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L’internationalisme pris au piège de la mondialisation

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Un siècle parcouru par la solidarité internationaliste

Le XXème siècle s’achève. Il aura été celui de l’internationalisme. Celui-ci a emprunté trois formes majeures.

  • Octobre 17 a ouvert la voie à une longue chaîne de solidarité fortement inscrite dans la naissance de la jeune Union soviétique puis dans la constitution des Blocs. Ceux qui y contribuèrent nouèrent des liens, s’entraidèrent, échangèrent des expériences. Ils furent responsables non seulement devant leur peuple mais devant toute l’humanité en espérance. Ils étaient animés d’une motivation forte, celle d’une visée commune.
  • Le deuxième front de ces luttes fut celui de la solidarité aux peuples coloniaux et plus largement aux luttes du Tiers Monde. Des grandes causes émancipatrices enflammèrent la jeunesse des pays occidentaux dans les années 60 et 70 -Algérie, Vietnam, Afrique du Sud. Cette action s’accompagna d’une aide à des projets originaux de construction nationale (Cuba, Nicaragua, etc.). La remise en cause d’un ordre dominant, celui de l’impérialisme fut le ressort de ces luttes.
  • Enfin la solidarité antifasciste et antidictatoriale fut aussi l’un des trait de ce siècle. L’engagement des Brigades internationales pendant la guerre d’Espagne en fut la figure la plus emblématique. Plus récemment, le Portugal de Salazar, la Grèce des colonels ou le Chili de Pinochet mobilisèrent des générations de militants. C’est la perception d’un danger commun et la volonté d’y faire face qui cristallisa la mobilisation.

Un bilan contrasté

Une longue chaîne parcourant plusieurs générations s’est ainsi constituée. Ces luttes solidaires furent d’emblée happées par la surdétermination politique et idéologique de la guerre froide et de l’affrontement des blocs, y compris lorsqu’elles furent d’essence syndicale. Disons le tout net, très peu de forces purent s’arracher à cette aimantation. La solidarité s’imposa d’emblée entre les « composantes naturelles » du mouvement révolutionnaire mondial -les pays socialistes, le mouvement de libération nationale, le mouvement ouvrier des pays occidentaux- puis s’élargit plus tardivement à des catégories -les jeunes et étudiants, les femmes- ou à des préoccupations -l’indépendance nationale, la paix, le désarmement, la construction d’un Nouvel Ordre International.

Le bilan est contrasté. Dans cette solidarité interdépendante, certains furent plus dépendants que d’autres. L’assistance, le clientélisme ou l’ingérence ne furent pas toujours absents ; la frontière entre conseils, directives et mises en demeure fut souvent ténue. Si les forces progressistes occidentales payèrent un lourd tribut sur l’autel de l’alignement sur les orientations de la politique extérieure soviétique, en revanche l’aide du camp socialiste fut souvent décisive pour de nombreux peuples. Est-il nécessaire de rappeler également que le monde a basculé en 1945 et que l’immense mouvement de décolonisation des années 50 et 60 qui s’opéra à l’ombre des Blocs lui dut beaucoup.

Cette période possède ses lettres de noblesse. Il en va ainsi des luttes anticolonialistes qui n’allaient pas de soi pour le mouvement ouvrier (on a en mémoire l’option colonialiste des sociaux-démocrates). Si la dimension morale et humaniste était facile à mettre en avant, surtout dans les milieux intellectuels, les aspects matériels, le fameux intérêt commun propre à toute solidarité, étaient plus difficile à mettre en évidence dans les milieux populaires. Les miettes de l’exploitation coloniale étaient dans les esprits.

Ce monde a vécu. L’antifascisme et l’anticolonialisme ont perdu, heureusement, beaucoup de leur raison d’être. D’autres formes toutefois apparaissent comme la lutte contre l’intégrisme. Mais déjà avant l’effondrement de la logique des blocs d’autres formes d’engagements « internationalistes » s’étaient manifestés, notamment l’humanitaire.

La montée de l’humanitaire

La démarche de solidarité s’est toujours démarquée de l’idéologie du partage et de la charité. Derrière la solidarité il y a toujours intérêt commun collectivement construit. A l’opposé la charité et le partage s’inscrivent dans l’individuel et le subjectif.

