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Après les élections aux États-Unis, quelles sont les analyses que l’on peut tirer des évolutions politiques ? De qui Trump compte-t-il s’entourer à la Maison Blanche ? Qu’est-ce que cela révèle sur les politiques qu’il entend mener? La fondation Gabriel Péri a reçu John Mason, professeur de sciences politiques à l’université William Patterson, New Jersey, le mercredi 16 novembre 2016, pour nous éclairer sur ces enjeux. Son intervention est disponible ci-dessous.

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L’Administration Trump. La nomenclature et le système clientéliste.

La  liste de candidats pour le cabinet du président est à regarder de près. Il faut faire un portrait approfondi de chacun, mais déjà on peut cerner qu’il y a une division globale du travail évidente dans ces choix. Cela m’amène à faire une esquisse « criminologique » des cercles de pouvoirs divers organisés autour du personnage de l’ « Empereur-Dieu », lui-même, Donald Trump, qui reste plutôt mystérieux.[1]

Les intendants de la Famille Trump

Avant de commenter la nomenklatura officielle, il faut noter la constitution d’un pouvoir parallèle – la bande des conseillers – composé des membres de sa famille proche : sa fille Ivanka, ses deux frères, Eric et Donald, et le beau fils, Jared Kushner, le mari juif orthodoxe d’Ivanka, qui servent Trump en tant qu’intendants et ministres sans portefeuille. Ce sont ses yeux et ses oreilles (eyes and ears). La fusion potentielle des intérêts de l’organisation Trump et les objectifs de l’administration est problématique[2]. Cela représente par exemple, une violation possible de l’interdiction constitutionnelle – the « foreign emoluments » clause – de l’acceptation de cadeaux de « princes étrangers » par le Président ou son entourage immédiat, dès son inauguration.[3]

Déjà Ivanka a assisté à la réunion privée avec le Premier ministre Abe du Japon en tant que conseiller personnel et à la conversation téléphonique avec le Président Mauricio Marci, de l’Argentine – une conversation qui était suivie par la résolution soudaine d’un obstacle de longe date avec les Argentins concernant la construction d’un hôtel Trump à Buenos Aires.[4]

Selon son entretien avec le New York Times, le Président Trump pense qu’il n’y a pas de contrainte légale sur sa capacité à gérer ses affaires commerciales et les affaires d’État simultanément depuis la Maison Blanche.[5] Bien entendu, cela ouvre la porte à la mise en place d’un système de capitalisme clientéliste qui bénéficiera aux patrons dans les industries qui dépendent des crédits et permis gouvernementaux telles que le bâtiment, les casinos, l’immobilier ou le pétrole. On a appelé cela le « crony capitalism » (capitalisme de connivence), mais étant donné les relations clandestines de Trump avec la Mafia New Yorkaise dans le bâtiment[6], ou sa vie demi-mondaine d’antan avec les jeunes mannequins d’Europe de l’Est recrutées par son agence, Trump Models, on pourrait aussi bien le décrire comme le « Capitalisme de la mafia et du sexe. »[7] En tout cas, on peut dire, pour reprendre la formule heureuse de Philip Golub, « Bienvenue aux États-Unis d’Azerbaïdjan. »[8]

Les courtiers de la Maison Blanche

L’autre pôle du pouvoir est constitué par les conseillers à la Maison Blanche, Steve Bannon, le conseiller et stratège politique, Mike Pence, le Vice-président, et Reince Priebus, le chef de cabinet de la Maison Blanche.  Ces deux derniers représentent des courants conflictuels évangélique et libertarien ultralibéral, présents au sein du Parti républicain dans le Congrès, tandis que Steve Bannon représente, un courant dissident, the « Alt-Right » qui reste à l’extérieur de l’establishment Washingtonien, même s’il est lui-même maintenant parachuté au sommet de l’administration.

