Le procès du «groupe Manouchian» ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

L’arrestation en novembre 1943 du groupe des FTP-MOI de la région parisienne ouvre une séquence forte de la propagande allemande et vichyste : il s’agit d’insister sur le caractère judéobolchevique des « terroristes » et sur leur nationalité étrangère. De cette chute, on garde en mémoire l’Affiche rouge publiée au moment du procès qui a lieu du 15 au 18 février 1944, devant la cour martiale du tribunal allemand auprès du commandant du Grand Paris, dans la salle Royale de l’hôtel Continental. Les partisans comparaissent devant la section B du tribunal du KGP [Kommandant von Groß-Paris] et sont condamnés à mort.

Des archives instructives

Depuis peu, grâce à l’ouverture des archives de la Seconde Guerre mondiale, il a été possible de retrouver une trace de ce procès au sein des archives du Service historique de la Défense à Vincennes. Dans ce dossier, il y a les documents relatifs à l’exécution des peines de mort, ayant tous le même modèle avec ces mots : « affaire pénale contre Manouchian et autres, comme franc-tireur » reproduisant l’ensemble des bulletins de décès constatés par les Allemands (en langues allemande et française, pour chacun des fusillés du 25 février 1944) et un document important, comprenant une liste d’une page récapitulant le procès dans la « salle royale de l’hôtel Continental ».

© Archives du Service historique de la Défense à Vincennes, "affaire pénale contre Manouchian et autres, comme franc-tireur"
© Archives du Service historique de la Défense à Vincennes

Ces documents rappellent la notion de « Freischärlerei » (« franc-tireur » ou « partisan ») qui selon la norme allemande méritent d’être fusillés.

© Archives du Service historique de la Défense à Vincennes

Grâce à ce document, on peut voir la composition du jury qui comprend quatre membres :
– le Dr Erich Eckardt, au départ avocat allemand, devenu professeur d’université, SS-Sturmbannführer et historien juriste du régime nazi ;
– le Dr Alfred Häbler, juge du Kommandant von Groß-Paris. Il a à peu près le même profil que son collègue, Erich Eckardt, adhérent au NSDAP, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands. Il est un juriste reconnu du Reich. 
Ils sont accompagnés de deux « assesseurs » major von Roehl et major Hage.

On peut également lire sur le document les noms des avocats commis d’office pour chaque groupe d’accusés. Généralement, ces avocats sont choisis quelques heures avant le procès parmi les soldats ou feldgendarmes, la police militaire allemande. Ils font, de fait, de la figuration.

L’utilisation d’arguments xénophobes, antisémites et anticommunistes

Sur ce document tapuscrit, il faut aussi voir les ajouts à la main pour identifier le « groupe spécial », qui a perpétré l’attentat contre Julius Ritter, mais également les lettres « K » et les lettres « J » repérant les membres communistes et juifs de la MOI, tout comme le terme « führer » (chef) qui désigne Manouchian et Boczov.

Si l’Affiche rouge et la brochure éditées n’ont pas les effets escomptés, la presse aux ordres publie intégralement les communiqués de l’Office français d’information. L’une d’entre elles, en date du 18 février, très explicite est reprise par l’ensemble de la presse nationale et de province :

