Il y a 80 ans, le PCF clandestin diffusait aux groupes de résistants un projet de refonte de l’école publique contre le fascisme. Méconnu, il montre la précocité de l’ambition communiste de réinstaller la République, tout en la rendant plus démocratique et sociale, en commençant par l’éducation.
Ce document constitue un témoignage essentiel de l’évolution du pays.
Pendant ses toutes premières années, le PCF était très critique de l’école de la IIIe République. D’abord car cette dernière exaltait l’assignation de chacun à sa place sociale ainsi que le colonialisme, également parce qu’elle instaurait un certain ordre républicain aux mains de la bourgeoisie, avec le massacre de nombreux mouvements de revendication depuis la Commune de 1871.
Dès lors que le fonctionnement démocratique est attesté par la possibilité d’obtenir des conquêtes sociales et de faire grandir les revendications de justice sociale de l’intérieur de la République, la situation évolue sensiblement. Et la montée des fascismes, en Italie et en Allemagne, avec leurs irrationalismes, renforce les communistes français dès 1930, et de plus en plus fortement jusqu’à la Libération, dans la nécessité de former des esprits critiques, d’articuler la tradition rationaliste française et l’apport du marxisme. En effet, il s’agit de converger avec tous les démocrates et républicains (comité Amsterdam-Pleyel, Cercle Descartes, etc.) tout en étant utile à ce rassemblement grâce à une analyse spécifiquement marxiste tant des injustices sociales qui favorisent la montée du fascisme, que de la nécessité de changer de société pour atteindre la justice sociale.
« L’esquisse d’une politique française de l’enseignement » condense ainsi cette double exigence, de démocratie républicaine et de lutte contre la société de classes. Cette brochure donne à voir ce qui va être durablement la marque du PCF dans le paysage politique français. Et elle s’inspire des recherches d’Henri Wallon comme des expérimentations de pédagogues progressistes. Elle constituera l’une des nombreuses contributions prises en compte de 1944 à 1947 par la commission Langevin-Wallon de réforme de l’enseignement, que la IVème puis la Vème République ont obstinément refusé de mettre en œuvre pour contenir la démocratisation scolaire.
Un document historique sur la situation politique, qui continue à informer la réflexion présente
Fin août 1943, les groupes de la résistance française reçoivent une brochure intitulée « Esquisse d’une politique française de l’enseignement ». Rédigée, imprimée et diffusée par le PCF clandestin au sein de la Résistance, elle pose les bases d’une reconstruction de l’école publique et de la République.
Pour en mesurer la portée, il faut replacer cette brochure dans son contexte. À l’été 1943, l’Allemagne nazie et les pays fascistes ne sont plus aussi triomphants qu’au début de la guerre : après Bir Hakeim, ils ont reculé à Stalingrad, et la Résistance monte en puissance dans différents pays, en France particulièrement. Mais le sort du monde est encore loin d’être joué. C’est dans ce contexte encore très sombre, où dans la France occupée toute contestation est traquée, tant par l’occupant nazi que par les collaborateurs vichistes, qu’est élaborée une alternative pour l’éducation.
S’opposer et envisager la construction d’une autre société vont de pair. Pour être utile au rassemblement avec d’autres forces de la Résistance, pour se projeter vers un retour de la démocratie et de la République, le PCF livre son analyse et ses propositions pour reconstruire l’école publique, et à travers elle, la société à la Libération. La poursuite de la lutte des classes, des conquêtes sociales est au service prioritaire de la redéfinition de la République. On se situe là un an avant la rédaction du programme des jours heureux par le Conseil National de la Résistance ! En parallèle, les gaullistes envisagent aussi l’éducation de l’après-guerre, d’abord à Londres puis avec un « Plan d’Alger » en 1944[1] : que l’éducation soit l’un des premiers sujets de préoccupation pour toutes les forces de la Résistance, cela constitue un indice pour saisir l’importance de l’école publique dans les conceptions de la République en France, par-delà leurs divergences.
