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Les relations Euro-atlantiques en question

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La guerre d’Irak a incontestablement représenté un pic dans la dégradation des relations euro-atlantiques. C’est difficile, après un tel événement, de parler encore de turbulences passagères, de simples malentendus. Si l’épisode fut révélateur, il ne fut pas non plus un coup de tonnerre dans un ciel serein. En effet, bien que revêtant un caractère moins aigu, les rivalités s’exacerbent dans nombres de domaines, économique, politique, culturel, environnemental, et bien entendu sécuritaire. Le front des tensions est très large. Il ne peut se réduire à un simple rapport binaire, car il affecte dans une large mesure le système international. On le mesure dans les débats au sein d’enceintes internationales, comme les Nations Unies, l’OMC, l’UNESCO, la Cour pénale internationale. C’est pourquoi le relationnel est suivi avec beaucoup d’attention de par le monde, avec la conscience qu’il ne s’agit pas de querelles subalternes. De fait les relations transatlantiques sont entrées dans une crise, profonde, durable. Certes, au regard de la période irakienne l’acuité des tensions s’est atténuée. Des efforts sont entrepris de part et d’autre pour tenter de calmer le jeu, d’apaiser, de réconcilier. Toutefois un examen sérieux montre que ça ne peut conduire à un cours récursif. Il s’agit plus de trêves de circonstance que de rétablissements de visions communes. Les tendances lourdes marquant la crise demeurent bien présentes.

Des tendances lourdes à la dégradation

Comment expliquer cette dégradation des relations euro-atlantiques ? Tout d’abord il convient d’écarter une idée, encore très répandue, selon laquelle, le partenariat transatlantique serait naturel, défiant le temps, car fondé depuis toujours sur des valeurs communément partagées. Or l’histoire s’inscrit en faux, le partenariat n’a pas toujours existé et son apparition est datée. Il a été noué dans une période bien précise, dans des conditions particulières, celles du lendemain de la seconde guerre mondiale et du rapport de force d’alors. C’est pour des raisons économiques, politiques, stratégiques existantes à l’époque qu’un tel lien étroit s’est créé. Au plan stratégique c’est la vision partagée de l’URSS comme menace pour le monde occidental qui a conduit les pays ouest-européens à se ranger derrière les États-Unis et à accepter leur leadership. La création de l’OTAN en fut l’illustration. En vérité le partenariat fut plus conjoncturel que réel, au sens profond du terme, car les valeurs étaient plus ou moins reléguées au second plan. Durant la période de guerre froide l’Alliance a plutôt bien tenu, en dépit de quelques désaccords épisodiques, tel la décision de De Gaulle de retirer la France des forces militaires intégrées de l’OTAN.

Mais à la charnière des années 80-90 interviennent les bouleversements géopolitiques que l’on sait. L’incidence sur le partenariat est très importante, car avec la disparition de l’Union Soviétique et les transformations politiques au sein de son pourtour immédiat, disparaît du même coup la menace qui dès le début avait soudé l’alliance euro-atlantique. Sur le nouveau échiquier mondial, les pièces bougent, les centres de gravité se déplacent. Ainsi l’Europe qui fut plusieurs décennies le théâtre de la confrontation est-ouest, retrouve une certaine unité géographique et politique, via de nouvelles perspectives économiques, politiques, culturelles, stratégiques, comme prémisses par la même d’ambitions d’autonomie vis-à-vis du partenaire outre atlantique. La dégradation s’amorce dès cette période car les regards tant américains, qu’européens évoluent.

Un centre de gravité déplacé

Pour les stratèges américains l’Europe n’est plus, comme telle, l’enjeu prioritaire. Ce qui ne sous-tend nullement un désintérêt vis-à-vis du continent sur lequel par le biais de l’OTAN ils continuent d’exercer un certain leadership. Mais leur centre de gravité stratégique s’est déplacé vers le Grand Moyen-Orient et l’Asie. Pour les États-Unis l’Europe est réinsérée dans une nouvelle problématique. L’OTAN n’est plus perçue par eux comme une alliance militaire défensive, mais comme un moyen de contrôle militaire et politique des pays membres, afin d’encadrer toute volonté d’autonomie. La forte « otanisation » de la construction européenne actuelle le permet. Comme a pu l’écrire assez cyniquement le stratège américain Zbiniew Brzezinski « Les Européens sont aujourd’hui un protectorat militairedes États-Unis ». Dans la vision américaine l’Europe est conçue comme une tête de pont, vers d’autres régions du monde, vers l’ex-zone d’influence soviétique, vers le Proche-Orient. Dans le même esprit l’OTAN tend de plus en plus à se transformer en réservoir de forces pour des coalitions à la carte décidées unilatéralement par les États-Unis.