Chacun va jouer un rôle central dans l’administration étant donné la tendance de Trump à déléguer la gestion des affaires à ces députés proches. Pence, l’ancien gouverneur d’Indiana et chrétien « dominioniste »[9] qui part en guerre contre l’avortement et la contraception, est censé jour un rôle de Vice-président plénipotentionnaire avec des responsabilités de gestion semblables à celles que Dick Cheney a eu pendant le premier mandat de George W. Bush. Reince Preibus, le chef de cabinet de la Maison blanche, était le chef de la Commission nationale républicaine, et un des rare membres de l’establishment du parti qui est resté fidèle à Trump pendant sa campagne présidentielle. Sa fidélité a été récompensée par sa nomination à ce poste qui lui confie le contrôle des quelques quatre mille postes dans l’équipe présidentielle et la gestion des affaires quotidiennes de la Maison blanche. Preibus est très lié à Paul Ryan, le chef de la majorité républicaine dans la Chambre, et le « Speaker of the House », qui a un programme radicale de réforme de la sécurité sociale et de l’assurance pour les personnes âgées, le Medicare qui vise le démantèlement de ce qui reste du New Deal des années trente[10]. Ces réformes ultralibérales vont à l’encontre des promesses que Trump a faites pendant sa campagne qui visaient à protéger la sécurité sociale et le Medicare, deux programmes desquels dépendent beaucoup de ses électeurs ouvriers[11].

Finalement, il reste l’incontournable Steve Bannon, l’ancien chef du site conservateur, Breitbart.news[12], qui a mené la campagne présidentielle de Trump à sa victoire. Beaucoup de journalistes estime qu’il émergera comme la personnalité dominante dans l’entourage de Trump, en partie parce qu’il contrôle son propre réseaux d’information indépendants des grands médias[13]. Bannon se déclare un « léniniste » qui vise la défaite des establishments des deux partis, des élites financières et des médias des métropoles sur les deux côtes qui sont des Bobos « déracinés » et « métrosexuels »,  coupables d’avoir abandonné la classe ouvrière blanche qui connaît un déclin dramatique de ses revenus par foyer, de la mobilité sociale future de ses enfants et de son espérance de vie (qui a chuté de 5 ans pour les femmes blanches sans diplôme depuis 1992 et de 3 ans pour les hommes dans la même catégorie[14]). Bannon se déclare un « nationaliste économique » et pas un nationaliste blanc – même si son site Breitbart.news joue constamment avec les images et thèmes misogynes, racistes, et antisémites du « nationalisme blanc »[15]. Il a résumé son programme ainsi dans les pages du Hollywood Reporter :

« I’m not a white nationalist, I’m a nationalist. I’m an economic nationalist, » he tells me. « The globalists gutted the American working class and created a middle class in Asia. The issue now is about Americans looking to not get f—ed over. If we deliver » — by « we » he means the Trump White House — « we’ll get 60 percent of the white vote, and 40 percent of the black and Hispanic vote and we’ll govern for 50 years. That’s what the Democrats missed. They were talking to these people with companies with a $9 billion market cap employing nine people. It’s not reality. They lost sight of what the world is about….

Like [Andrew] Jackson’s populism, we’re going to build an entirely new political movement, » he says. « It’s everything related to jobs. The conservatives are going to go crazy. I’m the guy pushing a trillion-dollar infrastructure plan. With negative interest rates throughout the world, it’s the greatest opportunity to rebuild everything. Shipyards, ironworks, get them all jacked up. We’re just going to throw it up against the wall and see if it sticks. It will be as exciting as the 1930s, greater than the Reagan revolution — conservatives, plus populists, in an economic nationalist movement. »[16]

Ce qui est offert ici, c’est une vision de la restauration de l’ère auto-industrielle fondée sur l’exploitation du  charbon, du pétrole et de l’acier. Une vision où l’économie américaine domine à nouveau le monde comme en 1960.  Et où, les hommes en col bleu dominent leur foyer et leur petite femme renvoyée du bureau à leur place subalterne en cuisine. Ce programme reflète aussi un « keynésianisme accidentel »  qui intrigue certains économistes de gauche comme Dean Baker[17], mais qui a peu de chances de survivre dans ce Congrès républicain, ultralibéral.  Paul Ryan va chercher à le transformer en un programme de crédits pour le secteur privé qui n’inclura que peu de fonds pour des investissements dans les grands travaux publics. Donc réductions d’impôts oui, dépenses gouvernementales, non. Et surtout, les femmes au foyer ! Et un modèle clientéliste[18].