La brochure est rédigée pour la direction du PCF par Georges Cogniot, qui avait été député du Front populaire et rapporteur du budget de l’éducation nationale (1936-1940), particulièrement investi dans les questions d’éducation et de recherche. Relue et validée par le grand psychologue français Henri Wallon (professeur au collège de France depuis 1937, interdit de cours par les nazis), elle livre une contribution propre des communistes au projet unitaire de libération nationale. Réimprimée en 1944, avec le nom de Georges Cogniot, elle est à nouveau diffusée alors que le papier manque et que les combats continuent. Elle constitue un document historique essentiel.
Le contenu de la brochure
Le texte livre une critique documentée de l’éducation dans les pays fascistes, et de son importation vichiste : militarisation de la jeunesse qui est exercée à obéir, saccage de l’école républicaine qui visait la formation des esprits, diffusion de croyances et d’idées irrationnelles (mystique du sang et de la race…) contre la tradition française rationaliste héritée de Descartes, des Lumières, des Encyclopédistes. Les changements structurels imposés en 1941 par l’extrême droite visent à couper l’enseignement primaire de cet héritage livré par la Grande Révolution française, ainsi qu’à endiguer la montée progressive du nombre de candidats au baccalauréat.
La brochure pointe le contraste frappant de ce saccage avec le développement de l’éducation aux Etats-Unis et des projets similaires en Grande-Bretagne, et elle souligne avec force l’exemple que constitue l’Union soviétique, où la loi créant l’école universelle de 1930 a obtenu des résultats spectaculaires.
Mais cette brochure porte une analyse qui va bien au-delà, en remontant à l’état de l’enseignement avant la guerre. Si elle souligne les qualités que revêtaient l’école primaire et l’enseignement secondaire, elle détaille aussi leurs insuffisances face aux besoins sociaux en matière démocratisation et elle esquisse un plan pour y remédier. Alors que les enfants, dès le plus jeune âge, étaient scolarisés dans des réseaux parallèles, prédestinant à poursuivre ou pas les études longues, le projet reprend l’idée d’une école primaire unique et d’un accès plus large au secondaire. Pour ce faire, il s’inspire des recherches d’H. Wallon pour proposer une orientation scolaire selon les aptitudes que l’école a pour missions de développer chez tous les élèves, au contraire de la seule sélection des plus aisés ou des élèves qui ont la chance d’avoir des capacités scolaires développées par l’éducation familiale. À la Libération, les programmes devront être repensés avec des savoirs solides mais pas coupés de la vie, concrets et éclairants (et des propositions précises sont faites sur les disciplines), en encourageant les méthodes actives et la « pédagogie rationnelle, libérale (au sens de compréhensive) et populaire ». L’objectif de l’école, et de l’éducation morale n’est pas d’être neutre (ce qui a rendu les français trop vulnérables vis-à-vis des idéologies), mais de diffuser les vertus humanistes de la tradition rationaliste française. L’alternative porte encore sur la résolution de la situation scandaleuse de l’école dans les outremers ne bénéficiant pas du même traitement que la métropole, et des solutions concrètes sont pointées pour créer les moyens financiers pour l’État et pour que les familles puissent se passer de la main d’œuvre de leurs enfants, et jusqu’à la formation d’adultes.
Pour accéder aux sources et aller plus loin…
Une version numérisée est consultable en suivant ce lien. Cette brochure est l’un des très nombreux documents disponibles sur la Bibliothèque numérique du mouvement communiste & ouvrier, sur le site Pandor de la MSH de Bourgogne, en partenariat avec la Fondation Gabriel Péri.
Pour aller plus loin, voir la captation vidéo de la séance des ateliers du communisme sur « Le PCF et l’éducation avant « L’école et la Nation » », avec Stéphane Bonnéry, Pierre Kahnn et André-D. Robert.
[1] Pour davantage d’informations : André-D. Robert (2012). Du projet Cathala au Plan Langevin-Wallon, en passant par le plan d’Alger, quelle circulation d’idées pédagogiques novatrices, quelles influences ? (1942-1947), in Guttierez L., Besse L. & Prost A., Réformer l’école. L’apport de l’éducation nouvelle (1930-1970), Presses Universitaires de Grenoble, pp. 151-162.