Cette nouvelle approche américaine du « partenariat » n’est pas sans susciter questionnements et réserves de la part des Européens. Pour ceux de l’ouest, l’alliance qui avait été nouée en 1949, sur une base bien précise, la menace soviétique a perdu sa raison d’être historique. Ce qui fondait l’acceptation sans grandes réserves du leadership américain a aussi disparu. Toutefois le fait que de nombreux pays européens entretiennent des rapports bilatéraux directs avec les États-Unis peut conduire à nuancer quelque peu ce constat. Une disparité d’attitude en résulte, d’autant plus qu’elle est renforcée par l’entrée dans l’Union européenne et dans l’OTAN de pays marqués par une situation spécifique lors de la guerre froide. Ces derniers sont défiants vis-à-vis de la Russie, captés par la vision occidentale, et sont par ailleurs l’objet de pressions économiques et politiques importantes de la part des États-Unis.

Les opininions publiques

S’il convient de penser cette complexité relationnelle au niveau des gouvernements, on modulera quelque peu son impact en se souvenant de l’irruption des opinions publiques, qui elles furent unanimes, parfois en contradiction avec leurs gouvernements pour condamner la guerre en Irak. Et cette intervention inédite par sa cohésion et son ampleur reste latente sous d’autres formes. Des sondages réalisés révèlent le souhait grandissant des Européens de voir le continent prendre ses distances à l’égard d’une politique américaine jugée aventureuse et dangereuse. Ainsi, qu’elles que soient les hésitations au niveau des États, il semble difficile, sinon impossible d’envisager de poursuivre, dans les mêmes formes, un partenariat datant d’une autre époque. Au plan sécuritaire les divergences surgissent, sur les moyens de lutter contre les menaces terroristes, sur le contrôle des crises, sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’Iran, vis-à-vis de la Russie, vis-à-vis de nouvelles puissances que sont l’Inde et la Chine. En découle par la-même le refus de se laisser entraîner dans un unilatéralisme conduit par les seuls intérêt des États-Unis. D’autant que comme l’a rappelé à plusieurs reprises George Bush, les États-Unis ne sont pas une puissance de statu-quo. Son dernier discours sur l’état de l’Union, le 31 janvier 2006, est révélateur à cet égard. Il y déclare notamment :« l’Amérique doit conduire le monde. C’est un impératif de sécurité ». L’alternative au leadership américain , c’est un monde plus dangereux et anxieux »…« Les États-Unis doivent accepter l’appel de l’histoire ». C’est dans la droite ligne de la « destinée manifeste ». Ce type d’appel de l’histoire, avec l’expérience, trouve quelque peine à se frayer un chemin idéologique au delà des frontières états-uniennes.

Le rapprochement atlantiste de l’Allemagne

La dégradation des relations euro-atlantiques n’étant pas nécessairement linéaire il n’est pas toujours facile d’appréhender en temps réel l’évolution. On peut être interpellé par des événements, des attitudes, qu’on pourrait penser s’inscrire à contrario. Ainsi, notamment en Allemagne, où Gerhard Schroeder qui avait manifesté son désaccord avec la guerre en Irak a laissé son poste à Angela Merkel, laquelle tend dans la dernière période à multiplier les signes de rapprochement avec Washington. L’infléchissement est notable, il peut être durable et fissurer quelque peu le duo franco-allemand constitué lors de la crise irakienne. On notera toutefois que renouer ouvertement avec le traditionnel atlantisme allemand d’antan, si telle est l’intention, n’est pas aisé. Les marges de man ?uvre d’Angela Merkel et de la CDU sont assez réduites. D’une part le pays est gouverné par une coalition avec le SPD qui détient avec Frank Walter Steinmer le poste de ministre des affaires étrangères. Mais on notera surtout que le tournant émancipateur de l’Allemagne vis-à-vis des États-Unis a été et reste largement soutenu par l’opinion allemande. Répondre à ce choix de l’opinion allemande partagé par ceux des autres pays européens ne peut se réduire à critiquer ou à contrer la politique menée par les États-Unis. Une alternative est à promouvoir. L’Europe doit définir sa propre place dans le monde contemporain. C’est un impératif majeur à prendre en compte dans la relance de la construction européenne à l’ordre du jour aujourd’hui.