Les camps d’internement pour les étrangers ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

Par Louis Poulhès

L’internement trouve son origine dans les mesures prises par les gouvernements de la IIIe République. Celles-ci affectent en premier lieu les étrangers, dès le début de 1939, puis les Français à partir de l’automne 1939. Après juin 1940, le gouvernement de Vichy reprend et développe ces mesures. En zone non-occupée, il est libre de sa politique ; en zone occupée, il prête main-forte aux Allemands, avant que ceux-ci envahissent l’ensemble du territoire en novembre 1942. Avant même cet événement, il se met à leur service en août 1942 pour la déportation des juifs dans la zone qu’il contrôle.

Trois grands ensembles de camps d’internement sont mis en place, à la fin de la IIIe République, pour les étrangers « indésirables », les Espagnols et inter-brigadistes, les ressortissants allemands ou autrichiens.

Étrangers « indésirables ». Le décret-loi du 2 mai 1938 prévoit l’assignation à résidence des étrangers en situation irrégulière et celui du 12 novembre 1938 l’internement des« indésirables étrangers », qui « ne peuvent sans péril pour l’ordre public, jouir de cette liberté encore trop grande que leur conserve l’assignation à résidence ». Le premier « centre spécial de rassemblement d’étrangers » pour ces étrangers considérés comme « dangereux pour l’ordre public et la sécurité » est créé au Rieucros près de Mende le 21 janvier 1939. Il ouvre le 9 février 1939 et compte déjà une quarantaine d’internés dès le 17 février 1939.

Immédiatement après la déclaration de guerre, dès le début septembre 1939, plus de 400 étrangers suspects non ressortissants des puissances ennemies, dont une soixantaine de femmes, sont également internés dans des conditions irrégulières, à la prison de la Santé, de Fresnes ou de La Roquette avant d’être, soit libérés, soit transférés dans des camps en province. Une réorganisation des camps est effectuée en octobre 1939. Le Rieucros est transformé en camp pour les femmes étrangères suspectes, Le Vernet devient un camp disciplinaire pour les hommes.

Espagnols et inter-brigadistes. À la suite de la défaite républicaine, 450 à 500 000 réfugiés passent la frontière française fin janvier-début février 1939. Après triage, ils sont accueillis dans des camps dit « de triage » ou « de contrôle » au Boulou et à Bourg-Madame pour les femmes, enfants et vieillards avant d’être dispersés dans l’intérieur de la France, et d’autres camps dans l’arrière-pays du Roussillon : Arles-sur-Tech, Prats-de-Mollo, Saint-Martin, Sitjes, Corsavy, Saint-Laurent de Cerdans pour une courte durée. De grands camps sont improvisés pour les soldats républicains sur les plages du Roussillon, clôturées, sans baraques et sévèrement gardés, à Argelès, le Barcarès, Saint-Cyprien, pour environ 200 000 hommes.

Afin de limiter le nombre de camps dans les Pyrénées-Orientales et désenclaver les premiers camps, six grands camps sont ouverts en retrait de la frontière, en principe spécialisés et d’une contenance de 15 000 à 18 000 places chacun, pour y accueillir 100 000 personnes : Bram (Aude) pour les vieillards, Agde (Hérault) et Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) pour les Catalans, Gurs (Basses-Pyrénées) pour les Basques et Septfonds (Tarn et Garonne) et Le Vernet (Ariège) pour les ouvriers à reclasser dans l’économie française. Ils sont construits en mars-avril 1939, mais la spécialisation initiale est rapidement dépassée.

Une partie des réfugiés rentre progressivement en Espagne, une partie émigre dans d’autres pays, d’autres sont dispersés en France. En juin 1939, se trouvent encore dans des camps, dans des conditions juridiques imprécises, 160 000 personnes, 80 000 en décembre 1939. Ils ne sont plus que quelques milliers à la fin du printemps 1940, alors que 125 000 Espagnols demeurent en France, engagés dans des Régiments de marche de volontaires étrangers et la Légion étrangère, réquisitionnés dans les Compagnies de travailleurs étrangers dispersés sur le territoire métropolitain ou déplacés à l’intérieur du territoire.

