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Par Pierre Guerlain, directeur de la revue Recherches internationales, Professeur de civilisation américaine à l’université de Paris Ouest, Nanterre

Les chroniques de recherches internationales, août 2017.

Le cirque permanent qu’est la présidence Trump est un spectacle qui occupe et enrichit les médias dominants mais obscurcit les enjeux fondamentaux de cette présidence. Il est clair que Trump ne connaît pas grand chose aux phénomènes politiques et économiques, qu’il n’a pas l’envergure intellectuelle pour comprendre l’assurance santé ou les relations internationales et qu’il semble changer d’avis et de politique au gré des influences diverses qui s’exercent sur lui. Homme égocentrique, caractériel et impulsif, il accumule les gaffes, les contradictions et les renvois des responsables qu’il a nommés. Son tout nouveau chef de cabinet, John Kelly, a commencé par virer son directeur de la communication, Scaramucci, nommé dix jours plus tôt et qui avait lui obtenu la démission de deux proches.

Néanmoins, dans le chaos perpétuel on peut distinguer les zones dans lesquelles Trump peut donner libre cours à ses préférences réactionnaires, ses préjugés et son envie d’apparaître comme le chef incontesté et les autres, finalement plus nombreuses ou importantes, dans lesquelles il est ligoté par ce que les Américains appellent l’Etat de sécurité nationale ou le complexe militaro-industriel et médiatique ou encore l’Etat profond.

Lorsque Trump décide de faire l’annonce que les États-Unis vont se retirer de l’accord de Paris (COP 21) sur le réchauffement climatique, il est critiqué par les Démocrates dans leur ensemble et des villes ou Etats fédérés prennent des initiatives pour lutter contre ce réchauffement. Les Républicains au Congrès approuvent et le choix d’une politique catastrophique pour la planète permet un rapprochement entre Trump et les frères Koch, les milliardaires ennemis de toute réglementation environnementale.

Lorsque Trump bombarde le régime syrien, sans stratégie finale sur le plan diplomatique, la quasi-totalité de la classe politique l’applaudit et le trouve présidentiel. Ses déclarations incendiaires sur la Corée du Nord, un Etat au régime abominable mais que l’on pourrait engager par des ouvertures diplomatiques, rendent la possibilité d’une nouvelle guerre de Corée plus plausible. La classe politique applaudit.

Sur l’Iran, Trump est, depuis le début, car sur ce point il n’a pas varié entre la campagne et son exercice du pouvoir, aligné sur les néoconservateurs, Israël et Hillary Clinton. L’élite du pouvoir comme disait déjà C. Wright Mills dans les années 50 a une position commune sur l’Iran qui est désigné, contre toute évidence, comme le principal responsable du terrorisme au Moyen-Orient. Obama avait obtenu l’un de ses plus grands succès en parvenant, avec ses 5 partenaires qui incluaient la France, la Russie, l’Allemagne et la Chine, à un accord sur le nucléaire iranien. Trump a tout fait pour « déchirer » cet accord, terme qu’il avait lui-même utilisé durant la campagne.

Sur la Russie, il est clair que Trump ne peut plus rien décider lui-même. Les sanctions votées par le Congrès américain montrent que le président n’a aucune marge de manœuvre, il est devenu une potiche.

Trump disait vouloir améliorer les relations avec la Russie, comme Obama en son temps lorsqu’il avait parlé d’un redémarrage, mais il a aussi fait des déclarations outrancières d’admiration pour Poutine en homme fort, de demande d’intervention russe pour dévoiler les emails de sa rivale démocrate et il s’est souvent tiré une balle dans le pied dans l’affaire de l’enquête sur l’ingérence supposée de la Russie dans le processus électoral américain. Il ne peut donc pas améliorer les relations avec la Russie, une idée qui n’est pas choquante en elle-même puisqu’elle renvoie aux périodes dites de détente autrefois entre URSS et États-Unis. Au contraire, Trump doit accepter la stratégie de la tension et de l’escalade voulue par le complexe militaro-industriel et les médias dominants qui sont eux-mêmes la propriété de grands groupes industriels. Sa parole est totalement dévalorisée en ce qui concerne la Russie. Ce qu’il dit n’a aucun effet sur la politique américaine et donc aucun impact sur les dirigeants russes qui savent à quel point il est isolé et sans pouvoir réel. Il a rencontré le président russe Poutine lors du sommet du G20 à Hambourg en Allemagne (juillet 2017) et les médias dominants ont longuement disserté sur la longueur de leur entretien principal, sur le fait qu’il y avait eu un autre court entretien en continuant à insister sur la possible collusion entre Trump et Poutine. Lors de son voyage retour Trump a mis au point un discours pour son fils, soupçonné de collusion avec des agents russes dans l’avion officiel du président des États-Unis, Air Force One. Sa conversation, privée dans un lieu qui doit être protégé, s’est retrouvée dans les médias et a tout de suite constitué un élément à charge dans l’enquête sur une éventuelle collusion avec la Russie. Les services secrets espionnent le président dans son avion officiel et font fuiter l’information obtenue dans les journaux et pratiquement personne ne trouve qu’il y a un problème dans ce mode de fonctionnement.

