Le Pacte germano-soviétique ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

Le Pacte germano-soviétique

Le 24 août 1939, à la surprise générale, le monde apprend que l’Allemagne d’Hitler et l’Union soviétique de Staline viennent de signer à Moscou un pacte de non-agression valable pour dix ans. Il est accompagné d’un protocole secret – l’URSS n’en reconnaîtra l’existence qu’en 1989 – qui délimite les sphères d’influence des signataires en Europe de l’Est et qui envisage la récupération par l’URSS des territoires polonais que la Russie avait dû abandonner en 1920.

Le ministre soviétique des Affaires étrangères Molotov signe le pacte de non-agression germano-soviétique ; Joachim von Ribbentrop et Josef Staline se tiennent derrière lui, Moscou, 23 août 1939. Collection Von Ribbentrop. © Archives nationales des États-Unis.

Quelques jours auparavant, les Soviétiques ont ajourné les négociations qui s’étaient ouvertes le 11 août entre l’URSS et des délégations militaires de France et du Royaume-Uni. Aux yeux des négociateurs soviétiques, les atermoiements britanniques et français laissent entendre que les deux puissances occidentales n’ont pas renoncé à leur espoir d’un affrontement entre l’Allemagne et la Russie. La signature du pacte germano-soviétique est préparée dans le plus grand secret par Staline et son entourage le plus proche. Elle prend à contre-pied la direction soviétique dans sa majorité, les responsables de l’Internationale présents à Moscou et la totalité de ses sections nationales.

L’Humanité du 23 août 1939 (Disponible sur Gallica).

La justification du pacte par la PCF

Le PC français n’échappe pas à la règle. Désarçonné par la nouvelle, ignorant l’existence du protocole secret, il s’empresse de justifier la décision soviétique en fustigeant les hésitations franco-britanniques des mois précédents. Mais il ne considère pas que le choix diplomatique de l’URSS remet en question la stratégie communiste des temps de Front populaire. « Union de la nation française contre l’agresseur hitlérien », titre L’Humanité du 26 août.

Une de l’Humanité du 26 aout 1939 (disponible sur Gallica).

Le 2 septembre, les députés communistes votent les crédits de guerre et les militants, Thorez en tête, partent pour l’armée. Quand ils le font, ils ne sont pas en rupture avec une direction de l’Internationale communiste (IC) qui, le 22 août, envoie à ses sections nationales un télégramme rappelant que les PC « doivent continuer avec encore plus énergie leur lutte antifasciste contre agresseurs et surtout fascisme allemand ».

Mais le 7 septembre, une rencontre entre Dimitrov, Staline et ses proches marque un revirement complet. Staline, qui s’est toujours méfié de ses interlocuteurs français et britanniques, offre un nouvel environnement au pacte signé quelques jours plus tôt. « Ce ne serait pas mal si l’Allemagne, de ses mains, pouvait ébranler la situation des pays capitalistes les plus riches (surtout l’Angleterre). Sans le comprendre ni le vouloir, Hitler mine le système capitaliste », affirme-t-il devant ses interlocuteurs. Dès lors, les constructions anciennes sont forcloses : « la division des pays capitalistes en gouvernements fascistes et démocratiques a perdu de son sens initial ». Le 8 septembre une directive venue du Komintern impose la nouvelle ligne officielle : le conflit qui s’engage est une « guerre impérialiste ». Comme en 1914, il n’est donc pas question de la soutenir. « Les partis communistes, en particulier de France, d’Angleterre, de Belgique, des États-Unis d’Amérique, qui ont pris une position inverse à cette ligne politique, doivent immédiatement la corriger ». La page du Front populaire est tournée à Moscou.

Elle l’est plus difficilement à Paris, malgré la saisie de L’Humanité du 26 août, puis l’interdiction par décret de toutes les publications communistes le lendemain.

Un jour avant la directive de l’IC, Duclos, qui dirige le parti en l’absence de Thorez, explique encore que « la guerre qui est commencée est une guerre impérialiste ayant un caractère révolutionnaire antifasciste ». La réaction est immédiate. Marty, alors à Moscou, s’indigne du vote des crédits de guerre et, un peu plus tard, Fried se démarque violemment de Duclos et le fait savoir le 12 septembre à Arthur Dallidet, envoyé à Bruxelles pour rencontrer les représentants occidentaux de l’Internationale. La ligne fixée est sans appel : le PC français doit s’opposer à la guerre et se préparer à la clandestinité.

Les remous suscités par la nouvelle stratégie internationale

Le 17 septembre, l’entrée de l’Armée rouge en Pologne, conformément aux dispositions secrètes du pacte d’août, accélère le processus. Le 22, le PCF lance un appel à la paix qui dénonce avec vigueur la politique de défense nationale du gouvernement français. Le 26, le gouvernement Daladier décrète l’interdiction du parti et d’un grand nombre de ses « organisations de masse ». La nouvelle stratégie internationale suscite des remous à l’intérieur des rangs communistes. Si la direction tient bien[1] et si les cadres syndicaux font bloc autour du parti, de nombreux élus font défection, souvent de façon spectaculaire (12 des 27 maires de la Seine et 25 députés sur 74)[2]. Beaucoup d’autres renâclent, essaient de se raccrocher à la ligne précédente, comme Monmousseau le 13 septembre, Cachin qui écrit à Blum son attachement à l’antihitlérisme ou Gabriel Péri qui, le 23 septembre, maintient encore publiquement le cap du début. De son côté, Renaud Jean reste solidaire de ses camarades députés, mais ne cache pas ses réserves devant les conséquences politiques du pacte.

