L’affiche rouge ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

L’affiche rouge

Les autorités d’occupation souhaitent faire du procès du « groupe Manouchian » un exemple. Ils veulent détacher l’opinion publique des actions des partisans et, surtout, jouer sur la peur. L’affiche éditée par le Centre d’études antibolcheviques, financé par la Propaganda-Abteilung, donne à voir et lire une question simple et une réponse encore plus simple : « Des libérateurs ? La libération, par l’armée du crime ! ».

La construction du « groupe Manouchian » par la propagande nazie

L’affiche, connue sous le nom de « l’Affiche rouge », reprend tous les codes de la propagande nazie où l’on dénonce des « tueurs judéo-bolcheviques apatrides » et le complot judéo-bolchevique. La couleur rouge qui identifie l’affiche, évoque non seulement la culture politique, mais aussi le sang des victimes de cette « armée du crime ». Elle est placardée dans Paris et dans des villes de province au cours du procès et au moment de l’exécution des 22 résistants. Publiée à 15 000 exemplaires et accompagnée de nombreux tracts ou petites brochures, elle se veut une opération d’envergure contre la Résistance, en présentant les partisans comme de dangereux terroristes.

Tract reprenant au recto LʼAffiche rouge et dénonçant au verso « Le complot de lʼAnti-France » réalisé par le Gouvernement de Vichy et les autorités allemandes d’occupation 1944, février 1944. coll. Musée de la Résistance nationale, Champigny (domaine public).

La propagande met en scène, sous forme de photographies, qui ont été prises à l’extérieur de la prison de Fresnes dix des membres du « groupe Manouchian » sous forme de médaillons, cerclé de noir, qui s’insèrent dans un triangle rouge : Grzywacz, juif polonais, 2 attentats ; Elek, juif hongrois, 8 déraillements ; Wasjbrot, juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements ; Witchitz, juif polonais, 15 attentats ; Fingerweig, juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements ; Boczov, juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats ; Fontanot, communiste italien, 12 attentats ; Alfonso, Espagnol rouge, 7 attentats ; Rayman, juif polonais, 13 attentats ; Manouchian, Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés.

Ce dernier, Missak Manouchian, se trouve au centre, la « barbe hirsute », affublé de cette légende « chef de bande », c’est ainsi que se forge depuis le procès, l’idée d’un « groupe Manouchian » qui n’a jamais vraiment existé. Les membres des FTP-MOI de la région parisienne faisaient partie de plusieurs détachements.

Ces « dix sélectionnés » illustrent selon la propagande « l’armée du crime » qui est constituée d’étrangers aux stéréotypes bien trempés : « hirsutes, agressifs et patibulaires, ces hommes sont en plus des « juifs », des « rouges », des étrangers » (Alexandre Sumpf). La presse écrite, mais aussi les émissions radiophoniques et les actualités cinématographiques s’empressent de relayer la propagande allemande.

Six photos (attentats, armes ou destructions) représentent enfin la menace qu’ils constituent à travers certains des attentats qui leur sont reprochés. Il s’agit de dénoncer l’ennemi de l’intérieur et surtout d’identifier les étrangers qui sèment le chaos et qui ne sont pas des Libérateurs, mais des agents du désordre.

Tous les arguments xénophobes, antisémites et anticommunistes sont utilisés par la propagande allemande pour discréditer la Résistance aux yeux de l’opinion française ; ce sont des étrangers ou des Français naturalisés depuis peu, qui sont prêts à tout, mus par l’appât du gain. Ces apatrides liés à la pègre ou au grand banditisme n’ont aucune retenue dans leurs crimes, leurs violences.

L’échec de la campagne allemande de propagande

Toutefois, la propagande n’atteint pas ses objectifs. L’opinion publique est choquée et une partie prend fait et cause pour ces martyrs. Comme l’écrit Denis Peschanski : « L’échec de la campagne allemande de « l’Affiche rouge » […] témoigne de la victoire des combattants, au-delà de la mort ». Ainsi, « l’Affiche rouge » est perçue comme la marque d’un sursaut patriotique ; certains n’ont pas peur de la détourner, de la lacérer, pour saluer l’héroïsme de ces martyrs de la Résistance, en apposant des « V » de la victoire, des « FTP » ou des « croix de Lorraine »…

Plusieurs tracts ou articles clandestins saluent ces héros, immigrés, qui ont donné leur vie pour la France, la République. Le PCF publie dans L’Humanité clandestine un texte dès le mois de mars qui évoque sans doute pour la première fois le « parti des fusillés » et un tract est édité en l’honneur du « groupe Manouchian ». Effectivement, comme le rappelait Mélinée Manouchian dans le documentaire Des « Terroristes » à la retraite de Mosco Levi Boucault (1985) : « Il y a des jours où je ne peux pas m’empêcher de penser que peut-être si les nazis n’avaient pas fait cette Affiche rouge, personne n’aurait parlé de Manouchian, de Boczor, de Rajman, d’Alfonso et des autres combattants étrangers. On les aurait enterrés et oubliés. Regardez les survivants, qu’est-ce qu’ils sont devenus ? ».

Par Jean Vigreux