Trump et Poutine avaient décidé de mettre sur pied une commission sur l’espionnage numérique, projet vite écarté par ceux qui ont le pouvoir aux États-Unis. Le discours tenu à Varsovie, sous les applaudissements des ultra-réactionnaires au pouvoir en Pologne, n’a pas suscité de nombreux commentaires et pourtant Trump y tenait des propos xénophobes, réactionnaires et anti-russes. Rien qui puisse gêner le complexe militaro-industriel qui, par ailleurs s’est réjoui des achats d’armes sophistiquées par Varsovie. Trump en représentant de commerce pour le secteur de la défense américain ne fait pas peur. Son public polonais qui l’a ovationné ne croit pas du tout à la collusion avec la Russie, il apprécie le discours réactionnaire et nationaliste du président américain qui ressemble à celui des dirigeants polonais.

L’hostilité envers un personnage aussi problématique que Trump est fort compréhensible mais elle ne se manifeste que dans certains cas ou pour certaines outrances. Il n’est pas très sain pour une démocratie que les services secrets, alliés aux médias qui recueillent leurs fuites, décident à la place des élus, même si ces élus sont très incompétents ou problématiques.

Les États-Unis sont donc dans une situation relativement inédite où la pétaudière de la Maison Blanche est connue de tous, où le président est en butte avec ses services secrets dont il dépend pourtant pour mettre au point les opérations militaires. Il est également en conflit avec presque tous les médias ; ses conseillers et le parti républicain ne le soutiennent que sur certains plans. Sa représentante à l’ONU, Nikky Haley, dit des choses fort différentes de ce qu’il affirme et défend la ligne anti-russe, très anti-iranienne et pro-israélienne des néoconservateurs. Son ministre des affaires étrangères dit aussi des choses diamétralement opposées aux siennes. Ainsi, sur la crise entre l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe, d’une part, et le Qatar, d’autre part, Trump, qui ne semblait pas savoir que les États-Unis avaient une gigantesque base militaire au Qatar, a pris le point de vue saoudien et mis de l’huile sur le feu tandis que Tillerson jouait l’apaisement.

Sur la Chine, les déclarations hostiles ont été suivies par des protestations d’amitié puis des mises en garde si la Chine ne réglait pas le problème de la Corée du Nord. On voit là une habitude d’un magnat de l’immobilier qui donne des ordres (« allez réglez moi ça ») sans faire quoi que ce soit lui-même. L’incompétence crasse de Trump en relations internationales ne semble être un problème qu’avec la Russie. Même avec la Chine, il y a un semblant de dialogue rationnel. Donc pas de sanctions lourdes ou de guerre froide avec ce pays qui pourtant est le vrai rival des États-Unis pour l’hégémonie mondiale et sur le plan économique. La focalisation sur l’Iran et la Russie et le choix de vendre des armes à l’Arabie saoudite, dont on n’exige pas la démocratie ou le respect des droits humains, ou à la Pologne, qui elle aussi s’éloigne de l’Etat de droit, ne sont pas le résultat du chaos organisé par un Trump bouffon irascible.

Nous retrouvons là les grandes lignes de la politique étrangère de l’administration de George W. Bush éminemment influencée par les néoconservateurs. Cette ligne aboutit à renforcer le pouvoir des durs, les mollahs, en Iran, elle attise la défiance du dictateur nord-coréen qui joue avec ses missiles pour assurer sa défense et elle rend Poutine plus populaire en Russie, tout en précipitant son pays dans les bras de la Chine.

On pourrait penser que tout cela est bien irrationnel et ne conduira pas à des victoires diplomatiques. Cependant le secteur de la défense adore la guerre permanente qui assure les profits des fabricants d’armes et les bouffonneries d’un Kim Jung Un légitiment les escalades verbales voire militaires. La détente était autrefois attaquée par les plus réactionnaires, elle est aujourd’hui interdite par les deux partis dominants et tous les secteurs de l’élite du pouvoir.

Le président brouillon et braillard a délégué la prise de décision à divers individus ou groupes et ne conçoit son rôle que dans une optique de relations publiques (pouvoir dire « c’est moi qui gagne »). Son administration est truffée de néoconservateurs recommandés par divers acteurs dont Mitt Romney. Ceux-ci avaient pourtant, en général, pris parti pour Hillary Clinton durant la campagne. Trump est entouré de ceux dont il s’était moqué durant la campagne car n’ayant pas de réseau à Washington et étant extérieur au milieu de la politique, il a dû nommer des gens qui lui ont été recommandés par les caciques du parti républicain qui pourtant lui sont hostiles.

