Skip to main content
Bibliothèque

L’OMC contre les peuples ?

par

Le 27 novembre des manifestations se dérouleront dans toute la France contre l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC), dont la troisième conférence ministérielle s’ouvre à Seattle le 30 novembre. Une large coalition de syndicats, de partis politiques et d’associations y appellent. Ce mouvement témoigne d’une prise de conscience du rôle de l’OMC qui n’a pas existé malheureusement au moment où cette organisation est née en 1993-94, ou lors de ses conférences à Singapour en 1996 et à Genève en 1998. Il a fallu pour cela, la mobilisation contre le projet d’accord sur l’investissement international (l’AMI) en 1998, suivie de la prise de conscience progressive par une partie croissante de l’opinion publique salariée et citoyenne de la menace représentée par l’OMC. Cet été, les actions engagées par la Confédération paysanne sur l’emploi des semences génétiquement modifiés (les OGM), ainsi que l’arrestation de José Bové, ont accéléré ce mouvement de prise de conscience.

La liberté du commerce comme principe absolu

Institution clef de la mondialisation capitaliste, aux côtés du FMI et de la Banque mondiale, l’OMC a pour mission de promouvoir la « liberté du commerce ». Il s’agit d’imposer le règne sans partage de la marchandise, de soumettre les conditions de travail et d’existence quotidienne et les libertés des citoyens, aux prétentions des groupes capitalistes de réaliser en toute liberté leurs profits sur le marché mondial. La création de l’OMC par le Traité de Marrakech en 1994 est passée pratiquement inaperçue. Ce traité concluait le huitième cycle de négociations (dit « Round » en américain) menée dans le cadre du GATT. Ce cycle s’était ouvert huit ans plus tôt, lors d’une conférence tenue en Uruguay en 1986, avec des objectifs classiques de réduction des barrières douanières qui étaient ceux GATT. Mais la portée de « l’Uruguay Round » a changé en cours de route. A partir de 1990, les évènements internationaux – la guerre du Golfe, la disparition de l’URSS, la promotion des Etats-Unis au statut d’unique « super-puissance » – ont fourni aux idéologues et technocrates ultra-libéraux comme aux lobbies industriels transnationaux l’occasion qu’ils recherchaient de créer à la place du GATT une organisation commerciale bien plus puissante, tant par l’ampleur de son mandat que par les moyens de coercition dont elle disposerait. Les négociations ont donc été réorientées vers la mise sur pied d’une organisation destinée à faire de la liberté du commerce le principe dominant du droit international qui l’emporterait sur le droit du travail, la protection de l’environnement, le droit de la santé publique.

C’est ainsi que l’OMC a acquis, au nom de la liberté du commerce, depuis le Traité de Marrakech de 1994, un droit de regard décisif sur l’organisation et l’orientation de l’agriculture, sur les services (dossier central à la conférence de Seattle) et sur le droit de la propriété industrielle et intellectuelle. La partie du traité qui concerne cette question accorde à l’OMC un droit d’intervention sur les brevets industriels, les licences, les marques déposées, ainsi que sur droits d’auteurs, même si des freins ont pu être momentanée établis sur ce point. La notion de propriété intellectuelle a été définie de sens large de façon à pouvoir être constamment étendue. Elle touche déjà les espèces animales et végétales génétiquement manipulées, les processus biologiques et parties du corps humain, les processus naturels qui créent les plantes et les organismes vivants. Elle permet la mainmise sur la nature, l’accaparement des ressources biologiques vitales par les firmes multinationales.

L’OMC a été également dotée d’un puissant instrument juridictionnel permettant d’imposer la liberté des échanges comme norme sociale dominante. Il s’agit de l’organe de règlement des différents (l’ORD), dont le rôle s’avère toujours plus important. C’est une sorte de tribunal de commerce international qui tranche les litiges entre pays d’une façon très particulière. A l’instar de l’arbitrage privé, l’ORD nomme des panels de trois arbitres. Le panel peut consulter des experts, mais il délibère en secret et n’a aucune obligation de publier ses délibérations. Ses décisions sont sans appel. L’examen des décisions prises montre que c’est la liberté des échanges qui prime sur tout autre principe (par exemple le principe de précaution dans le domaine de la santé publique). Sur 22 conflits entre les États-Unis et l’Union européenne, 20 délibérations ont donné raison aux États-Unis. Pour deux d’entre eux -maïs transgénique, viande aux hormones- la décision équivaut à une extension internationale des normes internes américaines en matière de sécurité alimentaire !

Fallait-il un nouveau cycle de négociation si vite ?

L’idée de faire de la conférence de l’OMC de Seattle le point de départ d’un nouveau cycle de négociations est née en Europe. En 1998, la Commission Santer a vu là une façon de terminer son mandat de façon spectaculaire. C’est au commissaire aux échanges ultra-libéral Sir Lionel Brittan, qu’on doit le nom pompeux de « cycle du millénaire ». Il reste que la Commission européenne a reçu l’aval des gouvernements des Quinze, dont le gouvernement de Lionel Jospin. On comprend son langage alambiqué, sa gêne face au le mouvement anti-OMC qui s’est développé en France.