– Ressortissants allemands et autrichiens. Le 5 septembre 1939, il est demandé aux « ressortissants de territoires appartenant à l’ennemi » de sexe masculin âgés de 17 à 50 ans de rejoindre des centres de rassemblement : camps militaires, casernes, prisons, terrains de sport ; dans la région parisienne, la cité de la Muette à Drancy, le stade Roland Garros, le stade de Colombes, le Vélodrome d’hiver, le stade Buffalo à Montrouge, les écuries de l’hippodrome à Maisons-Laffitte. Le 14 septembre 1939, les hommes de 50 à 65 ans ressortissants allemands et autrichiens sont à leur tour convoqués pour être internés. Ces internés sont progressivement soit libérés par des commissions de criblage, soit répartis dans de très nombreux centres dans toute la France, anciennes usines, fermes, granges ou moulins, écoles ou colonies de vacances, salles de spectacle. Le plus grand est la briqueterie des Milles à Aix en Provence.

À la suite de l’invasion allemande, une nouvelle vague d’internements est effectuée les 14 et 15 mai 1940. Les « ressortissants allemands et étrangers de nationalité indéterminée, mais d’origine allemande », hommes de 18 à 55 ans, mais aussi femmes célibataires ou mariées sans enfants, qui n’y avaient pas été soumises en septembre 1939, sont convoqués dans des centres de rassemblement : à Paris, le stade Buffalo pour les hommes, le Vélodrome d’hiver pour les femmes. Nombre des internés de septembre-octobre 1939, libérés entre-temps, se retrouvent ainsi internés de nouveau à l’approche des armées allemandes.

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La plupart des internés de la fin de la IIIe République sont soit évacués en hâte vers le sud de la France en mai-juin 1940, soit déjà présents dans les camps qui y sont implantés. Les seuls camps d’internement à l’été 1940 sont désormais situés en zone non-occupée et gérés librement par le gouvernement de Vichy. La spécialisation entre camps pour les étrangers et camps pour les Français demeure fondamentale dans leur organisation. À la fin de l’année 1940, on y compte environ 35 000 à 40 000 internés étrangers, dont une part importante de juifs (peut-être 70%), sur des bases juridiques diverses ou floues.

Des grands camps de la période espagnole, ceux du Barcarès (Pyrénées-Orientales) et de Septfonds (Tarn-et-Garonne) sont à cette date inoccupés, Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) est fermé pour cause d’inondation fin octobre 1940 et ses 3 600 internés transférés à Gurs. Bram (Aude) est également fermé début décembre 1940. Seuls trois grands camps « généralistes » Argelès (Pyrénées-Orientales), Gurs (Pyrénées-Atlantiques) et Agde (Hérault) subsistent, trois autres camps étant dotés d’un statut particulier : Le Vernet (Ariège) disciplinaire, Les Milles (Bouches-du-Rhône) pour les hommes en instance d’émigration, Rieucros (Lozère) pour les femmes. Trois nouveaux camps sont ouverts au début de 1941 : Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), le Récébédou et Noé (Haute-Garonne), ces deux derniers étant considérés comme des camps-hôpitaux.

Argelès (Pyrénées-Orientales), ouvert en février 1939 et dernier des camps sur les plages de la Méditerranée, enferme encore 14 000 personnes à l’hiver 1940-1941, sous-alimentées et exposées à des vents glacés dans des baraquements de fortune. Le camp n’est fermé qu’en octobre 1941.

Gurs (Basses-Pyrénées) situé à quelques kilomètres d’Oloron-Sainte-Marie est un très vaste camp construit sur 5 kilomètres de long et 500 mètres de large, de part et d’autre d’une rue qui le traverse sur sa longueur avec sept et six ilots, chacun de 200 mètres de long et de 100 de large contenant 30 baraques, pour un total de 382. Le 10 mai 1939, au maximum de sa population, 19 000 hommes y sont enfermés, Espagnols républicains et anciens des Brigades internationales. Ils ne sont plus que 2 500 début mai 1940. En mai et juin 1940, le camp reçoit une nouvelle population, qualifiée d’« indésirables » : des femmes et des enfants (près de 10 000 femmes, principalement allemandes et pour la plupart antinazies et juives comme Hanna Arendt), mais aussi 1 300 politiques français sous statut de préventionnaires transférés de la prison militaire de Paris et de Bordeaux, ainsi que 1 800 Espagnols. De ce fait, le 22 juin 1940, l’effectif du camp est remonté à 12 000 internés. En conséquence de la défaite, les femmes sont libérées massivement à partir de juillet et la plus grande partie des Françaises transférées. L’effectif du camp retombe à 3 300 personnes en octobre 1940 (1 600 Espagnols et 1 000 femmes étrangères restées au camp). Dans la dernière semaine d’octobre 1940, 11 000 personnes, entrent à Gurs, qui devient un camp juif. Presque tous sont d’origine allemande avec principalement 6 500 juifs hommes, femmes et enfants, avec également beaucoup de personnes âgées, provenant directement du pays de Bade, de Sarre et du Palatinat et 3 900 hommes transférés du camp de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales). Jusqu’à la fin de 1940, 650 personnes entrent encore au camp. L’hiver 1940-1941 est la période la plus sombre de son histoire. Avec la faim, le froid, la vermine, la maladie, les rats, la boue, l’abandon, le désespoir des internés est total. Près de 700 personnes décèdent d’octobre 1940 à mars 1941, dont 470 pour les seuls novembre et décembre 1940, soit une moyenne de huit morts par jour !

