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« Charlie », l’islamisme radical et nous

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Alors que l’opération commando planifiée contre Charlie hebdo et l’Hypercasher faisait une quinzaine de victimes et laissait la France pétrifiée d’horreur et dans un état de sidération, les médias et les analystes se lançaient dans la recherche d’explications. Plusieurs jours furent nécessaires pour préciser la nature de l’acte et en démêler les principaux fils. Pourtant dans l’heure qui suivit, grâce à la carte d’identité retrouvée dans un véhicule des fuyards, la police savait et était en mesure d’identifier l’origine des coupables, leur affiliation et le sens de leur geste.

L’indicible était là. Les conflits du Moyen-Orient venaient de s’importer de façon sanglante dans un pays qui s’en croyait à l’abri. Trente années d’interventions étrangères, doublée de la plus grande guerre de religion que le monde arabo-musulman n’ait jamais connue, ajouté à l’interminable conflit israélo-palestinien ont plongé cette région, gorgée d’armes, dans un indescriptible chaos.

On laissa les commentateurs faire assaut d’analyses. Vint d’abord le temps des psychiatres, car un tel acte ne pouvait provenir que de déséquilibrés dont il convenait de préciser le processus de radicalisation, puis celui des sociologues qui eurent à cœur de décrire la révolte des humiliés ghettoïsés, voire apartheidisés, en situation d’échec d’intégration en ciblant la population musulmane des « quartiers » ou en évoquant les émeutes de 2005. Et enfin, quand l’évidence s’imposa, la connexion moyen-orientale avec des réseaux djihadistes internationaux fut avancée. Avec précaution, car on la sait explosive.

Les sondages ont salué la maîtrise de l’événement par les responsables de l’exécutif. En effet, six millions d’immigrés d’origine musulmane, de différentes générations, la plupart Français, vivent sur notre territoire. Et l’on put craindre des manifestations de xénophobie avec ses cortèges de lynchages ou de ratonnades ramenant au goût du jour le vieux fond d’un empire colonial. Au-delà de quelques dégradations et graffitis antimusulmans, il n’en fut rien et le pire fut évité. Au contraire, cette communauté fut regardée en victime de radicaux intégristes prétendant agir au nom de sa foi. Parfois même maladroitement, lorsque certains lui demandèrent d’exprimer, en tant que communauté constituée, sa réprobation des actes commis laissant à entendre sous forme subliminale une responsabilité collective, allant ainsi au devant de l’attente des intégristes qui recherchent l’affrontement communautaire dont ils se nourrissent. Car c’est tomber dans le piège tendu que de demander à une communauté désignée de faire acte de contrition en exhibant un certificat de bonne moralité républicaine.

Il est indéniable que les populations d’origine maghrébine et africaines se réclamant majoritairement de l’islam sont l’objet de discrimination en France. Une récente note du Centre d’analyse stratégique le reconnaît et en cerne l’importance pour les jeunes en matière d’emploi et de logement notamment. Ceci n’explique nullement les actes criminels qui ont été commis les 7 et 8 janvier. Leur source réside dans le chaos militaire et religieux qui affecte le Moyen-Orient depuis des décennies et son extension au Sahel.

Et cela nous affecte. Non pas parce que la population musulmane de France serait moins bien intégrée que d’autres, mais parce qu’à l’heure de la mondialisation et des techniques modernes de la communication, elle vit une double allégeance, un regard tourné vers le monde musulman et les débats qui le traversent. La mondialisation n’uniformise pas, elle permet, voire encourage, toutes les expressions identitaires. Cette population a depuis longtemps fait la preuve de son attachement à l’essentiel des valeurs républicaines et revendique une meilleure intégration mais aucunement une dissidence. Elle n’hésite pas à se métisser. S’il faut s’inquiéter des centaines de jeunes en partance pour le djihad en Irak-Syrie, il convient de noter que d’autres pays européens fournissent des contingents plus étoffés à partir de très faibles populations d’origine musulmane. Il faut remarquer que si le conflit israélo-palestinien « travaille » la population musulmane de France et contribue à y alimenter un antisémitisme, aucun partant pour le djihad n’a rejoint ce terrain de conflit, confirmant bien la dimension essentiellement religieuse de la décision.

L’adhésion à un radicalisme islamique qui professe une lecture littéraliste de la religion et un retour à ses sources non contaminées trouve son origine dans la multiplication des interventions étrangères qui se sont abattues sur la région. Lorsqu’en décembre 1979 l’Union soviétique envahit l’Afghanistan pour se porter au secours du régime marxiste de Kaboul, elle n’avait certainement pas conscience des conséquences de cette intervention. Face à son échec, l’armée soviétique dut replier en 1988 en laissant un pays contrôlé à 80 % par les Talibans et les milliers de djihadistes accourus des pays arabes pour donner un coup de main avec l’aide financière et militaire américaine. Le régime de Najibullah laissé en place par les Soviétiques tint à peine deux ans. Une chape de plomb tomba alors sur le pays qui vit accourir les djihadistes se mettre au service d’Al-Qaïda, tandis que les plus expérimentés repartirent essaimer dans différents pays pour professer leur vision de l’Islam. L’Algérie fut le premier pays touché par l’onde de choc et connut une terrible guerre civile au cours de la décennie 90. Et la France, à laquelle il fut reprochée son assistance au régime algérien, connut ses premiers attentats.

