Manouchian, figure littéraire ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

Manouchian, figure littéraire

Dans sa toute dernière lettre à son épouse Mélinée, Missak Manouchian a ces mots : « Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. »

C’est que cet homme qu’un siècle cruel a transformé en Résistant aux mains armées se voulait d’abord poète. Fou de littérature, il se passionne tôt pour Hugo, Rimbaud, Rolland tout en animant une revue culturelle arménienne. Il écrit des articles mais aussi des poèmes. Après sa mort, L’Humanité, Les Lettres françaises, Europe et les éditions communistes (notamment avec l’anthologie de littérature arménienne dirigée par Rouben Mélik) en publieront une partie.

Mais c’est sans doute sa dernière lettre, bouleversante, qui sera vite son texte le plus connu en France.

On l’entend d’ailleurs très nettement dans le poème d’Aragon publié en Une de L’Humanité le 5 mars 1955, alors présenté sous le titre « Groupe Manouchian » – une rue du Groupe Manouchian est inaugurée dans le 20e arrondissement de Paris. La fortune de ce poème – monument à Manouchian et à ses camarades étrangers – tient bien sûr à sa force, à l’écho qu’on y perçoit des mots du résistant arménien, mais aussi à un contexte littéraire et politique.

L’Humanité du 5 mars 1955

En 1956, paraît Le Roman inachevé d’Aragon, recueil poétique à forte dimension autobiographique. Parmi les poèmes retenus : ce « Groupe Manouchian » devenu « Strophes pour se souvenir ». Après des années de sévère isolement qui nuisent à la réception de ses œuvres, Aragon touche là un public plus large que celui des seuls communistes. Ce mouvement se poursuit en 1958 avec la parution de La Semaine sainte qui installe Aragon dans le fauteuil du grand écrivain aux yeux de tous. En 1961, Léo Ferré s’inscrit dans cette dynamique en même temps qu’il va l’amplifier : il propose une interprétation de poèmes d’Aragon pour la plupart issus du Roman inachevé. Parmi ceux-ci, les « Strophes pour se souvenir » librement réintitulées « L’Affiche rouge ».

La puissance du poème, de l’aura d’Aragon et de la trajectoire de Manouchian rencontrent la mise en musique et l’interprétation portées par Ferré, générant autant de secteurs d’écho durable dans la société française.

Pourtant, un hommage important avait, en poésie, précédé celui d’Aragon avec les mots du dernier Éluard dans « Légion » (1950). D’autres mots suivront encore comme ceux de Didier Daeninckx avec Missak (2009).

Missak Manouchian est aujourd’hui un palimpseste mémoriel dans lequel se rencontrent l’Histoire, la politique et la littérature.

Par Guillaume Roubaud-Quashie

L’Humanité, 27 juillet 1953 (source : Gallica – BNF)