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La Sécurité européenne en question

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Evoquer les défis de sécurité pour le XXIè siècle, n’invite pas, principalement, telle soeur Anne dans le conte, à scruter l’horizon pour voir venir, mais bien à cerner la réalité complexe présente. En effet, depuis une décennie pour le moins, nous sommes déjà entrés comme par effraction dans le siècle nouveau. Les incroyables bouleversements géo-stratégiques intervenus ces dernières années ont livré un paysage totalement inédit pour lequel à l’évidence, il n’existe pas de « prêt à penser » déjà mûris antérieurement. Cette situation nouvelle appelle une élaboration audacieuse de concepts inédits ouvrant la voie à des pistes d’interventions possibles. C’est d’autant plus nécessaire que si la guerre froide semble à des années lumière derrière nous, on constate tragiquement que les modes de pensée antérieures perdurent. Ils perdurent d’autant plus qu’ils fournissent le socle de relations internationales basées sur les rapports de force et les dominations. Les conflits dans les Balkans, au Caucase, au Proche Orient, au Zaïre… pour ne citer que ceux-là, intéressant directement ou par proximité le continent européen, en sont une douloureuse démonstration. Ne convient-il pas de repenser la cohérence du continent européen divisé durant cinquante années en deux blocs antagoniques, doté alors d’une sécurité toute relative où la dimension militaire omniprésente tendait à recouvrir tous ses aspects ?

Le Sommet d’Istambul

Comment apprécier à ce sujet, le récent sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui s’est tenu à Istanbul du 18 au 20 novembre 1999 ? Les appréciations portées par les commentateurs sont très mitigées. L’actualité de l’intervention militaire russe en Tchétchénie a marqué fort naturellement ce sommet, mais il convient toutefois sans mésestimer en aucune mesure la gravité de l’événement, de ne pas réduire la portée de cette rencontre à la crise du Caucase. Pourquoi ? En premier lieu, réunir les représentants, au plus haut niveau, de 54 Etats, couvrant un espace géographique de Vancouver à Vladivostock, sur un ordre du jour portant sur la sécurité du continent européen, n’est pas chose courante. D’autant que la tenue même d’un tel sommet n’était pas souhaitée par tous, en particulier par les États-Unis, lesquels ont ?uvré à dresser sur le chemin de multiples obstacles et même obtenu par leurs pressions un report d’un an, afin de situer le sommet après celui de l’OTAN à Washington. Il reste qu’il s’est enfin tenu et que Clinton lui-même a été amené à y participer.

En second lieu, outre la déclaration finale deux documents ont été adoptés unanimement : une Charte pour la sécurité et la prévention des conflits, un Traité limitant les forces conventionnelles en Europe. L’adoption de tels documents, en particulier, de la Charte, n’était pas non plus acquise d’avance. Certes, à leur lecture, on trouvera motifs à insatisfaction car ce sont inévitablement des compromis qui reflètent la réalité du rapport de force aujourd’hui. Mais, ces documents existent, des « règles du jeu » parfois ambiguës mais intéressantes y ont été définies et ces textes peuvent être naturellement enrichis au fil des ans. Ces points me semblent d’autant plus importants à souligner que les appréciations négatives ont tendance à fleurir, tant au regard du sommet lui-même, que sur l’OSCE en général. Pour beaucoup le sommet n’aurait engrangé aucun résultat décisif, les textes adoptés seraient d’une portée très réduite ou pour d’autres comme Pierre Haski dans Libération « Nul ne peut se satisfaire d’une OSCE, croupion et impuissante »ou bien encore comme Pierre Lelouche qui évoque dansLe Monde une pantalonnade.

L’OTAN garante de la sécurité européenne ?

Chausser des lunettes noires pour apprécier le sommet d’Istanbul n’est pas neutre et conduit tout naturellement à chercher ailleurs, l’organisation susceptible d’assurer la sécurité européenne. Et bien sûr, diront certains, il n’y a pas besoin de chercher bien loin, il y a l’OTAN, omniprésente dans l’actualité et qui elle a fait ses preuves. Avec le nouveau concept stratégique, adopté en avril, lors de son sommet de Washington, l’OTAN tend en effet à s’imposer comme le c ?ur du dispositif de sécurité en Europe. Pour se faire, elle se prétend organisation paneuropéenne. Pourtant, loin d’unifier, elle perdure au contraire la division du continent. Son armature très sélective instaure des classements de pays en cercles concentriques. L’acte fondateur signé avec la Russie s’est voulu tout au plus un anesthésiant, vis à vis des volontés américaines d’expansion à l’Est. Organisation militaire par excellence, l’OTAN se veut sous leadership américain l’instrument d’une « sécurité » de type impérial invitant ses membres à agir en ordre serré dans un dispositif unitaire comme ce fut le cas au Kosovo. Le lien concept stratégique et intervention au Kosovo est évident. Ce qu’a « joué » l’OTAN dans cette intervention c’est moins le dénouement de la crise que la volonté de démontrer que l’Alliance Atlantique est le moteur principal de toute intervention sécuritaire en Europe. Cette intervention n’a réglé ni la sécurité de la région, ni celle du continent.