Rien n’exigeait qu’un nouveau cycle soit lancé si vite, alors que de très nombreux pays n’ont pas encore absorbé les chocs nés de l’Uruguay Round et que les conséquences du Traité de Marrakech n’ont pas été évaluées. Pour de très nombreux pays, les « bienfaits » promis par la libéralisation des échanges ne se sont pas matérialisés. La liberté accrue du commerce est allée de pair avec la marginalisation et l’appauvrissement grandissant de l’Afrique sub-saharienne, mais aussi avec une vulnérabilité accentuée de l’économie mondiale aux crises économiques. En 1995 le Mexique a connu une grave récession et deux ans plus tard, en 1997-98, certains des pays d’Asie du Sud-Est les plus prospères en apparence -la Thaïlande, la Corée, la Malaisie, Singapour- ont connu le même sort. Au Mexique comme en Asie, les récessions ont débuté par une crise financière, mais la responsabilité de la libéralisation et de la déréglementation des échanges dans la création des conditions de crise et de récession a été tout aussi grande que celle de la même politique dans la finance.

Le but de la libéralisation commerciale est d’accroître la dimension du marché pour les entreprises les mieux placées. Elle engendre des mécanismes économiques destructeurs. Les pays qui libéralisent leur commerce voient leur balance commerciale se dégrader sous la poussée des importations venues des pays avancés à productivité plus élevée et leurs usines se fermées sous l’effet de la concurrence. Ils sont obligés de réagir et d’exporter pour tenter aussi bien de réduire leurs déficits que de créer des emplois à la place de ceux qui ont été perdus. Mais ce développement s’effectue presque invariablement aux dépens d’autres pays, ceux dont les entreprises sont actives dans les mêmes branches ou secteurs. Les échanges commerciaux perdent leur vertu originelle qui est la mise en commun entre pays d’atouts complémentaires au moyen de la division internationale du travail, pour faire place à une concurrence effrénée dans les mêmes activités. Les maîtres mots du commerce international contemporain sont « compétitivité » et « accroissement desparts de marché ». On commerce de moins en moins pour bénéficier des complémentarités des autres pays, mais pour leur ravir des marchés et des emplois. Ne sont gagnants que les grands groupes qui peuvent absorber leurs concurrents étrangers malheureux.

La santé et l’enseignement, nouvelles cibles de l’OMC

Cette logique n’est pas seulement à l’ ?uvre dans l’industrie, mais aussi dans l’agriculture où les grands pays à production intensive et productiviste veulent tous vendre les mêmes produits — maïs, céréales ou viande de b ?uf — sur les mêmes marchés. Qu’importe pour l’OMC la sauvegarde d’une agriculture de petit producteurs, le respect du principe de précaution ou la prise en compte des besoins des pays pauvres et des classes sociales à faibles revenus, lorsque les profits d’une agriculture capitaliste concentrée travaillant avec les très grands groupes de la chimie ou de l’agro-industrie, sont en jeu. C’est pourquoi la guerre commerciale agricole sera l’un des thèmes de la conférence de Seattle comme du prochain cycle de négociations. Les très grandes industries des médias vont faire chercher à faire sauter elles aussi toutes les aides qui permettent aux langues et aux cultures minoritaires de résister à l’assaut des films et des téléfilms qui voudraient avoir le marché mondial pour eux tous seuls.

Mais les enjeux nouveaux se trouvent surtout dans le secteur des services, où les groupes capitalistes veulent que la libéralisation et la privatisation leur permettent d’accéder librement au marché intérieur de tous les pays du globe. Dans la foulée de l’Uruguay Round, la conférence de Singapour a organisé en 1996 l’ouverture des services de télécommunication, libérant la voie à la mise en coupe réglée de l’industrie mondiale par une poignée de très grands groupes. Ce n’est pas un hasard si le mouvement de concentration a été particulièrement accentué dans ce secteur. Désormais ce serait le tour des assurances, encore protégées par des législations nationales. Mais le secteur de la santé et celui de l’éducation sont également visés de façon directe. Les groupes financiers qui ont assuré la mainmise sur les systèmes de santé dans les pays où l’Etat est peu présent et la protection sociale faible, veulent pouvoir maintenant s’étendre mondialement et exigent le démantèlement des systèmes publics. Les projets de « mise en ordre » et de privatisation accrue du système hospitalier n’entreraient-ils pas dans le « grand marchandage » qui se prépare ? Mais l’OMC voudrait aussi ouvrir le système éducatif à la concurrence étrangère, de sorte que beaucoup de projets de Claude Allègre peuvent être également lu comme des mesures préparatoires à la subordination directe de l’école au règne de la marchandise.

Tels sont quelques uns des enjeux de la conférence de Seattle. On comprend qu’il faille manifester contre l’OMC et tous ceux qui l’appuient !