Le cabinet

Sur la liste officielle, il est frappant de constater la foule d’anciens officiers militaires – surtout des Marines américains – qui sont dans la course pour les postes de politique étrangère et de sécurité : les généraux Flynn, Mattis et Petraeus qui ont été tous mis à la retraite pendant l’administration Obama. Un des trois, Le général James Mattis des Marines a la réputation d’être un militaire très sérieux, et il est probable qui sera le prochain secrétaire de la défense. Thomas Ricks a beaucoup d’estime pour son intelligence, l’intégrité et sa culture militaire profonde : des qualités qui pourraient être aussi des handicaps possibles pour sa candidature.[19]

Michael Flynn sera le prochain conseiller à la sécurité nationale, il est réputé être un guerrier expérimenté qui a mis en place les équipes des chasseurs d’hommes des Forces spéciales en Afghanistan. Il est aussi réputé être un croisé islamophobe et très russophile[20], pour ne pas dire un fou furieux de plus en plus dérangé[21]. Son approche sera confortée par la nomination de son adjointe, Madame K.T. McFarland, qui a servi dans les trois administrations Bush (père et fils) et qui était une commentatrice sur Fox News, une chaîne de télé très critique à l’égard de l’Administration Obama et sa gestion de la guerre contre l’ « islamisme radical »[22].

Le dernier général sur la liste est David Petraeus, un guerrier et courtier, ancien commandant en Irak et Afghanistan, et ancien directeur de la CIA, contraint de démissionner pour avoir donné des informations confidentielles à sa maitresse journaliste. Il est en compétition pour le poste de secrétaire d’État avec le gouverneur Mitt Romney. Si c’est Petraeus qui l’emporte, la domination des militaires guerriers dans l’équipe chargée de la sécurité nationale sera totale. Et cela suggère que la longue guerre avec l’islam salafiste sera maintenue, et que le Président Trump ne va pas se priver de la boite d’outils meurtriers que Obama lui laisse en héritage. Mais ce genre d’interventionnisme par drone ou des forces spéciales du JSOC (Joint Special Operations Command) pourrait être plus musclé et unilatéraliste. C’est-à-dire « America First » mais avec une politique de défense toujours fidèle à l’interventionnisme armé contre le monde islamiste.[23]

L’autre nom qui est proposé pour le poste de secrétaire d’État, est Mitt Romney, qui s’est opposé farouchement à la nomination de Trump en tant que candidat du parti républicain. Cela, tout comme la nomination de Nickey Haley en tant que Ambassadrice à l’ONU, semble être dictée par une politique de rassemblement des courants au sein du parti républicain et un besoin de modérer l’image de l’administration à l’extérieur. Cependant les conservateurs « pur sucre » au Congrès résiste à Romney, « l’infidèle » et se sont ralliés derrière l’ancien Maire de New York, Rudy Giuliani[24]. Nickey Haley, l’actuel gouverneur du Caroline du Sud, était également opposée à la nomination de Trump, mais elle est une vedette multicolore dont l’étoile monte au sein du parti. Elle n’a aucune vraie expertise dans les affaires internationales, donc elle doit faire son apprentissage sur le tas. Mais si on suit les grandes lignes révisionnistes concernant l’Otan, l’accord de partenariat transpacifique (TPP) ou l’accord de Paris sur le climat, ses tâches seront rudes – sinon impossibles. Alors est-ce que ces nominations représentent une forme de promotion politique, ou un envoi dans un « no mans land » qui serait un une « zone de sacrifice ». Je penche plutôt pour la deuxième hypothèse.[25]

Pour compléter la liste de la sécurité nationale, il y a Mike Pompeo, élu du Kansas et ancien officier de l’arme de terre, qui sera nommé directeur de la CIA. Il a servi dans le « House Intelligence Committee » où il était un critique féroce de l’action de Hillary Clinton pendant l’incident de Benghazi quand des jihadistes ont tué l’Ambassadeur américain en Libye et trois officiers de la CIA. Rudolf Giuliani est un candidat possible pour la direction du renseignement national, ou le secrétaire de de la sécurité intérieure, une nomination qui pourrait le récompenser pour sa fidélité pendant la campagne présidentielle, mais aussi être utile. La présidence pourrait tirer profit des réseaux dans le domaine commercial de sa société privée de sécurité, Giuliani & Partners, qui a vendu ses services au Sultan de Qatar, et à la société canadienne qui est derrière le projet controversé du Pipeline Keystone XL qu’Obama a bloqué. Ses contrats posent néanmoins des problèmes à sa candidature, c’est le moins qu’on puisse dire[26]. Les autres personnalités dans la course pour le poste de directeur de la sécurité intérieure incluent Michael Clarke, le Shérif Noir du Comté de Milwaukee, réputé pour son approche dure du maintien de l’ordre publique et son mépris pour le mouvement « Black Lives Matter » et Kris Kobach, le secrétaire d’État du Kansas, un conseiller de Trump sur l’immigration qui prône une ligne dure sur la déportation de quelques millions d’immigrés sans papiers.[27] On peut interpréter ses nominations à la direction de la CIA et au renseignement intérieur comme la volonté d’unifier le bloc Trumpiste au sein du parti républicain.

