Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871
Adresse du Conseil général de l’Association internationale des travailleurs
À tous les membres de l’Association en Europe et aux États-Unis
Présentation par Florian Gulli
agrégé de philosophie, enseignant au lycée à Besançon.
La guerre civile en France est une Adresse de l’Association Internationale des Travailleurs fondée en 1864. Marx, l’un de ses principaux dirigeants, rédige le texte, rédaction qui sera approuvée à l’unanimité par les membres du Conseil Général de l’AIT, le 30 mai 1871. La Guerre civile en France est donc une analyse «à chaud» des événements, une analyse «impliquée» conduite par Marx, mais dans le cadre d’une organisation ouvrière.
Dans cet extrait, Marx définit la Commune comme la «forme positive» de la «République sociale» qui n’avait jusqu’ici été qu’un vague slogan. La Commune se proposait d’abolir, non pas une forme de domination de classe, mais la domination de classe elle-même. Pour parvenir à cette fin, il ne suffisait pas de s’emparer du pouvoir d’État. Le Manifeste soulignait déjà que «la classe ouvrière ne peut pas se contenter de s’emparer de la machinerie de l’État telle quelle et de la faire fonctionner pour son propre compte». La Guerre civile en France approfondit ce thème. La République sociale ne peut advenir qu’en brisant la machinerie étatique. Il s’agit de se débarrasser des organes répressifs de l’ancien pouvoir gouvernemental, l’armée permanente, et parallèlement, de remettre au service de la société les fonctions légitimes qui avaient été confisquées par l’État.
Extrait tiré de Karl Marx, Friedrich Engels, Sur la Commune de Paris. Textes et controverses, Paris, Éditions sociales, 2021, p. 176-178.
L’antithèse directe de l’Empire fut la Commune. Le cri de « République sociale » par lequel le prolétariat de Paris inaugura la révolution de février [1848] n’exprimait guère qu’une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même. La Commune fut la forme positive de cette République.
Paris, siège central de l’ancien pouvoir gouvernemental, et, en même temps, forteresse sociale de la classe ouvrière française, avait pris les armes contre la tentative faite par Thiers et les ruraux pour restaurer et perpétuer cet ancien pouvoir gouvernemental que leur avait légué l’Empire. Paris pouvait résister du seul fait que, comme conséquence du siège, il s’était débarrassé de l’armée et l’avait remplacée par une Garde nationale, dont l’essentiel était constitué par des travailleurs. C’est cet état de fait qu’il s’agissait maintenant de transformer en une institution. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l’armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.
La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville, responsables et révocables à court terme. La majorité de ses membres étaient naturellement des travailleurs ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, le service public devait être assuré pour des salaires de travailleurs. Les privilèges traditionnels et les indemnités allouées aux hauts dignitaires de l’État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les fonctions publiques cessèrent d’être la propriété privée des commis du gouvernement central. Non seulement l’administration municipale, mais toute l’initiative jusqu’alors exercée par l’État fut remise aux mains de la Commune.
Une fois débarrassée de l’armée permanente et de la police, instruments de répression de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la séparation de l’Église et de l’État et la destitution des églises de leurs propriétés. Les prêtres furent renvoyés dans les recoins de la sphère privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l’instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des institutions d’éducation fut ouverte gratuitement au peuple, et, en même temps, débarrassée de toute ingérence de l’Église et de l’État. Ainsi, non seulement l’éducation était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des chaînes imposées par les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental.
Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette fausse indépendance qui n’avait servi qu’à masquer leur abjecte soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables. La Commune de Paris devait, bien entendu, servir de modèle à tous les grands centres industriels de France. Le régime communal une fois établi à Paris et dans les centres secondaires, l’ancien gouvernement centralisé aurait, dans les provinces aussi, dû faire place à l’autogouvernement des producteurs.