La boue de Gurs (Source : Amicale du Camp de Gurs). Gurs est sans doute le camp dans lequel les conditions de vie sont les plus épouvantables à l’hiver 1940-1941 pour les 12 000 internés du camp, alors en quasi-totalité des juifs allemands.

Compte-rendu de visite à Gurs du Secours suisse, fin décembre 1940

« Nous entrons dans une vieille baraque d’hommes qui sont tous sexagénaires, quelques-uns octogénaires. Il fait sombre dans la baraque car il n’y a pas de fenêtres. Les paillasses sont empilées les unes sur les autres. Des formes maigres et sans vie sont étendues ou accroupies. Il n’y a ni chaise, ni table, ni armoire. Aux poutres, contre le faîte, pendent quelques habits humides. Sur les places primitivement prévues, contre les murs, est entassé ce que les internés possèdent encore. Nous regardons, les yeux agrandis par l’horreur. Et soudain, une voix crie dans l’obscurité : « Combien de temps devrons-nous encore rester ici ? Le monde sait-il ce qui nous arrive ici ? ». Sur une paillasse est couché un vieil homme, le visage marqué par la faim et les privations. Il déclare doucement : « Nous avons faim. Tous. Tout le temps ». » (Source : Amicale du camp de Gurs)

Les trois années suivantes, près de 5 900 hommes, femmes et enfants sont encore internés à Gurs : 1 510 en 1941, 2 245 en 1942 et 2 130 en 1943. C’est l’époque pendant laquelle des petits groupes y sont transférés en provenance d’autres camps, mais plus encore l’époque des rafles. Le 25 septembre 1943, un coup de main de la Résistance permet de dérober une importante quantité d’armes. Le camp est fermé le 1er novembre 1943, mais réouvert le 9 avril 1944 et sert de lieu d’internement à 229 hommes, femmes et enfants jusqu’à la libération du département le 26 août 1944. Le 11 août 1944, la Résistance réédite le coup de main du 25 septembre 1943 et une vingtaine de gardiens prennent le maquis. Le 30 août 1944, 300 prisonniers de guerre allemands y sont amenés.

Sur les 60 000 personnes passées par Gurs entre 1939 et la Libération, 42 000 l’ont été sous l’administration de la IIIe République, 18 000 sous celle de Vichy dont 11 000 en 1940 et 7 000 entre 1941 et 1943. Au total, 3 900 personnes seront déportées directement du camp en août 1942 et fin février-début mars 1943 vers Auschwitz et Maidanek. On estime cependant que parmi les 18 000 internés passés à Gurs sous Vichy, les quatre cinquièmes ont été déportés à l’issue de leur parcours dans différents camps.

Vue de Gurs (en 1939). Source : Archives nationales

Agde (Hérault), ouvert en mars 1939 pour les Catalans et pouvant alors contenir jusqu’à 24 000 personnes, est devenu camp des militaires volontaires tchèques en septembre 1939, mais tous ont quitté les lieux fin août 1940. À partir de septembre 1940, 3 300 travailleurs indochinois prestataires y sont également hébergés. Transformé à la fin 1940 en centre de rassemblement des étrangers, le camp compte début décembre 1940, 5 900 étrangers d’une trentaine de nationalités : 2 716 hommes (dont 904 Espagnols), 1 803 femmes et 1 378 enfants, avant des transferts importants vers Argelès et Rivesaltes en janvier, en majorité de juifs polonais. Le camp est quasiment vide à la mi-janvier 1941. En août 1942, 1 000 juifs de l’Hérault allemands et autrichiens sont rassemblés à Agde, une partie est transférée à Rivesaltes, puis déportée. Le camp est démantelé à l’automne 1943.

