Skip to main content
Bibliothèque

Défense européenne et OTAN : quelles liaisons ?

par

La sécurité internationale, dans le contexte géostratégique de ce début de siècle appelle impérativement l’émergence d’un monde multipolaire, non seulement pour faire pièce aux États-Unis qui exercent leur unipolarité, mais comme moyen de penser le monde autrement. Pour s’y inscrire l’Union Européenne dispose d’une panoplie de moyens impressionnants et peut y contribuer de façon décisive.

Toutefois une analyse réaliste de la situation internationale aujourd’hui, de ce qui est baptisé « le monde euro-atlantique », conduit à poser la question de l’articulation entre la construction d’une Europe stratégiquement autonome et l’OTAN.

Le leadership de l’OTAN

Depuis un demi-siècle, les États-Unis exercent, par la biais de l’OTAN, une tutelle stratégique sur les pays Ouest-européens. La guerre froide est aujourd’hui terminée. Pourtant l’OTAN, non seulement perdure mais vise à se renforcer, en prétendant jouer un rôle encore plus grand, dans une aire géographique élargie. Le nouveau concept stratégique adopté à son Sommet d’avril 1999 à Washington étend ses missions et sa sphère d’intervention. La clause « d’assistance mutuelle » maintenue, régit le cadre contraignant dans lequel les États-Unis veulent enfermer leurs alliés européens (aujourd’hui Ouest et Est), en fixant de strictes limites à toutes ambitions émancipatrices. Lorsqu’on sait que onze pays sur quinze de l’Union Européenne sont membres de l’OTAN, c’est une réalité à prendre en compte dans l’ambition européenne de se doter d’une autonomie stratégique. L’OTAN joue ainsi un rôle décisif dans la relation Europe-États-Unis.

Une question peut se poser : les États-Unis aujourd’hui hyper-puissance prédominante ont-ils vraiment besoin de l’OTAN ? Ne peuvent-ils pas intervenir seuls dans les affaires européennes et mondiales ? Oui, sans doute, mais dans une certaine mesure seulement. Les Américains ont besoin d’alliés. La guerre du Golfe a été significative à cet égard. Les récentes prestations de la nouvelle administration américaine du président Georges W. Bush, de Daniel Rumsfeld, de Condoleeza Rice, en affirmant la prééminence des intérêts stratégiques américains ont tenu à réaffirmer leur vision de l’Alliance Atlantique, unie derrière Washington. Un appel a été lancé aux Européens afin de faire preuve de plus d’unité et de coopération avec les États-Unis. Alors, dans un tel contexte, faire émerger une puissance européenne, stratégiquement autonome, permettant de relativiser le poids américain dans le monde d’aujourd’hui et favoriser la naissance d’un monde multipolaire dans lequel les relations transatlantiques et les autres seraient d’une toute autre nature, est-ce possible ou inaccessible ?

Dans ce contexte, comment apprécier le projet de l’Union Européenne, visant à se doter, d’ici à 2003, d’une force de réaction rapide pour la gestion de crises, dans des missions de maintien de la paix ?

Les décisions de Nice

Le Conseil européen de Nice, sous présidence française, a marqué une nouvelle étape. On sait que « l’objectif global », est pour l’Union de disposer de capacités stratégiques collectives. Le cadre retenu est intergouvernemental, excluant toute dimension supranationale et formation d’une armée européenne. Lors de la Conférence d’engagement des forces qui s’est tenue à Bruxelles le 20 novembre 2000, chaque pays a déterminé la contribution précise qu’il apportera à cette force de réaction rapide. L’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume Uni ont marqué leur intention de tenir un rôle de premier plan, en proposant de fournir près de 80% des moyens de combat. Une intention appréciée de manière très nuancée par les autres partenaires, à la fois satisfaits de ne pas avoir à fournir une plus forte contribution mais dans le même temps inquiets d’une possible formation d’un noyau dur. A Nice a été mis en place un dispositif avec des organes permanents qui devraient être opérationnels pour juin 2001, ou au plus tard pour décembre.

De ce rapide énoncé, repris très souvent dans les déclarations officielles, on pourrait penser que le projet est désormais bien « ficelé », et qu’il suit un cours paisible. En réalité le chemin n’est pas aussi harmonieux qu’il ne paraît. Les pressions exercées par les Etats-Unis sont importantes et ne sont pas sans impact sur nombre de pays européens. On a pu le constater notamment lors de la 37° Conférence sur la sécurité, qui s’est tenue à Munich ( 2-4 février dernier). Lors de cette Conférence, le nouveau secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, accompagné d’experts dont Henri Kissinger, a été clair dans son discours, les États-Unis ne veulent pas de la politique européenne de défense telle qu’elle a été réaffirmée au Sommet de Nice. Après cette mise en garde les représentants des Quinze, à l’exception notable du ministre français de la Défense, Alain Richard, ont tous tenté de minimiser la portée de l’identité européenne de sécurité et de défense. Le haut représentant, pour la politique extérieure et de sécurité commune, Javier Solana, sans doute encore imprégné de son stage de plusieurs années comme secrétaire général de l’OTAN, et peut être influencé par ses rencontres hebdomadaires avec le nouveau secrétaire de l’Alliance Atlantique, Lord Robertson, a tenu à préciser que l’I.E.S.D. est « un complément de l’OTAN, pas une concurrente, ni une alternative ». On le voit la perception des relations euro-atlantiques est très diversifiée.