« Une cour martiale allemande juge soixante-dix terroristes
Note pour MM. les rédacteurs en chef. L’information ci-dessous ne doit pas être publiée avant demain, 19 février 1944. Paris, le 18 février 1944. Soixante-dix individus accusés d’attentats terroristes, déférés à la cour martiale auprès du commandant du Grand Paris, viennent d’être jugés par cette juridiction. Les moins compromis ont été condamnés à des peines d’emprisonnement ou de travaux forcés suivant la gravité de leur cas. […] Après la guerre de 1914-1918, sont fondés, en France, les « MOI », lettres qu’il faut traduire « Mouvement ouvrier immigré », ou bien « Mouvement ouvrier international ».
Peu à peu, des communistes étrangers, s’expatriant pour des raisons politiques ou à la suite de délits de droit commun, se groupèrent au « MOI » et furent répartis, suivant leur nationalité, en sections distinctes, dont la direction était, dit l’accusation, exclusivement assurée par des Juifs. Et puis, en 1941, au sein de ce « MOI » fut fondé un groupe terroriste, appelé « FTP », c’est-à-dire « Francs-tireurs et partisans », qui devait lutter contre les éléments de l’armée d’occupation. Ces « FTP » étaient organisés militairement, avec un chef politique, ayant à ses côtés un chef militaire. Chaque groupe était constitué de deux à cinq hommes.
Les vingt-quatre accusés avaient à leur tête le nommé Missak Manouchian, né le 1er septembre 1906, en Arménie turque, venu en France en 1924, et qui a fait son service militaire dans notre armée, avant d’être affecté spécial pendant cette guerre. (…) En tout cas, les groupes terroristes étaient organisés d’une façon militaire, avec des chefs, numéros matricules, comprenant des échelons, ne correspondant entre eux que par le seul « responsable » (OFI, Paris, 1583) ».

De tels arguments xénophobes, antisémites et anticommunistes sont utilisés afin de discréditer la Résistance aux yeux de l’opinion française.  Les partisans sont condamnés à mort et doivent être fusillés.

La contre-propagande

Toutefois, avec d’autres moyens, il y a une contre-propagande qui publie plusieurs tracts ou articles clandestins saluant ces héros, immigrés, qui ont donné leur vie pour la France, la République.

Humanité clandestine du 1er mars 1944 (BNF, Gallica).

Le PCF publie un texte dans L’Humanité clandestine dès le mois de mars qui évoque le procès et l’exécution du groupe Manouchian ainsi qu’un tract édité en leur honneur. Les Lettres françaises clandestines et La Vie de la MOI célèbrent aussi « les martyrs » et les « travailleurs immigrés », « frères de lutte ». Dans La Vie de la MOI du 1er avril 1944, par exemple, est rappelé « l’échec de la campagne de xénophobie » :

« L’ennemi a tenté de diviser les patriotes en déclenchant une campagne de xénophobie. Il a voulu dresser les Français contre les travailleurs immigrés, qui participent à la lutte contre les occupants. Après plusieurs mois de cette campagne, nous pouvons enregistrer son échec total. Jamais encore l’union des immigrés avec le peuple français n’a été si étroite qu’à l’heure actuelle. On peut dire que le procès spectaculaire organisé contre les F.T.P. Immigrés a donné des résultats opposés aux buts que les nazis se sont assignés. Beaucoup de Français, qui se laissaient entraîner auparavant par des campagnes de xénophobie, ont maintenant compris que les travailleurs immigrés sont leurs frères de lutte.
Cet échec des nazis et de leurs valets réjouit tous les patriotes et en premier lieu les immigrés. Mais il ne doit pas nous inciter à l’insouciance. Les hitlériens se sentent perdus et pour se sauver ils recourront à toutes les provocations possibles et développent continuellement des campagnes de division, en se servant de préférence de l’argument de l’antisémitisme et de xénophobie. Notre campagne pour une union toujours plus étroite des travailleurs immigrés avec le peuple français ne doit donc pas se ralentir.
Mais nous voulons insister aujourd’hui sur un autre aspect du problème. Les immigrés ne sont pas prêts d’oublier les 23 combattants héroïques de différentes nationalités que les nazis ont assassinés à la suite du procès des FTP immigrés et qui s’ajoutent à la longue liste des centaines de martyrs immigrés dont le sang a coulé pour la libération de la France. Tous ces martyrs doivent être vengés. Il ne suffit pas glorifier les héros. Il faut payer aux boches leurs crimes. Aussi les Immigrés doivent-ils renforcer la lutte armée contre les occupants et y entraîner les masses les plus larges de leurs compatriotes ».

Par Jean Vigreux