Le Vernet (Ariège) ouvert en mars 1939 accueille environ 20 000 personnes essentiellement des Espagnols entre mars et septembre 1939. Entre mai et août 1939, 7 000 d’entre eux sortent du camp, dont 4 300 rapatriés volontaires ou forcés en Espagne et 1 100 engagés dans les Compagnies de Travailleurs Étrangers. Du 20 au 22 septembre 1939, le camp est vidé en trois convois avec 7 300 personnes envoyées à Septfonds. Près de 400 Espagnols restent sur place en vue du nettoyage et de l’aménagement du camp. Le Vernet devient un camp disciplinaire d’hommes en octobre 1939, avec environ 15 000 « indésirables » étrangers d’environ 70 nationalités qui se succèdent jusqu’au 30 juin 1944, date de sa fermeture. Un premier convoi de 58 internés arrive de Gurs le 2 octobre 1939, un deuxième du Rhône avec 71 internés, un troisième le 7 octobre avec 56 internés provenant de Rieucros, suivi le 12 octobre 1939, d’un important convoi avec 465 internés provenant de Roland Garros à Paris, composé principalement d’intellectuels et d’artistes. Le 13 octobre 1939, les effectifs du camp sont de 933 personnes, 1 257 le 1er novembre, 1 716 le 1er décembre, 2 389 le 1er février 1940.

En principe, les internés sont divisés en trois groupes, répartis dans les différents quartiers du camp : les « droits communs » au A (8 baraques), les « politiques » au B (19 baraques) et les « suspects » catégorie très imprécise au quartier C (18 baraques ; Arthur Koestler y est interné comme d’anciens brigadistes transférés de Saint-Cyprien ou d’Argelès), le T (3 baraques) étant réservé aux internés en transit. Chaque baraque, compte 33 mètres de long par 6 mètres de large avec des lits superposés. D’octobre 1939 au 6 juillet 1940, environ 6 000 personnes y ont été internées ; il en reste 4 884 au 6 juillet 1940, de 58 nationalités, la plupart anciens des Brigades internationales avec un nombre important de juifs.

La direction clandestine du camp est dominée par les communistes allemands avec Franz Dahlem, numéro 2 du KPD, mais aussi d’autres internationaux comme Luigi Longo, dirigeant du Parti communiste italien ou Ljubomir Ilič, yougoslave et futur chef militaire national de la MOI. À partir de l’automne 1940 et jusqu’au printemps 1941, le « collectif international » organise grèves et manifestations. Le 26 février 1941, une révolte contre l’état sanitaire catastrophique, les brutalités des gardiens et la famine amène les internés à neutraliser les gardes. L’assaut est donné par les forces de l’ordre et une centaine d’internés sont arrêtés puis transférés à Djelfa en Algérie. Différents transferts, notamment en Algérie (au total 745 internés y sont déportés) et des libérations réduisent la population du camp à 1 700 internés en décembre 1941.

À partir de l’été 1942, Le Vernet sert aussi de camp de transit pour les juifs raflés en Ariège et dans le Gers. Ainsi, en août, 470 personnes dont 46 enfants de 2 à 17 ans sont transférés à Drancy en trois convois et les déportations continuent par la suite. En juin 1944, les Allemands qui ont pris le contrôle du camp déportent 43 hommes le 20 juin, puis les 403 derniers internés (dont cinq femmes) le 30 juin 1944, transférés à Toulouse, puis déportés le 3 juillet par le « Train Fantôme », qui mettra presque 2 mois pour arriver au camp de concentration de Dachau. Au total de 1939 à 1944, près de 40 000 personnes y ont été enfermées et 4 679 d’entre elles déportées dans vingt-six convois.

L’entrée du camp du Vernet. Source : Archives nationales

Rieucros, situé près de Mende en Lozère, est le premier camp créé le 27 janvier 1939 pour les « étrangers indésirables », sur le fondement du décret xénophobe du 12 novembre 1938. Il reçoit une quarantaine d’hommes, la plupart anciens des Brigades internationales en février 1939. Il est cependant transformé en camp pour les femmes étrangères par une circulaire du 17 septembre 1939, Le Vernet en camp disciplinaire pour les hommes. Les 67 hommes qui y sont internés partent pour le Vernet le 6 octobre 1939. Les 84 premières femmes étrangères arrivent le 18 octobre 1939 en provenance de la Roquette. Les premières françaises n’y entrent qu’en novembre 1940 et elles restent toujours très minoritaires. D’une capacité théorique de 600 personnes, le camp détient une population très composite allant des nourrissons aux personnes âgées, avec des suspectes politiques, des droits communs, des internées pour motifs divers, quelques nomades. Il compte un maximum de 570 femmes et 42 enfants le 11 juillet 1940, 325 femmes, 40 enfants et 17 nationalités dont 40 Françaises en 1941. 390 internés dont 36 enfants, 90 Françaises et 264 étrangères le 24 janvier 1942. Le 13 février 1942, le camp ferme et un convoi de 320 femmes et 26 enfants part pour le camp de Brens. Environ 1000 personnes y ont été internées.