La démarche humanitaire -du Biaffra des années 60 au Rwanda ou au Kosovo des années 90 en passant par les Boat people des années 70- a d’emblée pris le monde comme champ de son intervention et a pu paraître de ce fait comme un forme d’internationalisme. Son action s’est étendue largement aux victimes de la faim, des guerres civiles ou ethniques, des épidémies, des catastrophes naturelles. Cette entreprise apporte alors une assistance aux populations, aux victimes et non plus à des forces combattantes. Il serait néanmoins erroné de croire qu’elle n’a pas de portée politique. Elle est toujours l’enjeu de quelque chose et se réduit rarement à de la simple charité. Elle est toujours un formidable révélateur de chaos, d’injustices et d’inégalités et traduit dans son domaine le cynisme de l’ordre international existant. Cette idéologie humanitaire a connu un essoufflement sans doute dû à sa relative inefficacité, à son exploitation médiatique et à son rôle d’accompagnatrice de politiques étrangères altérant ainsi la noblesse de son désintéressement initial.

Des repères plus difficiles dans un contexte de mondialisation accrue

La nouvelle période qui surgit marquée par la fin des blocs et des camps militaires et par un processus de mondialisation suscite un effet de brouillage idéologique effaçant la frontière entre mondialisme et internationalisme et affectant la solidarité entre travailleurs.

Des questions jaillissent . 
- Comment être internationaliste ? Comment articuler son combat avec la persistance des États-Nations, lieux toujours vivants des enjeux sociaux ? Quels types de liens établir entre les forces progressistes ? Comment construire une toile d’araignée planétaire qui s’inscrive dans le défi de la mondialisation et prenne en compte la mondialisation des défis ?

La crise actuelle, dont la mondialisation est la figure principale, appelle à adapter les luttes et les manifestations de l’internationalisme aux conditions du moment ne serait-ce que parce qu’elle a pour effet de déstabiliser les solidarités constituées. A chaque étape du développement du capitalisme -impérialisme, colonialisme, néocolonialisme, montée des multinationales, financiarisation, mondialisation, etc.- des défis nouveaux ont été posés à la solidarité internationale des travailleurs.

Le processus de mondialisation a pour effet d’accroître à l’échelle de la planète la concurrence des travailleurs. Le débat récurrent sur la retraite par capitalisation qui se substituerait ou compléterait le système par répartition en offre un exemple. Les sommes collectées sont placées par des Fonds de pensions sur les places financières internationales. Les retraites américaines peuvent ainsi bénéficier de l’exploitation des travailleurs asiatiques. Ainsi par le biais de la capitalisation on distille des mécanismes d’adhésion aux valeurs du capital et on brise les bases d’une solidarité internationale.

Pour sortir de ce piège, l’internationalisme des travailleurs doit-il coller au mouvement d’internationalisation pour l’accompagner ? Le risque d’une dérive mondialiste -participer au phénomène, l’accompagner, le croire accompli et accepter ses normes et ses « contraintes »- le guetterait alors à coup sûr. Ainsi l’internationalisme peut n’être qu’un alibi s’il est invoqué pour s’engager dans des constructions super-étatiques à souveraineté et à démocratie limitées.

Le maintien de l’État-nation devient une exigence dans la stratégie de défense des salariés pour lesquels l’Etat se doit d’apporter protection et assistance aux individus menacés par les effets de la mondialisation. Cette position s’appuie sur le fait que le capital mondialisé s’inscrit de moins en moins dans une échelle nationale dont il essaie de repousser les entraves qu’elle constitue pour lui.

L’internationalisme d’aujourd’hui doit affronter les enjeux de son époque, encore fortement marquée par le siècle écoulé et doit se préparer à faire face dans ses analyses comme dans ses modes d’organisation à ceux de demain. A ces conditions, l’internationalisme ne sera pas battu en brèche par la mondialisation. L’internationalisme du 21° siècle doit intégrer des dimensions nouvelles qui vont bien au-delà du « prolétaires de tous les pays unissez-vous » et qui résultent des enjeux nouveaux induits par la mondialisation (sécurité, environnement, mouvements de capitaux, montée de l’économie mafieuse, etc..) dont les réponses dépassent le cadre unique des États-Nations et supposent des coordinations -souveraines de préférence. Il faut reconquérir de façon solidaire la perte de la maîtrise du développement.