par
La licence insolente avec laquelle Israël aura pu pilonner pendant des jours puis envahir Gaza sans autre réaction de la communauté internationale que de courtoises et précautionneuses demandes de vouloir bien y mettre moins de brutalité, puis un constat d’impuissance de l’ONU parce qu’il n’est pas intervenu d’accord au sein du Conseil de Sécurité, aura porté à son paroxysme la mise en évidence d’une vacance totale de ce qui devrait être un minimum de légalité internationale.
Il est vrai que le spectacle est général et quotidien d’une société internationale caractérisée par le plus grand désordre, où les conflits armés se multiplient, où la loi générale devient celle de la violence, et où tout se passe comme s’il n‘y avait aucun moyen d’y intervenir.
Pourtant, théoriquement, les relations internationales ne sont plus aujourd’hui à la discrétion des États.
1945 : l’amorce d’un droit international
C’était le cas jusqu’en 1945, quand, à l’exception des conventions dites humanitaires qui en fin de XIXe siècle et en début du XXe ont seulement imposé des limites aux façons de faire la guerre, le droit international n’était tissé que de conventions entre puissances se partageant les territoires, leurs richesses et leurs peuples. Ce droit était qualifié à tort de « public » parce qu’il était conclu entre des Etats, mais était en réalité aussi « privé » que dans un pays où il n’y aurait pas eu de lois mais seulement le bon gré de conventions particulières.
Mais en 1945, sous le choc émotionnel de la deuxième guerre mondiale, va s’opérer une profonde mutation : pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité, va être proclamé une loi égalitaire et universelle : la Charte des Nations Unies. Ainsi naît pour la première fois un droit international digne de ce nom.
La guerre est mise hors la loi, les peuples devant vivre dans le respect mutuel et la coopération pour leur commun développement. Il n’y a aucune guerre juste. Il est interdit aux États d’intervenir dans les affaires d’autres Etats, car chaque peuple est seul maître des affaires de son territoire, et a un droit exclusif de régler ses affaires au moyen de l’État de son choix. Le recours à la force ou à la menace de la force dans les relations internationales est interdit, et les différends doivent se régler par des moyens pacifiques. Même le Conseil de Sécurité chargé de faire la police ne peut intervenir que dans la stricte limite du maintien ou du rétablissement de la paix.
Alors vient et revient de façon lancinante le constat d’une crise de ce Droit international, et l’exigence d’une réforme qui donnerait à l’ONU plus d’autorité, et une structure qui lui assure une intervention à la fois plus efficace et plus équitable, en l’absence de laquelle tout serait vain.
Le droit de veto …
Ce qui est généralement mis en cause est essentiellement le fait que des membres permanents puissent paralyser l’organisation par l’utilisation du droit de veto.
Il est certain que l’existence de membres permanents est contraire au principe d’égalité des nations petites et grandes pourtant proclamé par la Charte. Elle a son origine dans le fait que le Monde était partagé en deux blocs dont chacun craignait que l’autre ne réunisse une majorité contre lui. Donc, aucune mesure de contrainte ne pouvait être décidée qu’avec l’accord des 5, appartenant aux deux blocs, ce qu’on appelait alors non pas le droit de veto mais le « principe d’unanimité ». Pour la même raison la Charte soumet toute modification du statut de l’Organisation à l’accord des mêmes 5 membres permanents, et cela donne la mesure du mouvement qu’il faudrait pour parvenir à la suppression de leur privilège !
Quant au « droit de veto », le supprimer serait une lourde erreur : il peut être nécessaire pour empêcher une majorité du Conseil de Sécurité de décider une intervention qui dépasse sa mission de strict maintien de la paix. Et il serait parfaitement possible de remédier à son utilisation abusive sans qu’il soit besoin d’aucune réforme, car, contrairement à ce qu’on nous fait croire, le droit de veto ne figure nulle part dans la Charte.