Le camp des Milles (Bouches-du-Rhône) est particulier, à la fois par sa situation, à Aix-en-Provence près de Marseille, par sa fonction de transit et par le grand nombre des artistes et intellectuels qui y ont été internés. Ouvert dans une briqueterie en septembre 1939 pour les ressortissants « des puissances ennemies », il est fermé en avril 1940, puis réouvert avec l’offensive allemande de mai 1940, les femmes étant regroupées dans des hôtels à Marseille (Levant, Bompard, Terminus des Ports). Le 22 juin un train emporte 2 000 internés vers Bayonne, mais fait demi-tour et ses occupants sont internés dans un camp de toile à Saint-Nicolas du Gard près de Nîmes.

Le camp des Milles : le bâtiment principal, la briqueterie. Source : archives nationales.

S’il reste néanmoins encore 1 000 internés à l’armistice fin juin 1940, début août le camp ne compte plus que 150 internés, aux deux-tiers Juifs, car outre les évadés, 750 choisissent d’être rapatriés en Allemagne. Le camp se remplit de nouveau avec le retour des internés de Saint-Nicolas du Gard à la fin août. En octobre 1940, le camp est transformé par Vichy en camp de transit pour des étrangers en instance d’émigration. Son effectif est de 830 internés en mars 1941, plus de 1 300 en 1942, Allemands et Autrichiens pour les trois quarts. Si nombre d’internés (Lion Feuchtwanger, Franz Hessel, Max Ernst, Hans Bellmer) réussissent à émigrer, d’autres sont embauchés dans des GTE. En août 1942, les juifs étrangers hommes, femmes et enfants, raflés par la police française dans toute la région, sont rassemblés aux Milles. Au total, plus de 2 000 personnes sont transférées des Milles vers Drancy, en août-septembre 1942, et la grande majorité déportée vers les camps d’extermination. Le camp est réquisitionné par l’armée allemande le 4 décembre 1942, fermé le 15 mars 1943 et transformé en dépôt de munitions.

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Pour répondre aux protestations des organisations humanitaires internationales principalement sur l’état des camps en France, le ministre de l’intérieur de Vichy crée trois nouveaux camps au début de 1941 qui ont pour fonction de servir d’exutoire aux grands camps du midi. D’une part, il créé un grand camp à Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, d’autre part, deux camps-hôpitaux dans les environs de Toulouse à Noé et au Récébédou vitrine du Gouvernement français, mais qui deviennent vite des mouroirs.

Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) est le plus important de ces camps. La moitié de cet ancien camp militaire (300 hectares !) étant mise à disposition du ministère de l’intérieur pour constituer un camp « de regroupement familial », le camp reçoit ses premiers internés en janvier 1941, avec 1 500 personnes en provenance du camp d’Agde. Il compte 1 900 internés fin janvier 1941, 4 200 fin février avec notamment l’arrivée des 800 internés de Brens fin février, 6 200 fin mars avec en particulier le transfert des 1 200 internés en provenance de Gurs (dont près d’une moitié d’enfants) à la mi-mars 1940, puis 8 100 fin avril 1941 à son maximum de population. Il fonctionne ainsi à plein régime à partir du printemps 1941 et enregistre 11 000 entrées entre janvier et la fin juin 1941. À l’été 1942, trois ilots du camp deviennent officiellement un « centre inter-régional de rassemblement des Israélites », devenant le « Drancy de la zone sud ». Le camp joue alors un rôle clé dans la politique de collaboration en regroupant les juifs étrangers avant leur déportation à Auschwitz. Sur les quelques 5 000 Juifs internés à Rivesaltes entre août et novembre 1942, si 2 289 hommes, femmes et enfants partent en neuf convois à partir du 11 août 1942, plus de la moitié des internés juifs de Rivesaltes échappe cependant à ces départs grâce au travail des œuvres d’assistance. Le 22 novembre 1942, les Allemands qui ont envahi la zone sud dix jours auparavant vident le camp et les derniers internés sont dispersés vers d’autres camps, Gurs ou Saliers, ou transférés dans des Groupements de Travailleurs Étrangers. Au total, 17 500 personnes ont été internées à Rivesaltes, dont 53% d’Espagnols, 40% de juifs étrangers et 7% de Tsiganes français (source : Mémorial du camp de Rivesaltes).

