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Par Serge Buj
(mardi 9 décembre 2015)

Le 20 décembre prochain se tiendront en Espagne les élections législatives (voir les résultats dans le graphique ci-dessous) qui permettront de former la majorité parlementaire qui, à son tour, désignera le nouvel exécutif. En 2011, les conservateurs du Parti populaire de Mariano Rajoy avaient remporté une victoire éclatante en obtenant la majorité absolue après sept années de gouvernement socialiste.

Dans un contexte de crise profonde et de cure brutale d’austérité, après l’émergence de mouvements sociaux remarquables par leur caractère massif et nouveau à la suite des épisodes du 15-M (mai 2011), dans un contexte de confrontation sur la question nationale avec la poussée indépendantiste en Catalogne, les deux forces dominantes, à droite le PP du premier ministre sortant, et, à gauche, le PSOE voient leur influence s’effriter tandis que s’affirment des forces nouvelles dans l’arc politique espagnol : Podemos et Ciudadanos (Citoyens).

 

Quelques rappels

Avant d’aborder la question de ces prochaines élections qui sont, il faut le rappeler, les douzièmes depuis la mort de Franco il y a un peu plus de quarante ans, je voudrais apporter quelques éléments à caractère historique.

En premier lieu, il faut se souvenir que le passé constitutionnel de l’Espagne est riche. Ce qui signifie qu’on peut ranger ce pays parmi les vieilles démocraties européennes, contrairement à l’Allemagne ou l’Autriche, par exemple. Il est cependant aussi nécessaire de ne pas perdre de vue le fait que disposer d’un riche passé constitutionnel n’a nullement prémuni contre toute dictature ou État autoritaire.

La première constitution espagnole date de 1812, elle a été adoptée en pleine guerre contre l’occupant français. Elle est l’oeuvre d’un certain nombre de penseurs des lumières largement inconnus chez nous, je n’en citerai qu’un : Gaspar de Jovellanos. Elle eut une influence considérable sur les pays de l’Amérique hispanique qui, au cours des années 1820, proclamèrent tour à tour leur indépendance en s’inspirant de ce modèle constitutionnel, paradoxalement né contre les occupants napoléoniens mais très imprégné de culture française révolutionnaire.

En second lieu, les premières élections démocratiques après la dictature (autrement dit fondées sur deux volets : le suffrage universel et l’exercice garanti des libertés fondamentales) ont eu lieu en juin 1977, en application de la Loi pour la Réforme Politique (Ley 1/1977, de 4 de enero, para la Reforma Política) approuvée en novembre 1976 par le parlement franquiste et soumise à référendum le 15 décembre suivant (taux de participation : 77 %, votes exprimés favorables : 94,17 %).

La première législature élue en juin 1977 eut un rôle essentiel ; celui d’assemblée constituante chargée de rédiger et voter un texte constitutionnel. Après dix-huit mois de travail en commissions et en assemblée plénière le parlement adopta la constitution actuelle en décembre 1978.

La Constitution comme la loi électorale n’ont pratiquement pas changé depuis lors, les seuls changements consistant à se conformer aux traités internationaux et, en particulier, à l’adhésion de l’Espagne à l’Union Européenne. Cette permanence des textes est vue comme un gage de stabilité par les uns ou, au contraire, un signe d’enkystement par d’autres, nous verrons plus loin pourquoi.

Je n’insisterai pas sur le cadre institutionnel que fixe cette constitution. La forme de l’Etat est celle d’une Monarchie parlementaire, le modèle est un hybride entre le modèle fédéral et un modèle unitaire fortement décentralisé. Si des questions se posent à ce propos nous pourrons y revenir.

Le système parlementaire

Le système espagnol est bicaméral. Ceci signifie que le 20 décembre prochain les espagnols éliront pour quatre ans, le même jour, 350 députés (Congrès) et 206 sénateurs auxquels il faut en ajouter 55 désignés par les régions selon leur poids démographique respectif (Sénat). Cet ensemble de deux chambres constitue les Cortes Generales (http://www.cortesgenerales.es/).

La loi électorale est inspirée en partie du système électoral allemand, en partie seulement. Le vote, pour tous les députés et pour les sénateurs élus, se fait à la proportionnelle sur liste par circonscriptions électorales départementales (ce que les espagnols appelles les provincias).
L’Espagne en compte cinquante au total, plus Ceuta et Melilla, possessions situées dans le nord marocain.

Le chiffre de 350 est inchangé depuis longtemps. Ce qui varie selon l’évolution de la population, c’est la répartition d’une partie d’entre eux : chaque province dispose au minimum de deux députés, un seul pour Ceuta et Melilla. Les autres sièges sont distribués proportionnellement à la population de la province. Par exemple on en compte 36 pour la province de Madrid (6M 377 000 h.), 31 pour celle de Barcelone (5M 427000 h.), 4 pour Álava (320 000 h.), 2 pour Soria (92 000 h.). Ces quatre chiffres indiquent une première distorsion dans la représentation : il faut 46 000 habitants pour un député à Soria (Castille-Leon), 80 000 à Álava (Pays Basque), 177 000 à Madrid et 175 000 à Barcelone. Il y a donc une incontestable surreprésentation des régions peu peuplées, essentiellement situées dans les deux Castilles, régions rurales ou semi-rurales aux traditions conservatrices anciennes. D’une élection à la suivante, il peut y avoir des variations (+1 siège pour une province à forte croissance démographique, ce qui suppose qu’une autre province en perde 1, cette fois-ci par exemple, Cádiz et Málaga auront un député de plus alors que Jaén et Valence en auront un de moins). Ces variations sont peu significatives puisqu’en fin de compte la sous-représentation des grandes concentrations démographiques et urbaines est manifeste (https://sergiesteverico.wordpress.com/).

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