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Coup de froid sur les relations Moscou-Washington

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Les 9 et 10 février 2007 s’est tenue à Münich la 43ème conférence annuelle sur les politiques de sécurité au cours de laquelle le président russe Vladimir Poutine et le secrétaire américain à la défense Robert Gates ont tenu devant les autres participants des propos peu amènes.

Pour le président russe, « nous sommes aujourd’hui témoins d’un usage presque incontrôlé de la force – de la force militaire – dans les relations internationales, une force qui plonge le monde dans un abysse de conflits permanents. Il en résulte que nous n’avons plus la capacité de trouver une solution globale à aucun de ces conflits. Trouver un règlement politique devient aussi impossible ». D’une manière générale, V. Poutine a condamné l’unilatéralisme américain. Prenant la parole le lendemain, R. Gates utilisa d’abord le ton de la dérision pour répondre aux remarques de V. Poutine : « En tant qu’ancien soldat de la guerre froide, l’un des discours d’hier m’a rendu nostalgique d’un temps où les choses étaient moins complexes ». Puis, plus sérieusement, il affirma que les États-Unis « se posaient aussi des questions concernant certaines politiques russes qui semblent nuire à la stabilité internationale, telles que les transferts d’armements ou la tentative d’utiliser les ressources énergétiques à des fins de coercition politique ».

Après ce tir croisé, certains commentateurs évoquèrent une « nouvelle guerre froide », certains prétendant même qu’elle n’avait jamais cessé mais seulement pris des visages différents. En fait, l’échange un peu musclé de Münich n’avait rien d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Des signes du rafraîchissement russo-américain se sont manifestés depuis longtemps.

Des approches différentes, parfois divergentes

Sur différents dossiers, les États-Unis se trouvent en face d’une Russie qui retrouve une certaine puissance, alors qu’ils avaient pensé pendant la décennie Eltsine que la puissance russe était révolue à jamais.

Dès le 4 mai 2006, le vice-président Cheney, lors d’une visite en Lituanie, avait lancé des piques contre « la dérive autocratique » de la Russie. Déjà début mars, un rapport remis au président G. Bush avait recommandé de cesser de considérer la Russie comme un partenaire stratégique sincère et de pratiquer vis-à-vis d’elle une politique de « coopération sélective ». Ce rapport conseillait d’adopter une politique plus dure et de « mettre la pression » sur V. Poutine. Ces reproches concernant la « démocratie » et les « droits de l’homme » gagneraient toutefois en crédibilité si les États-Unis ne multipliaient pas eux-mêmes les pires manquements au nom de leur « guerre globale contre le terrorisme ». Cette divergence ne fait que confirmer que le monde n’est pas dirigé par des idées désincarnées mais par des intérêts.

Il en va ainsi des questions énergétiques. Les États-Unis sont un grand pays consommateur, la Russie est un grand producteur et un grand exportateur d’hydrocarbures. Que la Russie soit animée par des préoccupations allant au-delà, c’est un fait certain. La Russie aspire à accéder aux structures industrielles de ses clients, comme l’a montré la tentative manquée de fusion Arcelor – Severstal dans la sidérurgie. V. Poutine a manifestement décidé en 2006 de tirer parti de ses cartes économiques en entamant dès le début de l’année un bras de fer avec l’Ukraine sur la question du prix du gaz. Il est toutefois un peu curieux de voir des gens qui sont des libéraux- au sens économique du terme – s’offusquer que la Russie demande à ses clients les prix du marché mondial. Dès lors que l’Ukraine affirmait vouloir se tourner vers Washington et l’Europe, pour quelle raison la Russie aurait-elle dû continuer à subventionner à ses frais le gaz vendu à son voisin ? La conduite du géant gazier russe Gazprom n’est pas beaucoup plus brutale que celle de Texaco ou d’Exxon au Moyen-Orient.

Sur le terrain moyen-oriental, les divergences sont particulièrement évidentes. Alors que Washington stigmatise infatigablement les deux « États-voyous » de la région, la Syrie et l’Iran, et s’efforce de maintenir autour d’eux un impénétrable cordon sanitaire, la Russie continue d’entretenir avec eux des relations de coopération, y compris dans deux domaines très sensibles pour les Américains, les ventes d’armes et le nucléaire.

En avril 2005, la Russie a confirmé la vente à la Syrie de missiles anti-aériens de courte portée « Strelets ». A l’automne 2006, la Russie a signé un contrat de 700 millions de dollars avec l’Iran, comportant notamment la livraison de 49 missiles anti-aériens Tor-M1, d’une portée de 12 km. Dans le même temps, Gazprom concluait un accord de 750 millions de dollars avec ce même pays. Les ventes d’armes anti-aériennes soulèvent souvent des polémiques puisque l’état vendeur et l’état acheteur mettent en avant le caractère défensif de ce type d’armement, alors que les états – en l’occurrence les États-Unis et Israël – qui risquent de se trouver en conflit avec l’acheteur y voient une menace potentielle pour leurs propres intérêts et leurs propres forces.