Il n’est que le produit d’une interprétation donnée par la Cour de Justice de La Haye qui, en 1950, pour surmonter l’obstacle mis à l’intervention occidentale en Corée du fait de l’absence de l’URSS à la réunion du Conseil de Sécurité a modifié la portée de l’abstention pour transformer en « droit de veto » le « principe d’unanimité ». Il suffirait donc, sans besoin d’une réforme, et simplement en poussant jusqu’au bout l’interprétation, de n‘admettre comme légal que le veto exercé pour faire respecter les principes et non pour en protéger la violation. Cela découle d’ailleurs nécessairement de l’article 24.2 qui ne donne mission au Conseil de Sécurité que de faire respecter la Charte. Si donc une majorité décidait d’envoyer une force d’interposition entre Israël et la Palestine, aucun veto ne devrait valablement s’y opposer. Encore faudrait-il qu’une majorité de gouvernements d’États membres du Conseil de Sécurité le veuillent.
Or, s’il est vrai que la force du droit ne peut pas tenir à sa seule proclamation s’il n’y a pas une autorité pour le faire appliquer et à qui l’on en donne les moyens, il reste que, en droit international comme en toute autre matière (le droit du travail en est un des exemples les plus immédiatement perceptibles), même lorsqu’on conquiert la mise en place des meilleures lois et des meilleures institutions, il faut encore constamment se battre pour qu’elles soient appliquées et fonctionnent bien.
… ou le droit des peuples
Et pour cela il n’y a pas d’autre recette que l’action de leurs peuples Or le Droit International d’aujourd’hui fait de cette intervention des peuples sa pierre angulaire.
En effet, révolutionnaire, le Préambule de la Charte, qui définit la philosophie nouvelle, inverse le vieux rapport de pouvoir sur les peuples en nouveau pouvoir des peuples eux-mêmes : « Nous Peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui par deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances…. avons décidé d’unir nos efforts…. En conséquence nos gouvernements ont signé la présente Charte » Et, après avoir défini les règles qui découlent de cette orientation fondamentale, la Charte crée l’Organisation pour les appliquer. Ainsi l’ONU est le lieu où les peuples unissent leurs efforts et leurs gouvernements ne doivent y être que leurs représentants.
Mais les puissances n’allaient pas si volontiers abandonner la logique ancienne. Pour cela, elles mènent de front deux stratégies, l’une consistant à court-circuiter ou marginaliser l’ONU chaque fois qu’elles le peuvent, et à la récupérer comme un des outils de la vieille logique de puissance, et font tout pour faire ignorer par les peuples le véritable contenu de la Charte, et en ramenant tout à cette ONU récupérée.
C’est encore l’actualité immédiate qui nous en donne la plus irritante démonstration : pourquoi donc le Conseil de Sécurité (et donc l’ONU) devrait-il être paralysé tant que ses membres ne sont pas parvenus un accord ? Où a-t-on vu qu’il doive fonctionner au consensus ou à l’unanimité ? Qu’on lise la loi internationale qu’est non pas l’ONU mais la Charte que ladite ONU n’est faite que pour appliquer et faire respecter : cette loi n’est pas celle de l’unanimité ni du consensus mais du vote à la majorité, sauf seulement … le risque du veto. Et les délibérations (en coulisse) ne sont que la manière d’essayer de prévenir le risque de veto et d’en négocier les conditions, c’est-à-dire de se soumettre à son chantage.
Si bien qu’il n’y a pas crise du droit international, mais bataille entre maintien du vieux droit international et mise en œuvre du nouveau et cela dépend de l’action des peuples.
Cela n’a rien d’utopique si l’on considère que c’est bien ce qui s’est fait quand la pression des peuples sur leurs gouvernements respectifs les a empêchés de donner le feu vert à l’agression contre l’Irak. Qu’ensuite l’agression ait eu lieu quand même pose la question du suivi de l’action des peuples pour en imposer le châtiment
Encore faut-il que les peuples connaissent leurs droits, leurs responsabilités, et les moyens et objectifs que le droit proclamé leur en donne.
C’est sans doute une des batailles d’éducation et d’information les plus essentielles de notre temps, avec la difficulté que comporte l’inégalité des moyens et la ténacité des idées reçues