Le syndrome du Kosovo, avec un déficit stratégique européen, qu’il était assez aisé d’établir, a, en grande partie, fondé la décision de l’Union Européenne de construire cette force d’intervention. Sur la base d’une analyse circonstancielle, au demeurant controversée, les moyens militaires semblent avoir pris le pas sur la définition d’un concept stratégique européen, fondant une identité, des ambitions, une vision commune d’intervention dans les affaires européennes et internationales. Dans cet esprit on s’est prioritairement accordé sur les moyens et leur emploi en commun, avant de définir le cadre dans lequel ils seraient utilisés. On conviendra qu’il est des plus ambigus, de passer des moyens à la doctrine, alors que la raison suggérerait l’inverse.

Une force de réaction rapide ou une action en amont de crises conflictuelles ?

Ainsi l’Union Européenne n’a pas clairement précisé l’usage qu’elle veut faire de cette force de réaction rapide. Gestion des crises, missions de maintiens de la paix, oui, mais dans quelles situations ? Avec quels objectifs ? Dans quel cadre géographique ? Quelles sont les frontières européennes en matière de sécurité ? En quoi cette force se distinguera-t-elle de l’action menée au sein de l’OTAN ? Rééquilibrage du poids européen en son sein ? Ou affirmation indépendante ? Dans le même esprit, on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur l’existence et l’avenir des forces nucléaires de deux pays de l’Union, en autonomie nationale pour la France, en lien étroit avec les Etats-Unis pour la Grande-Bretagne. Ces questions sont fondamentalement incontournables pour préciser la grille de lecture européenne de la sécurité.

Les réponses à ces questions conduisent à aborder le problème clé qui est celui de l’autonomie de décision et d’action de l’Union Européenne, dans les domaines politiques et militaires. Certes, plusieurs pays européens sont hostiles à couper le cordon ombilical, mais concevoir un rôle européen réel par une intégration renforcée, dans l’OTAN est un leurre. Agir en supplétif pour des crises inévitablement de bas de gamme pour lesquelles ne voudraient pas s’investir les Américains, en disposant de moyens sous leur contrôle, car ils leurs appartiennent, n’est pas réaliste. Au lieu de s’ingénier à renforcer le poids européen dans une structure comme l’OTAN les Européens se doivent de définir le caractère spécifique qu’ils entendent donner à leur intervention. En l’occurrence une « manière européenne » de gestion de crises privilégiant la prévention, choisissant la réponse la mieux appropriée parmi un panel de solutions, graduellement, en répugnant à toute logique d’engrenage et, si l’usage de la force s’avère nécessaire (sous strict mandat des Nations Unies), la contrôler pour qu’elle débouche au plus vite sur des solutions politiques. Au vue des expériences passées, le distinguo avec l’OTAN est notable. Mais ce n’est pas parce que les Américains ne croient qu’en la force dans le règlement des problèmes internationaux que les Européens sont contraints de les imiter. Sans doute, cette démarche est-elle loin d’être totalement partagée au sein des Quinze (en particulier par les Britanniques). On demeure dans la mouvance OTAN. Beaucoup de chemin reste à faire encore pour désserrer la tutelle américaine. Comme l’évoquait Alain Richard : « Il n’est pas simple d’acquérir une culture d’autonomie, car chaque pays a sa propre conception de ce que doit être l’Europe de demain ». Mais difficile, ne signifie pas impossible. L’évocation d’un Sommet de l’OTAN en juin, anticipant celui de Prague prévu en 2002 montre que les contradictions s’exacerbent. Cela dit, il reste qu’un dessein stratégique européen ne peut se concrétiser exclusivement, ni même essentiellement au travers des options militaires, aussi importantes soient-elles. Sans doute, l’Union Européenne s’est-elle penchée à Nice sur le renforcement de ses capacités, dans le domaine des aspects civils de la gestion des crises en soulignant que les missions de maintien de la paix nécessitaient une synergie étroite entre composante militaire et composante civile.

Mais l’Union Européenne se doit de faire beaucoup plus encore. Un dessein stratégique européen doit dépasser l’ordre du réactif en s’inscrivant dans une réelle politique préventive intervenant bien en amont des crises conflictuelles. Un dessein stratégique européen appelle à sortir de l’ordre militaire dans une conception globale de la sécurité. C’est ainsi que l’Union Européenne peut jouer un rôle à sa mesure. Cela dépend en général des Etats qui la composent et de celui de la France en particulier, qui prétend vouloir jouer un rôle majeur. Mais plus largement, cela dépend de tous les acteurs de la société civile. Dans les opéras de Verdi, dont le centenaire est célébré cette année, les ch ?urs sont partie intégrante et apparaissent souvent comme de véritables personnages collectifs dont les solistes sont des émanations. Ne doit-il pas en être ainsi ?