Nous vous proposons la série « La bataille du Front Populaire » en partenariat avec L’Humanité.
Épisode 16. Face au gouvernement du Front populaire, le patronat organisé en branche professionnelle et confédéré se montre prêt à céder des augmentations de salaire en échange d’une interdiction des occupations d’usine et un abandon de la réduction du temps de travail. Par Danièle Fraboulet, historienne.
La crise économique des années 1930 provoque la montée de revendications sociales. Les sessions de la conférence internationale du travail (juin 1931, avril 1932) sont dès lors centrées sur les problèmes du chômage et l’introduction de la semaine de 40 heures dans les pays industriels est proposée par les délégués ouvriers.
Face à ces derniers qui proclament, entre autres, la faillite du régime capitaliste, les patrons s’insurgent. Ils sont organisés depuis le XIXe en organisations professionnelles. Parmi celles-ci, la métallurgie, au cœur des deux premières industrialisations, domine. Au Comité des forges, fondé en 1864, se sont ajoutées de nombreuses chambres syndicales.
Afin de mieux défendre les intérêts patronaux face à l’organisation du mouvement ouvrier et à l’interventionnisme croissant des gouvernements de la IIIe République, l’Union des Industries Métallurgiques et minières, fédération de chambres syndicales professionnelles et de groupements régionaux est fondée en mars 1901. L’UIMM veille à contrôler la Confédération Générale de la Production Française créée en 1919 à l’initiative d’Etienne Clémentel, ministre du Commerce.
La généralisation des grèves impose la négociation
Avec le succès du Front Populaire aux élections législatives de mai 1936 et les grèves, les 40 heures revendiquées par la CGT réunifiée sont reprises par le nouveau gouvernement comme réponse au problème du chômage. Les réformes devenant imminentes, le conseil de direction de l’UIMM, en campagne contre les 40 heures depuis le début des années 1930, reprend son argumentation : absence de spécialistes disponibles pour l’augmentation des équipes, difficulté d’adaptation des chômeurs à un travail nouveau, incidences sur les frais généraux, sur la production et donc sur les possibilités d’exportation, sur le coût de la vie, sur les possibilités d’amortissements et sur les bénéfices.
La généralisation des grèves impose la négociation. Alfred Lambert-Ribot, délégué général de l’UIMM, propose le 4 juin, à Léon Blum, son ancien collègue au Conseil d’État, une réunion avec les représentants ouvriers. Il espère l’évacuation des usines contre l’octroi d’augmentations de salaires. Des rencontres ont effectivement lieu les 5 et 6 juin entre les dirigeants de l’UIMM (Alfred Lambert-Ribot, Pierre Richemond) et Pierre-Ernest Dalbouze, le président de la CGPF, René-Paul Duchemin, et les représentants du gouvernement.
Ayant obtenu la promesse de la déclaration de l’illégalité des occupations d’usines, les patrons admettent d’entrer en discussion avec la CGT. S’ils acceptent les clauses de l’accord, ils doivent faire face à la contestation de leurs troupes particulièrement à propos des lois qui complètent ledit accord. Les désaccords imposent la réorganisation de leurs syndicats. Après le vote de la loi le 21 juin 1936 instituant les 40 heures, les patrons attirent de nouveau l’attention du gouvernement sur les conséquences d’une application immédiate des 40 heures par exemple dans l’industrie des métaux qui manquait chroniquement d’ouvriers qualifiés.
Les tensions internationales et l’échec de la grève générale de novembre 1938 permettent d’enterrer la semaine de 40 heures
Les conventions collectives deviennent obligatoires par la loi du 24 juin 1936, mais les organisations patronales refusent une convention collective nationale. Les tensions internationales s’aggravant, la France doit se réarmer. Le patronat peut désormais davantage faire entendre sa voix.
Profitant des nouvelles orientations politiques du gouvernement Daladier une démarche du président de l’UIMM est entreprise, en juillet 1938, auprès du ministre du Travail Paul Ramadier pour accélérer l’assouplissement des 40 heures. Les décrets-lois de novembre 1938 sont applaudis par les patrons. La conciliation n’est plus à l’ordre du jour.
Face à la législation du travail, les patrons se sont cantonnés dans la défense des positions traditionnelles : limiter l’intervention et le contrôle étatiques afin de sauvegarder la liberté de l’entrepreneur. Les grands thèmes de l’opposition patronale se retrouvent dans ce combat : outre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et les atteintes à la liberté, les objections sont essentiellement d’ordre économique et financier avec l’accroissement des charges et donc du coût de la vie qui met en péril l’économie nationale.
L’État est présenté comme le premier à pâtir de ces mesures qui entravent l’essor de la production. Certes, les patrons ont en juin 1936 momentanément perdu le combat contre la réduction du temps de travail, mais les tensions internationales et l’échec de la grève générale de novembre 1938 permettent d’enterrer la semaine de 40 heures. Face à la législation sociale, les patrons insistent sur leur rôle ancien et important dans la protection ouvrière. Dans ce domaine aussi, le pragmatisme est de rigueur : le « oui, mais… » est parfois utilisé, dès que les avancées sociales ne vont pas à l’encontre de la compétitivité mais permettent une amélioration.
Danièle Fraboulet, «Du Front populaire au Nouveau Front populaire, bras de fer autour des 40 heures», L’Humanité, 5/07/2024