Nous vous proposons la série « La bataille du Front Populaire » en partenariat avec L’Humanité.
Épisode 1 par Jean Vigreux. Au lendemain des émeutes fascistes du 6 février 1934, PCF et SFIO réagissent séparément avant de s’unir pour contenir la montée du fascisme et les menaces que celle-ci fait peser sur la République.
Au début des années 1930, les gauches sont divisées. Le parti radical-socialiste qui incarne le régime républicain, « le parti pivot », fait et défait les coalitions gouvernementales, tantôt de centre droit, tantôt de centre gauche, incarnant une république de notables.
En 1932, le néocartel à majorité radicale et socialiste devient vite une seule majorité radicale (chute du premier gouvernement Herriot en décembre 1932). Ensuite, les radicaux modérés gouvernent ; puis, on a un glissement à droite en 1934 avec un gouvernement d’union nationale. Cette instabilité ministérielle se caractérise par l’existence de cinq gouvernements entre mai 1932 et février 1934 !
Une crise morale et politique
Le virage à droite est encore plus marqué avec l’arrivée de Pierre Laval au gouvernement en 1935 ; ce dernier, à la tête d’un « gouvernement d’union nationale », gouverne par décrets-lois et baisse les salaires des fonctionnaires de 3 % à 10 %. Une telle politique n’enraye pas la crise, bien au contraire ; la cure d’austérité reste inefficace pour sortir de la crise.
L’instabilité parlementaire et l’impuissance des gouvernements réveillent alors des courants qui n’ont pas accepté la République, comme l’antiparlementarisme d’extrême droite. Le pays assiste à une montée des contestations et des violences. Les assassinats du président de la République, Paul Doumer, le 7 mai 1932, par un Russe blanc, Gorgulov, puis de Louis Barthou et du roi Alexandre de Yougoslavie, le 9 octobre 1934, par des Oustachis croates, soulignent l’emprise des enjeux internationaux.
Dans cette atmosphère tendue, la crise devient morale et politique, le pays ayant peur du déclin. Le désarroi, la misère nourrissent les peurs et les rejets. Le PC n’a pas tenté en France un rapprochement risqué avec l’extrême droite, comme son homologue en Allemagne, le KPD, qui avait mené des grèves communes avec les nazis. Si le PC atteint son étiage (avec 10 députés), son électorat se reporte assez bien sur les candidats de gauche, ce qui amène le nouveau Cartel au pouvoir : la culture républicaine étant ancrée au sein de l’électorat communiste.
Le long chemin vers l’unité
Le PC est d’ailleurs mis en accusation, fin 1933, devant les instances de l’Internationale qui critiquent les erreurs opportunistes de sa direction. Face au sectarisme lié à la période « classe contre classe », la SFIO doit aussi composer avec ses propres contradictions.
Elle se remet peu à peu de la crise qu’elle a connue en 1933 par la scission des « néosocialistes » de Marcel Déat, Adrien Marquet, Pierre Renaudel, regroupés sous le slogan « Ordre Autorité Nation », proposant d’abandonner les références à Marx et de construire le socialisme en l’enfermant dans le cadre national.
Ces néosocialistes sont exclus en novembre 1933 et la SFIO réintègre les militants de sa gauche, de l’Action socialiste, qui participaient au comité Amsterdam-Pleyel. Dans ce tâtonnement, après le 6 février 1934 – et les manifestations sanglantes des ligues d’extrême droite –, on voit poindre plusieurs options, celle de la gauche du parti qui souhaite une alliance de type front unique, mais qui reste ultraminoritaire ; celle que prône Léon Blum, dès le 8 février 1934, de défense de la République et du gouvernement Daladier ; celle de Paul Faure, secrétaire du parti, qui a pour premier « souci de ne pas aliéner l’autonomie socialiste face aux communistes ».
Le choc des événements du 6 février 1934 ravive au sein des gauches les lointains souvenirs de la République en danger. Un front unique antifasciste émerge. Dans un premier temps, le PCF et la CGTU organisent une manifestation le 9 février, puis la SFIO et la CGT, de leur côté, décident de manifester dans tout le pays, le 12 février. L’unité à la base prend une nouvelle dimension : des militants des deux cortèges se rejoignent au cri de « Unité ! Unité ! »
C’est bel et bien lors de ces cortèges qui parcourent toute la France que l’élan est donné : c’est le ferment unitaire ou le mortier du combat antifasciste. Certes, les directions des deux organisations de gauche campent sur leur méfiance réciproque, mais on prend conscience du danger des ligues, des fascistes, et il faut savoir les combattre en s’unissant. La donne a donc changé avec les événements du 6 février 1934 et les divisions sont surmontées pour aller vers le rassemblement populaire, qui devient le Front populaire.
Jean Vigreux, «Comment le 6 févier 1934 a précipité la création du Front populaire?» L’Humanité, 16/06/2024