Le 11 septembre 2001 marqua la volonté de Ben Laden de s’affirmer au sein de l’Islam comme le plus capable de porter des coups à l’Occident et ainsi de pouvoir offrir à travers ses bureaux de recrutement de grandes perspectives à ses nouvelles recrues. Les représailles qui tombèrent sur l’Afghanistan ouvrirent une nouvelle décennie de guerre avec base arrière au Pakistan. Elle s’achève sans victoire décisive et laisse présager d’un retour rapide des Talibans dans les cercles du pouvoir. Quant à la guerre américaine d’Irak, ouverte en 2003, on connaît son fiasco dont le résultat fut d’offrir le pays comme zone d’influence à l’Iran, considéré jusqu’ici comme le pire ennemi des États-Unis dans la région. Mais surtout, à la faveur de la désintégration qui gagne le pays voisin- la Syrie – de permettre l’apparition de Daech qui se présente comme un nouveau Califat et ambitionne de concurrencer Al-Qaïda. Le bilan de ces interventions, auquel il conviendrait d’ajouter l’intervention occidentale en Libye, est catastrophique. Elles fabriquent un chaos d’où surgissent des forces radicalisées qui se réclament du sunnisme et rêvent d’en découdre avec le chiisme. Une dizaine de pays connaissent des affrontements sanglants entre ces deux fractions rivales de l’Islam. Aujourd’hui, Obama qui espérait marquer son second mandat d’un retrait du Moyen-Orient et en avait livré un habillage stratégico-théorique lors de son intervention à l’académie de West Point en affirmant alors que « Ce n’est pas parce qu’on a le meilleur marteau qu’on doit voir chaque problème comme un clou. », se trouve en catastrophe devoir décider de faire retour vers l’Irak six mois plus tard. La France qui a rallié la coalition se trouve embarquée dans ce nouveau conflit, sans aucune maîtrise sur son évolution ou la définition des buts de guerre.

Trente années de conflits au Moyen-Orient ont constitué une machine à fabriquer les pires extrémistes religieux dopés par deux grandes victoires : contre les Soviétiques, puis contre les États-Unis. Excusez du peu. À partir d’une telle posture, il n’y a pas lieu de s’étonner que le Califat puisse rêver d’instaurer sur le territoire qu’il contrôle les traits de la société de ses vœux- le régime des Talibans en pire ! – et d’appeler tout musulman où qu’il se trouve à participer à ce combat. L’adresse concerne potentiellement un milliard et demi de personnes. Ce n’est pas rien, et maints pays sont déjà ébranlés.

En quoi sommes-nous concernés ? Il ne s’agit évidemment pas de convertir la France à l’Islam mais à pousser les musulmans qui l’habitent à vivre pleinement leur religion dans ses traditions d’origine, non-perverties et littéralistes, et ce quitte à bousculer les valeurs de la République en expliquant que les règles de l’appartenance à l’Oumma doivent primer sur toute citoyenneté nationale. C’est évidemment un appel à dissidence. Les adeptes dont la foi est plus chevronnée seront encouragés à défier les lois à travers des actes ostensibles qui seront réprimés. Et puis les plus déterminés seront sollicités pour rejoindre le combat en terre de Califat ou perpétuer là où ils se trouvent les actes les plus barbares. La population musulmane de France est dans sa très grande masse rétive à ces invitations et aucuns signaux sérieux ne permettent de penser qu’elle serait susceptible de se laisser impressionner par ces discours. Mais l’objectif recherché est de communautariser et de faire monter les tensions lourdes d’affrontement.

Le projet radical islamiste nous interpelle à un autre titre. Si l’on considère que l’une des plus grandes bifurcations de l’humanité fut les Lumières, c’est à dire ce moment particulier où des hommes s’élevèrent pour dire : c’est assez, il faut en finir avec les Lois divines supposées régir nos vies. Nous devons décider nous-mêmes de nos lois et de notre façon de vivre. Alors effectivement, c’est cette grande bifurcation que l’on veut remettre en cause et il ne faut pas s’étonner de voir resurgir les spectres du blasphème et de l’attaque du sacré par ceux qui veulent faire ainsi étendre leurs croyances à ceux qui ne sont pas concernés. Tout cela prouve que le combat pour les Lumières est loin d’être terminé, y compris même au sein de l’Europe où certains pays disposent encore d’un arsenal juridique qui réprime toujours le blasphème – sous l’influence là des religions chrétiennes.

Les responsabilités de l’Occident sont très fortes dans l’émergence des radicaux islamistes mais ceux qui préconisent l’alliance des deux Prophètes, l’enturbanné et le désarmé, à la recherche d’un nouveau né-prolétariat, oublient que tout ce qui bouge aux confins de l’Empire n’est pas rouge et peut être porteur des pires régressions. Il y avait la peste brune. Il faudra aujourd’hui compter avec la peste verte.