Skip to main content

Tribune publiée dans Libération (29 novembre 2010)

Fabienne Pourre, Membre du conseil d’administration

 

 

Le MAC-Val[1] vient de fêter ses 5 ans. À cette occasion, deux mille visiteurs s’y sont retrouvés : habitants du quartier, Parisiens ayant «passé le périph», familles, jeunes et retraités, élus et électeurs… À l’entrée, les salariés grévistes tendaient le drapeau de la solidarité. Ce fut un moment de bonheur partagé, qui cassait le cliché confortable d’une banlieue «mal aimée» où rien d’important ne survient sauf la violence.

La banlieue revendique le droit à la reconnaissance de sa dignité

 

Pour comprendre la banlieue, il est essentiel d’en peindre toute la réalité sociale, associative, solidaire, sportive et artistique. La réalité des classes populaires aujourd’hui. Mosaïque. La banlieue vit, pense, souffre et se bat. Elle revendique le droit à la reconnaissance de sa dignité, son apport à la société. Ses habitants ne sont pas des «apartés» de la vie sociale. À bien des égards même, ils en sont les miroirs grossissants. Ils posent la question de la place des classes populaires dans nos sociétés contemporaines.

Aux dénis de droits faits par violence, ignorance, condescendance, populisme, misérabilisme, démagogie et calculs politiques, la banlieue répond. Elle crée, elle invente, elle fabrique du «vivre ensemble». Parcours complexes, mais pas complexés. Elle revendique une vie qui vaille d’être vécue. Dire la banlieue, le quartier, la cité, c’est d’abord entendre ces cris : Existence – Résistance – Assistance. Ils sont échos d’autres : Liberté – Égalité – Fraternité.

Le plus grand ghetto n’est-il pas celui où les riches se confinent ?

Les banlieusards ne sont pas plus qu’hier les attardés que voulaient voir en eux les versaillais. Elles et ils ne sont pas les vassaux de seigneurs tout-puissants. Peut-être, par contre, ont-ils gardé la trace de ce mépris séculaire de l’aristocratie et de la bourgeoisie à l’égard des milieux populaires. L’empreinte est là, bien réelle, de cette volonté de les éloigner des centres du pouvoir, de la métropole, de la capitale. Le plus grand ghetto n’est-il pas celui où les riches se confinent, alors que les maux dont souffrent les populations modestes sont les conséquences de leurs politiques ?

Il est banal de rappeler que l’histoire des banlieues populaires se raccorde intimement à l’histoire politique, économique, sociale de la France. Alors que la classe ouvrière avait mis deux siècles à se construire, il n’a fallu qu’une génération pour que son apport soit broyé. La chute est vertigineuse. Du statut de travailleur, les salariés sont passés au statut de chômeur et le glissement s’est opéré du travailleur à l’habitant. Les références ont changé : la protection sociale n’est plus liée au travail, mais aux institutions, aux associations caritatives.

Le syndicat, le parti politique ne sont plus la référence première, alors que l’urgence est, au contraire, à réarticuler l’exigence immédiate de survie à la perspective politique de transformation sociale. Et si la diversité des quartiers ne permet pas la globalisation, il demeure que tous vivent une démocratie qui accepte les pauvres, les chômeurs comme «variable d’ajustement» ; une société divisée et réputée immuable. Mais chacun a une histoire, qui est carte d’identité. D’autant plus revendiquée qu’elle est niée, surtout quand l’appartenance de classe, vécue positivement, est d’un autre temps et que l’origine ethnique est devenue suspecte.

Une triple peine de classe, de discrimination ethnique et territoriale

L’idée même de races refait surface. Or, les plus exploités, les plus démunis, les plus «laissés-pour- compte» sont – souvent majoritairement – immigrés ou issus des immigrations. Ils vivent le doute perpétuel sur leur qualité de Français, car la mise à l’index d’une culture, d’une religion comme source d’aliénation et d’intégrisme est une insulte. Quand l’État en est l’auteur, c’est une remise en cause de la laïcité. Le sentiment d’être dans une impasse est d’autant plus fort que celles et ceux qui sont diplômés, au prix d’efforts de leurs familles et d’eux-mêmes, se retrouvent au Pôle Emploi. Pour eux, c’est la triple peine : de classe, de discrimination ethnique et territoriale.

Les efforts faits par ces populations sont négligés, détournés, instrumentalisés. Leur droit à une pensée et à une action émancipées est méprisé. L’autonomie d’intervention dans et par la vie associative est empêchée, par l’obligation de remplir des critères décidés par les institutions pour l’attribution de subventions. Leur projet, strictement encadré, change chaque année au gré des décisions politiques. Les milieux populaires inquiètent quand ils s’abstiennent ; ils n’intéressent que lorsqu’ils peuvent être récupérés. Mais la non-prise en compte de souffrances, jusqu’à l’intime, est une bombe à retardement pour toute la société. C’est pourquoi l’exaspération fut à son comble en 2005, jusqu’à l’émeute.

Pourtant l’espoir de vaincre, celui qui hâte les révolutions, existe encore peut-être dès 2010 ? Que le Président ait promulgué, dans la précipitation, la loi sur la réforme injuste de la retraite est la marque, la signature, d’une victoire à la Pyrrhus. Le mouvement social, le mouvement populaire depuis des mois ont reconstruit une force, une unité de parole et d’exigences inédites. Ferments d’espoir, d’unité pour la transformation sociale. Dans les quartiers populaires, les chômeurs, les salariés du public et du privé, les jeunes précarisés ont fait cause commune, se sont re-solidarisés. La question sociale et celle de la valeur travail sont redevenues des questions politiques majeures. Aussi forte qu’en 1968, la demande existe, surtout dans la jeunesse, de sortir du carcan des oppressions, de l’isolement, pour construire des solidarités actives.

L’espoir des quartiers populaires est dans l’apprentissage du vivre ensemble

L’espoir des quartiers populaires est dans l’apprentissage du vivre ensemble afin d’ouvrir un nouvel espace démocratique qui reconnaisse la complexité de chaque individu. Les personnes qui peuplent l’univers des classes populaires agissent comme ceux qu’elles sont, des sujets individuels. Cette individuation est nécessaire pour reconstruire autonomie et unité, solidarité et citoyenneté, intervention politique comme outils d’émancipation.

Souvenons-nous du libelle qui dénonçait le mur des fermiers généraux, un certain mois de juillet 1789 : «Un mur murant Paris rend Paris murmurant.» Il en est de même pour les quartiers populaires. Sauf que, déjà, le murmure est devenu cri.

 

Créée en 2004 à l’initiative du Parti communiste français, la fondation Gabriel- Péri se propose, au même titre que d’autres fondations politiques, d’être un lieu de recherches, de travail et d’élaboration de propositions susceptibles d’être utiles au débat public.

 


[1] Musée d’Art contemporain du Val-de-Marne, à Vitry-sur-Seine.