L’hostilité des conservateurs traditionnels ne provient pas des multiples attaques contre les services sociaux ou les déclarations racistes, sexistes, xénophobes ou les diverses abjections de Trump mais de son côté imprévisible et de ses déclarations à l’emporte pièce sur l’Otan, qu’il jugeait obsolète, ou la Russie avec qui il disait voulait avoir de bonnes relations. Lorsque Trump semble s’éloigner des lignes du complexe militaro-médiatico-industriel, il inquiète mais lorsqu’il rentre dans le rang, on le loue. Evidemment même ses déclarations critiques de l’Otan ou de l’Arabie saoudite ou apparemment pro-Poutine n’étaient pensées, elles ne faisaient pas partie d’une idéologie ou d’une politique mûrement réfléchie mais, comme tout le reste, faisaient partie du numéro de bateleur aiguisé par des années de télé-réalité.

Ce qui est notable dans le grand retour des néoconservateurs est qu’aujourd’hui ceux-ci incluent un grand nombre de démocrates, les fameux interventionnistes libéraux qui avaient poussé Obama à intervenir en Libye en 2011. Obama avait en son temps été critiqué pour sa mollesse vis à vis de la Russie, notamment par Romney, et aussi pour son refus de l’escalade au Moyen Orient, en Syrie et contre l’Iran. Il avait su obtenir un accord sur le nucléaire iranien au grand dam des néoconservateurs et des Israéliens. Trump ne cesse de vouloir se distinguer d’Obama mais il subit les mêmes pressions que lui de la part des mêmes néoconservateurs aujourd’hui alliés des démocrates qui font de la Russie l’ennemi principal des États-Unis et de l’Arabie saoudite et d’Israël leurs principaux alliés.

Les néoconservateurs que l’on pensait discrédités après la catastrophe de l’intervention militaire en Irak en 2003 sont donc revenus sur la scène, pas sur le devant de la scène mais dans les coulisses. Aujourd’hui ils font alliance avec les Démocrates militaristes, ceux qui étaient regroupés derrière Hillary Clinton et tiennent l’appareil du parti. Cette alliance a ses relais dans les médias et bénéficie de l’incompétence et du narcissisme de Trump qui s’en remet à d’autres pour appliquer des politiques qu’il ne peut formuler lui-même et qui est englué dans l’affaire du Russiagate puissamment orchestrée par les services secrets et les médias dominants. Cette alliance a pris la forme d’une association appelée Alliance for Securing Democracy, un titre préoccupant lorsque l’on sait que les interventions militaires américaines sont toujours vendues au nom de la promotion de la démocratie.

Trump est donc bien cette figure abjecte décrite par les médias dominants mais il ne faut pas prendre l’arbre pour la forêt. Ceux qui affirment le détester en politique étrangère et le font passer pour un agent russe, sont essentiellement les néoconservateurs qui se vantaient au début des années 2000 en disant que « les vrais hommes vont à Téhéran ». La capitale iranienne est toujours dans leur viseur et les faucons démocrates prennent le risque de relancer une guerre froide avec la Russie qui pourrait déraper, tout comme avec la Corée du Nord.

Les sanctions américaines contre l’Iran, la Russie et la Corée du Nord vont toucher des entreprises européennes, surtout allemandes. Ces sanctions justifiées par des raisons pseudo-éthiques, respect du droit international et des droits humains, sont une façon de faire la guerre commerciale à l’Europe, de marginaliser et affaiblir la Russie en prenant le risque d’un conflit qui dégénère. Le Congrès américain ne modère donc pas le clown cruel Trump mais le coince dans un tunnel et l’encourage à prendre les pires décisions. L’opposition aux néoconservateurs militaristes était plus forte du temps de George W. Bush car le ralliement de ces néoconservateurs à Clinton leur a assuré une hégémonie gramscienne sur le débat public en politique étrangère. Seuls la gauche radicale, certains paléo-conservateurs ou les libertariens autour de Rand Paul dénoncent à la fois Trump et les néoconservateurs qui font mine de s’opposer à lui en le mettant au pas.

Au-delà donc du cirque médiatique quotidien que le bouffon qui se prend pour le roi anime, par Twitter et télé interposés, les forces qui composent l’Etat profond, celui du « parti de la guerre » sont donc alignées : services secrets, complexe militaro-industriel, médias dominants pris dans la nouvelle hégémonie néoconservatrice. Certes, ils ne sont pas d’accord sur la personnalité de Trump et certains aimeraient bien le voir destitué pour être remplacé par un néoconservateur guerrier mais plus lisse et prévisible, Mike Pence, mais pour le moment sur tout ce qui compte Trump est bien ligoté et espionné par ses services secrets. Il suffit de lui faire croire que c’est lui qui décide et qu’il gagne pour qu’il fasse le boulot, c’est à dire satisfaire les vrais détenteurs du pouvoir. Sur la Russie il se fait parfois tirer l’oreille mais, au bout du compte, il dit ou fait dire ce qu’il faut, vend les armes aux bons alliés, fait grimper la bourse et fait peur au monde entier qui craint la superpuissance américaine. Le président vaniteux et irascible est finalement très docile, les États-Unis s’enfoncent dans la militarisation à outrance et tant pis si cela éviscère la société américaine et favorise l’hégémonie chinoise à moyen terme. A court terme, (le seul qui compte pour la capitalisme qui détruit la planète), le chaos rapporte gros.

 

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.