Dans le domaine du commerce extérieur, il y a trois nominations importantes. Trump a nommé Wilbur Ross, un businessman qui est devenu milliardaire en liquidant les entreprises d’aciers et des mines de charbon – une carrière de destruction créative qui lui a valu le petit nom de « Vautour »[28] non simplement à cause de ses opérations OPA mais aussi parce que 12 mineurs de charbon ont trouvé la mort dans la Mine de Sago en Virginie de l’Ouest en 2006, suite à l’arrêt des mesures de sécurité dans la mine.[29]  Ross est connu pour ses opérations financière à haut risque, et son opposition sceptique aux traités de libre commerce comme le NAFTA, le TPP ou le TIPP (Traité de libre-échange transatlantique). Il sera soutenu dans cette approche par la nomination au Bureau du représentant américain au commerce, de Dan DiMicco, l’ancien PDG de Nucor Corporation (une société d’acier), et un critique des pratiques commerciales chinoises.



[6]    http://www.politico.com/magazine/story/2016/05/donald-trump-2016-mob-organized-crime-213910

[7]    http://www.thedailybeast.com/articles/2016/10/24/inside-donald-trump-s-one-stop-parties-attendees-recall-cocaine-and-very-young-models.html

[8]    http://www.nytimes.com/2016/11/26/us/politics/donald-trump-international-business.html?emc=edit_ta_20161126&nlid=26329446&ref=cta

[9]     Le dominionisme (dominionism) est un mouvement qui trouve son origine aux États-Unis parmi les protestants conservateurs, et qui cherche à influencer ou contrôler le gouvernement civil à travers l’action politique — l’objectif étant que la nation soit gouvernée par des Chrétiens ou qu’elle soit gouvernée par une compréhension chrétienne de la loi biblique.

[10]  https://newrepublic.com/article/138955/happens-trumps-populism-collides-ryans-austerity?utm_content=bufferfc010&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer

[12]  http://www.politico.com/story/2016/11/breitbart-world-231736?cmpid=sf

[13]  http://crooksandliars.com/2016/11/last-word-bannon-going-eat-reince-priebus

[14]  )https://www.thenation.com/article/what-happened-to-the-white-working-class/

[15]  http://www.motherjones.com/politics/2016/11/trump-white-nationalists-hate-racism-power

[16]  http://www.hollywoodreporter.com/news/steve-bannon-trump-tower-interview-trumps-strategist-plots-new-political-movement-948747?utm_source=twitter

[17]  http://www.newyorker.com/magazine/2016/11/28/why-trump-should-spend-other-peoples-money

[18]  http://www.nytimes.com/2016/11/21/opinion/build-he-wont.html

[22]  http://www.nytimes.com/2016/11/25/us/politics/donald-trump-kt-mcfarland.html?ref=politics

[23]  http://www.tomdispatch.com/dialogs/print/?id=176202

[24]  http://www.nytimes.com/2016/11/24/us/politics/donald-trump-mitt-romney-rudy-giuliani-state.html?ribbon-ad-idx=15&rref=politics&module=Ribbon&version=origin&region=Header&action=click&contentCollection=Politics&pgtype=article

[26]  http://www.nytimes.com/2016/11/16/us/politics/donald-trump-cabinet-rudy-giuliani.html

[27]  http://www.nytimes.com/interactive/2016/us/politics/donald-trump-administration.html?ref=politics&_r=0

[29]  https://www.thenation.com/article/12-coal-miners-died-on-this-mans-watch-in-2006-now-trump-wants-to-make-him-commerce-secretary/