énergétique s’emploient à faire pour ne consommer que le strict minimum). Une bonne idée serait l’instauration d’une tranche sociale permettant de garantir un droit à l’énergie pour tous.

Tout comme celle, qui grandit, de passer de l’Europe de la concurrence énergétique à l’Europe de la coopération énergétique. La création d’une agence européenne de l’énergie permettrait d’associer sécurisation, indépendance et long terme avec des objectifs communs : la réduction des gaz à effets de serre ; la recherche ; le droit à l’énergie ou les réseaux. La diversité des situations au plan européen concerne aussi les sources d’énergie possibles (nucléaire en France, charbon en Pologne….). Au train où vont les choses, l’Europe sera en 2020 dépendante à 70 % des approvisionnements énergétiques extérieurs. Il apparaît indispensable que si chaque pays conserve sa souveraineté sur ses pratiques et décisions, celles-ci soient prises en pleine connaissance des pratiques et décisions de l’ensemble des pays concernés. L’agence de l’énergie contribuerait à la cohérence des niveaux d’investissements, des économies d’énergie, des énergies renouvelables, de la capture et la séquestration du CO2, de la sécurisation des réseaux.

Un contrat social à trois entrées est à rebâtir :

  • Pour les salariés de l’énergie, dont les activités ont été externalisées sous prétexte d’abaissement des coûts, et auxquels il faut un socle social commun, dont l’objet serait de garantir à chaque travailleur un seuil de rémunération égal, un degré de qualification et des conditions de travail identiques, quels que soit son employeur. Cette disposition est indispensable pour réguler les entreprises, fidéliser les compétences, refaire des ces salariés des vecteurs de confiance et d’acceptabilité (notamment du nucléaire, mais aussi de l’hydraulique et d’autres sources) au sein de la population. Si les salariés ont des droits en matière économique (CE), en matière sociale (CHSCT, DP), ils n’en ont aucun en matière environnementale. Pourtant, qui mieux qu’eux savent ce que l’entreprise rejette, d’autant qu’ils habitent souvent, avec leur famille, à proximité des sites ? Quoi de plus naturel que de leur permettre de disposer d’un droit de retrait environnemental, comme ils l’ont déjà pour les situations de travail dangereuses ?
  • Pour les usagers, il faut instaurer un vrai droit de regard et d’intervention sur les politiques tarifaires, sur les choix d’équipements ainsi que sur leur fonctionnement. Les conseils d’administration doivent leur être ouverts, autrement qu’en qualité d’actionnaires. Enfin, les grands enjeux d’avenir en matière énergétique concernent les besoins vitaux de la planète tout entière. Avec deux milliards d’êtres humains en marge de l’accès à l’énergie, ces besoins fondamentaux sont gravement altérés pour tous. Si le libre accès à leurs ressources naturelles est un droit pour les nations les plus développées, pourquoi l’accès aux technologies et à la formation est-il refusé aux pays les plus démunis ? Continuer ainsi est absurde et inhumain. Il est grandement l’heure de penser – puis d’engager sans retard – les transferts les mieux adaptés aux exigences de progrès économique, social et environnemental. Tout cela n’est pas affaire de « spécialistes », et exige l’ouverture d’un immense chantier citoyen, donc un essor sans précédent de la démocratie. A seize mois de l’élection présidentielle, c’est une question cardinale.

Fondation Gabriel-Péri

Créée en 2004 à l’initiative du Parti communiste français, la Fondation Gabriel-Péri est reconnue d’utilité publique. Elle se propose, au même titre que d’autres fondations politiques, d’être un lieu de recherches, de travail et d’élaboration de propositions susceptibles d’être utiles au débat public.