Axée sur l’ordre militaire, porteuse des intérêts des Etats-Unis de manière quasi-exclusive, extérieure aux dimensions non-militaires qui fondent la prévention des conflits, l’OTAN est totalement inadéquate pour assurer la sécurité du continent européen

Une alternative européenne ?

Alors une question se pose, une défense européenne intégrée des membres de l’Union européenne, comme le prévoient les Traités de Maastrich et d’Amsterdam est-elle susceptible d’offrir une alternative ?

La question est de brûlante actualité. Les Sommets franco-britannique des 24 et 25 novembre, franco-allemand des 2 et 3 décembre, le Conseil européen d’Helsinki ( 10 et 11 décembre) témoignent de la volonté de « pousser les feux » d’une défense européenne. Récemment à Strasbourg, Jacques Chirac a déclaré qu’il en ferait une priorité pour la présidence française de l’Union Européenne et de l’Union de l’Europe Occidentale (U.E.O.) dans le deuxième semestre 2000. Quel est le profil de la défense commune projetée ? Les ministres concernés des Quinze en ont défini trois axes d’orientation essentiels :

  • le renforcement du rôle du Haut représentant pour la politique extérieure et la sécurité commune (Mr PESC, Javier Solana, ex-secrétaire général de l’OTAN, qui cumule aujourd’hui ce titre avec celui de secrétaire général du Conseil européen et celui de secrétaire général de l’UEO dans le processus de fusion avec l’Union Européenne).
  • la définition des contours institutionnels de la politique de défense, à savoir, poursuivre en ce domaine ce qui a été déjà amorcé en matière d’intégration économique, monétaire et politique.
  • la définition de capacités militaires européennes avec notamment la mise sur pied d’un corps d’armée (50 000 hommes) pouvant intervenir hors des frontières des pays de l’Union. Ce qui appellerait naturellement d’une part en convergence un effort sensible de chaque pays sur le plan budgétaire et d’autre part l’accélération du processus tendant à une industrie de l’armement.

Comme on peut en juger l’ambition n’est pas négligeable.

Mais comme on peut s’en douter le relationnel de cette défense européenne avec l’OTAN est non seulement incontournable, mais aussi source de contradictions au sein des Quinze et bien sûr avec les États-Unis. Les pays neutres ( Irlande, Autriche, Finlande, Suède) tout en pensant nécessaire des actions en cas de crises sont très attentifs à toutes évolutions qui tendraient à les engager au-delà, en particulier par le biais de l’U.E.O. dans des interventions par trop militaires sous l’autorité de l’OTAN. D’autres pays qualifiés souvent comme pro-atlantiques, craignent eux, un certain découplage avec l’Alliance Atlantique et une duplication des moyens militaires mis en ?uvre. Les États-Unis multiplient les « mises en garde » dans ce sens.

La défense européenne, pilier de l’OTAN ? Partenaire ou auxiliaire de celle des États-Unis ? Supplétive en autonomie réelle ou en autonomie partielle ? Telles sont les questions posées à propos de ce relationnel. Si le forcing est engagé pour doter l’Union Européenne d’une défense commune, cette évolution ne peut occulter les contradictions que l’on vient de citer.

Dépassant une conception purement militaire de la sécurité les ambitions de l’Union Européenne peuvent être de toute autre nature que de s’inscrire en second des Etat-Unis dans la marche du monde. Dans une dimension globale de la sécurité elle peut notamment s’imposer comme acteur à part entière au Proche Orient, pour contribuer à établir une paix juste et durable désormais possible, relancer les négociations de Lomé sur de nouvelles bases intégrant les préoccupations de ses 71 partenaires du Sud, faire entendre sa voix dans les institutions financières internationales en faveur de l’annulation de la dette des pays bloqués dans leur développement, lancer une véritable croisade en faveur du désarmement, en particulier nucléaire. En bref un véritable dessein européen appelle l’Europe à manifester son originalité, valoriser les atouts exceptionnels dont elle dispose. Dans cet esprit l’Union Européenne pourrait ?uvrer efficacement à une vision politico-préventive de la sécurité européenne, et jouer un rôle important en faveur d’une ère de paix en expansion. Pour cela l’Union européenne ne devrait-elle pas ambitionner d’être un moteur essentiel dans la refondation d’une organisation paneuropéenne comme l’OSCE. Cette dernière s’est fixé des objectifs à Istanbul, mais elle a besoin de recrédibiliser les atouts spécifiques dont elle dispose. Mais convient-il pour cela qu’elle dispose d’une reconnaissance effective, à part entière du statut d’organisation régionale de l’ONU et bien entendu aussi des moyens lui permettant d’exercer ses compétences. La France ferait grandir son rôle en Europe et dans le monde en s’inscrivant en ce sens.

Mais si cette perspective relève de la volonté des états, elle relève aussi et surtout de l’entrée en scène de la société civile. L’intervention citoyenne n’est-elle pas en dernier ressort le logiciel de toute évolution ?