Le Récébédou (Haute-Garonne) dans la banlieue sud de Toulouse, a été construit en 1939 afin d’accueillir les familles ouvrières des Poudreries nationales de Toulouse. Il a initialement reçu des réfugiés, espagnols d’abord puis belges en juin 1940. Après octobre 1940, des juifs et étrangers viennent grossir les rangs. Le camp est aménagé à partir de février 1941 en camp-hôpital, avec une partie faite de plus de 80 pavillons en dur et une partie clôturée pour les étrangers à surveiller. Prévu pour accueillir 1 600 internés, le camp reçoit jusqu’à 1800 personnes en avril-mai 1941. La situation se dégrade rapidement, par suite du manque d’hygiène et de l’insuffisance de l’alimentation, de chauffage ou de médicaments, avec un grand nombre d’internés âgés et malades, qui facilitent le développement de la tuberculose, la cachexie (maladie de la faim), le typhus et la dysenterie et font grimper la mortalité. À l’été 1942, le camp est inclus dans le programme de la solution finale. Trois convois de 749 internés partent via Drancy, vers Auschwitz et les autres camps d’extermination. L’activité du camp cesse à la fin de septembre 1942 suite à l’intervention du cardinal Saliège archevêque de Toulouse et le camp est vidé avant le 1er octobre 1942.

Noé (Haute-Garonne) situé à 35 km au sud-ouest de Toulouse est occupé dès la fin de février 1941 par un peu plus de 1 500 étrangers, pour moitié des Espagnols provenant des camps d’Argelès et d’Agde, pour l’autre des juifs issus du camp de Gurs principalement allemands, proportion à peu près conservée jusqu’en février 1942. En août 1942, 520 juifs partent de Noé, 350 internés sont transférés au Récébédou pour être déportés, 170 raflés de Toulouse sont d’abord rassemblés à Noé en septembre 1942 puis rapidement déportés. Noé devient ensuite un camp comme les autres. Le camp-hôpital disparaît en septembre 1943, avec le départ de 650 internés étrangers âgés difficiles à entretenir, soit près de la moitié de l’effectif, il reste 380 Espagnols et 280 juifs qui vivent entourés de barbelés dans deux îlots spéciaux, l’un pour les Français, l’autre pour les étrangers. En mai 1944, la population juive restante est déportée via Drancy. Le 30 juillet 1944, les Allemands déportent encore 163 personnes à Buchenwald et Ravensbrück dont 42 Français, des Espagnols, des Italiens et des Britanniques. Le camp est libéré par la Résistance le 19 août 1944. Au total entre 1940 et 1944, environ 3 000 personnes y ont été enfermées et plus de 300 internés y ont perdu la vie.

Un dernier camp, celui de Brens (Tarn) situé aux portes de Gaillac à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Toulouse est dans une situation encore plus particulière puisqu’il est le seul consacré en totalité à l’hébergement de Juifs, constitué comme tel en novembre 1940, sur initiative de la préfecture de la Haute-Garonne et du Comité juif de bienfaisance de Toulouse, pour héberger une partie des Juifs étrangers sans ressources qui ont fui l’avance nazie et se sont réfugiés à Toulouse. Pendant quatre mois, 1 600 personnes, dont 400 enfants, pour près de la moitié d’origine polonaise y sont installées dans un camp ouvert et sans barbelés. C’est à partir de janvier 1941 que la libre circulation à l’extérieur étant interdite, le camp de réfugiés se transforme en un camp d’internement et que les anciens hébergés sont pris au piège. Dans la deuxième quinzaine de février, soixante vieillards et malades sont transférés à Noé, puis 800 personnes à Rivesaltes. Début mars les dernières 450 personnes sont transférées à Gurs et le camp fermé. Il ne rouvre qu’en février 1942, ayant été retenu comme « camp de concentration pour femmes », en recevant le 13 février 1942 les 320 femmes et 26 enfants de Rieucros qui est alors fermé. Le camp de Brens est fermé début juin 1944, 150 internées étant transférées à Gurs.

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