Sur l’épineuse question du nucléaire iranien, les positions divergent également. Bien sûr, la Russie ne souhaite pas voir l’Iran posséder des armes nucléaires, principalement parce que cela encouragerait la prolifération nucléaire dans toute la région. Mais elle est aussi soucieuse de maintenir les droits de l’Iran au nucléaire civil, conformément au Traité de non prolifération. Il n’y a donc guère de chance pour que Moscou se rallie à des sanctions plus sévères contre l’Iran, et encore moins qu’elle donne son aval à une aventure militaire contre ce pays. Si l’on ajoute à cela que la Russie maintient des relations à un haut niveau avec le Hamas et courtise même des états traditionnellement clients des États-Unis – comme l’Arabie saoudite – on conçoit le dépit américain.

Le surarmement américain.

Depuis le 11 septembre, les Américains vivent dans un complexe obsidional qui les conduits à des politiques plus ou moins agressives vis-à-vis de tout le monde.

Depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN s’est engouffrée dans le vide laissé par la dissolution du Pacte de Varsovie. Aujourd’hui, tous les anciens pays « satellites » de l’URSS en font partie, l’Ukraine et la Géorgie sont candidates pour un prochain élargissement. Contrairement aux assurances qui avaient été faites à l’époque à Gorbatchev par l’Administration Bush père, l’OTAN a fortement militarisé cette zone. Les États-Unis ont construit ou utilisent des bases aériennes en Hongrie, en Bulgarie, en Bosnie, en Albanie, en Macédoine et au Kosovo. Ils disposent également au Moyen-Orient de toute une chaîne de bases du Qatar à l’Irak et au-delà, notamment trois bases majeures en Afghanistan et une au Kirghizistan, près de l’aéroport de Bichkek. Toutes ces bases ont en commun d’être à portée de frappe de la mer Caspienne et du sud de la Russie, ainsi que de la Chine occidentale. Il n’est pas très étonnant que cela réveille à Moscou les vieux soupçons d’encerclement. Les Russes sont particulièrement mécontents de voir la mise en place par les Américains d’un réseau de radars et d’intercepteurs anti-missiles toucher désormais la Pologne et la République tchèque. L’argumentation américaine selon laquelle ce système n’est dirigé que contre les « États voyous », Iran et Corée du Nord, a du mal à les convaincre. Pourquoi en effet placer des missiles en Pologne s’il s’agit de se défendre contre l’Iran, lequel n’a de toute façon pas la capacité d’atteindre les États-Unis ni l’Europe ?

Cela inquiète d’autant plus Moscou que dans le même temps, Washington perfectionne continûment son arsenal stratégique offensif. Le Pentagone procède en effet au remplacement de son stock d’ogives nucléaires et installe d’abord sur ses vecteurs sous-marins des armes destinées à détruire des bunkers profondément enterrés et protégés, tels que des états majors ou surtout des silos de lancement de missiles intercontinentaux. Ni l’Iran ni la Corée du Nord ne dispose de ce type de silo, seule la Russie en a. Dès lors on peut effectivement s’interroger sur le but réel de ces bruits de sabre. Ils ont d’ores et déjà des effets déstabilisants sur les équilibres militaro-stratégiques puisque la Russie menace de se retirer du traité de 1987 sur l’interdiction des armes nucléaires de moyenne portée et développede son côté les missiles Topol-M et « Boulava », capable de transporter des ogives multiples à trajectoire variable afin de déborder tout système de défense. On revient au vieux débat des années 80 : une défense anti-missiles est-elle purement défensive, ou ne prend-elle tout son sens que dans le cadre d’une stratégie de première frappe, où il ne s’agirait que d’arrêter la riposte très affaiblie de l’état agressé ?

Un ajustement nécessaire

Les estimations les plus pessimistes faites à Moscou ne sont certainement pas justifiées. Les États-Unis n’ont pas de visées si agressives vis-à-vis de la Russie. Simplement, ils ont cessé depuis déjà un moment de la considérer comme un partenaire privilégié. Elle l’était dans les années 90, quand les Américains pensaient qu’il fallait surveiller la transition entre l’URSS et la Russie nouvelle. Mais depuis la fin de l’ère eltsinienne, la Russie n’est plus pour eux un partenaire inévitable. Ils sont beaucoup plus préoccupés aujourd’hui par Pékin que par Moscou. Par son discours de Münich, V. Poutine a sûrement voulu montrer que la puissance russe était de retour, et qu’il faudra davantage compter avec elle, qu’il s’agisse des équilibres militaires, de la situation au Moyen-Orient ou des problèmes énergétiques. En 2008, les deux pays auront de nouveaux dirigeants. Cela fournira l’opportunité pour réajuster leurs relations.