Nous vous proposons la série « La bataille du Front Populaire » en partenariat avec L’Humanité.
Épisode 12. Grèves et occupations d’usine ont étroitement associé Front populaire et mouvement ouvrier mais les campagnes ne sont pas restées à l’écart. Face à la montée du fascisme et contre l’exploitation par les propriétaires fonciers, les paysans se sont aussi mobilisés. Par David Noël, Docteur en histoire.
« Les paysans-travailleurs ne veulent pas du fascisme. Ils ne l’éviteront que si, immédiatement, ils manifestent avec la plus grande énergie leur volonté antifasciste, s’ils apportent leur soutien aux travailleurs des villes qui livrent combat contre le fascisme, s’ils engagent l’action pour défendre leur liberté et leur droit à la vie. »
À peine quatre jours après les événements parisiens du 6 février, la Voix paysanne, l’organe hebdomadaire de la Confédération générale des paysans-travailleurs (CGPT), dénonce le gouvernement d’union nationale formé par Gaston Doumergue, dans lequel elle voit un gouvernement autoritaire au service des capitalistes et des propriétaires fonciers qui rejettera « tout le poids de la crise sur les travailleurs de la ville et des champs, en enlevant à ceux-ci leurs possibilités de défense et de manifestation ».
La crise agricole et la menace du Parti agraire et paysan français
En cette année 1934, la crise frappe durement le monde agricole. De fait, entre 1931 et 1935, la baisse des cours du blé et de la viande fait chuter le revenu agricole moyen des paysans de 25 %. Dans une France qui compte encore 50 % de ruraux, de nombreux métayers ne parviennent plus à payer les loyers agricoles, qui s’élèvent à la moitié de leur récolte. La situation est tout aussi difficile pour les fermiers qui paient un loyer fixe à leur propriétaire.
Dans ce contexte, les partis et mouvements agrariens comme le Parti agraire et paysan français (PAPF), fondé par Fleurant Agricola en 1928, et le mouvement des « chemises vertes », dirigé par Henri Dorgères, un ancien journaliste royaliste devenu admirateur de Mussolini, déploient une grande activité dans les campagnes.
Agrariens et chemises vertes se mobilisent contre les saisies des terres des paysans en faillite. Le 14 janvier 1933, trois mille paysans manifestent à Chartres et envahissent la préfecture. La mobilisation des agrariens culmine avec la journée nationale du 26 novembre 1933.
À deux jours de l’événement, l’Humanité dénonce « la mobilisation fasciste du parti agraire », mais appelle les paysans communistes à participer aux rassemblements sur les mots d’ordre de la CGPT pour ne pas laisser le monopole de l’agitation à des mouvements jugés réactionnaires et fascistes.
Résistance collective contre les saisies des terres des paysans en faillite
Fondée en mars 1929 au congrès de Montluçon, la CGPT succède au Conseil paysan français (CPF). Elle est toujours dirigée par Renaud Jean, député du Lot-et-Garonne de 1920 à 1928 puis de 1932 à 1940. Membre du comité directeur puis du comité central du Parti communiste, membre du bureau politique du PC depuis 1926, le directeur de la Voix paysanne n’hésite pas à exprimer ses désaccords avec l’Internationale communiste et avec la direction du PCF, qui applique la ligne « classe contre classe » à partir de 1928.
Renaud Jean et la CGPT organisent la résistance collective contre les saisies des terres des paysans en faillite, notamment dans le Sud-Ouest, où la CGPT compte plus d’un millier d’adhérents dans le Lot-et-Garonne et 600 en Dordogne. La CGPT revendique de ne plus verser qu’un tiers de la récolte au bailleur, au lieu de la moitié, et, pour les petits propriétaires, avance le mot d’ordre de paiement des impôts en nature.
Renaud Jean et les militants de la CGPT s’opposent également aux saisies-ventes en s’interposant physiquement face aux huissiers et aux gendarmes ou en faisant de l’obstruction en faisant monter les enchères lors des ventes publiques avant de se déclarer insolvable afin de provoquer l’annulation de la vente. Pour le PCF, il s’agit, dans l’action, de démontrer l’efficacité et l’exemplarité des communistes et d’attirer de nouveaux électeurs dans un processus de politisation par les luttes.
Les graines semées lors de la campagne contre les saisies portent leurs fruits. Le PCF gagne en influence dans plusieurs départements ruraux comme l’Hérault ou le Lot-et-Garonne sous l’impulsion de Renaud Jean et François Mioch, le secrétaire général de la CGPT.
Les élections législatives d’avril et mai 1936 voient plusieurs figures du communisme l’emporter dans des territoires ruraux, à l’image de Gustave Saussot, condamné à un mois de prison pour s’être opposé à la saisie d’un métayer et élu député de la Dordogne. Au total, une trentaine des soixante-douze députés communistes élus en 1936 viennent de départements ruraux : le vote communiste n’est plus seulement un vote urbain et ouvrier, il s’est nationalisé.
David Noël, «Comment la Confédération générale des paysans-travailleurs est parti à la conquête des campagnes», L’Humanité, 1/07/2024