Thorez lui-même reste longtemps discret, arguant de sa mobilisation, jusqu’à ce que l’IC exige qu’il quitte son poste. Il s’y résigne le 2 octobre, pour regagner Moscou un mois plus tard, via Bruxelles où se trouve le noyau de direction autour de Duclos et Fried. Le secrétaire général est fragilisé par un tournant qu’il n’a pas anticipé, sous la pression persistante de Marty qui, une fois de plus, se fait le chantre du raidissement politique. Il accepte sans broncher la nouvelle orientation, mais peine à abandonner le capital stratégique acquis. Dans les notes de ses carnets personnels, vraisemblablement rédigées en novembre 1939, il reprend à son compte les critiques de l’IC portées contre l’organisation française, mais les tempère en refusant de tirer un trait sur l’expérience de 1934-1939 : « nouvelle façon poser questions F.U. Front Unique et F.P. Front Populaire à la base, contre dirigeants, mais ne signifie pas renier notre bien ». Les réticences ne vont pas durer bien longtemps…

L’entérinement de la stratégie du front populaire

Dès la fin septembre, les Soviétiques ont décidé en effet de durcir le ton. Le 28, l’URSS et l’Allemagne signent un traité d’amitié : les Soviétiques fourniront des matières premières et même, plus tard, iront jusqu’à renvoyer en Allemagne des antifascistes présents à Moscou, comme Margarete Beuber-Neumann[3]. Le 1er octobre, les députés communistes entérinent la nouvelle ligne en adressant une lettre au président de la Chambre, signée par 44 des 74 députés de 1936 et demandant que soient étudiées d’éventuelles propositions de paix, conséquences du traité signé trois jours plus tôt. À la fin du mois, Molotov enfonce le clou : désormais, l’Allemagne veut la paix et les fauteurs de guerre sont du côté des Britanniques et des Français. Quelques jours après, le 3 novembre, Dimitrov enterre définitivement la stratégie de Front populaire dont il a été le promoteur. Si le premier numéro de L’Humanité clandestine, publié le 26 octobre sous la responsabilité de Lucien Sampaix, continue de dénoncer « le capitalisme », « la réaction » et « l’hitlérisme » en même temps que « la guerre des profiteurs et des fascistes », les termes de « nazi » et « d’hitlérien » disparaissent du discours public à Moscou.

L’Humanité (clandestine) du 26 octobre 1939 (Disponible sur Gallica).

Le même durcissement s’observe à l’Ouest. Le 5 octobre ont lieu les premières arrestations de députés après la réception de leur lettre par le président de la Chambre. Le 30 novembre, le gouvernement décide d’aller jusqu’au bout et les députés votent la levée d’immunité parlementaire du Groupe ouvrier et paysan[4]. Bonte, chef du groupe, est arrêté en pleine séance. Le 20 février 1940, la même Chambre vote la déchéance des députés communistes, avant que ne s’ouvre leur procès. Entre-temps, le 18 novembre 1939, un décret a prévu l’internement en camp des individus « dangereux pour la défense nationale ».

Journal officiel du 19 novembre 1939 (disponible sur Gallica)

Le 9 avril 1940, le décret rédigé par le ministre socialiste de la Justice, Albert Sérol, assimile l’activité communiste (la « propagande défaitiste ») à une trahison passible de la peine de mort.

Journal officiel du 10 avril 1940 (disponible sur Gallica).

Le lendemain, L’Humanité clandestine fustige dans le même élan la guerre, le « décret scélérat » et le « gouvernement social-fasciste ». Six ans après le déclenchement du processus conduisant au Front populaire, la boucle est bouclée…

L’Humanité (clandestine), 10 avril 1940 (disponible sur Gallica).

Par Roger Martelli

En savoir plus :

Roger Martelli, Jean Vigreux, Serge Wolikow, Le Parti rouge. Une histoire du PCF 1920-2020, Armand Colin, 2020.


[1] Les seules défections sont celles du secrétaire à l’organisation, Marcel Gitton, du maire de Montreuil, Fernand Soupé et de l’ancien syndicaliste devenu maire de Maisons-Alfort, Albert Vassart. Les deux premiers verseront dans la collaboration, le troisième rejoindra la Résistance.

[2] C’est le cas des maires d’Alfortville (Marcel Capron), de Bobigny (Jean-Marie Clamamus), de Malakoff (Léon Piginnier) ou de Vitry (Charles Rigaud)

[3] Elle est la veuve d’Heinz Neumann, dirigeant du PC allemand, réfugié en URSS et victime de la Grande purge de 1937.

[4] C’est le nom pris par le groupe communiste après la dissolution du parti.